Convention entre actionnaires et commission d’une infraction criminelle : la Cour supérieure se prononce


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Il est fréquent que des conventions entre actionnaires contiennent des clauses de rachat forcé d’actions qui prévoient l’éviction d’un actionnaire et le rachat de ses actions à un prix moindre que leur valeur réelle, notamment lorsque l’actionnaire a commis une infraction criminelle ou qu’il a fraudé la compagnie. De telles clauses peuvent aussi s’appliquer en cas de retrait volontaire, de divorce, ou de désaccord majeur. Lorsqu’il s’agit d’infractions criminelles ou de fraude de la compagnie, il arrive même que ces clauses prévoient l’éviction de l’actionnaire et le rachat de ses actions pour la somme symbolique de 1 $.

Le jugement Richer c. Groupement GLC inc.1 rendu le 22 avril 2022 constitue une bonne illustration de la mise en application de ce type de clause et du traitement judiciaire qui en est fait.

Faits saillants

Le 1er avril 2019, le fondateur et actionnaire majoritaire de Cimentier St-Laurent inc. (ci-après : « CSL ») vend ses actions à Groupement GLC inc. (ci-après : « GLC »). Monsieur Richer, actionnaire minoritaire de CSL, conserve ses actions, qui représentent 49% des actions de la compagnie.

Le 1er mai 2019, M. Richer signe une convention entre actionnaires avec GLC qui comprend notamment des clauses de retrait et de rachat forcé des actions et une clause de non-concurrence. Ces clauses prévoient, entre autres, que si l’un des actionnaires pose des gestes qui sont gravement préjudiciables aux intérêts de la société, ou encore si l’actionnaire est condamné à une peine de plus de deux ans d’emprisonnement, l’autre actionnaire se voit conféré le droit d’acquérir les actions de l’actionnaire concerné avec une pénalité de 50% sur leur valeur. Il en sera de même si l’actionnaire est congédié pour cause, mais avec une pénalité de 25% dans ce cas. La convention prévoit également que M. Richer sera administrateur de la compagnie ainsi que trois autres personnes provenant de GLC.

En novembre 2019, suite à la découverte de transactions suspectes sur la carte de crédit de la compagnie, le comptable de celle-ci mène une enquête qui conclut à la fraude d’un tiers étranger à la compagnie. Mais il découvre aussi quelques transactions injustifiées, dont un retrait de 500 $ et une facture de location de chambre d’hôtel effectués par M. Richer.

Le 19 décembre 2019, M. Richer est arrêté dans un hôtel de Trois-Rivières dans le cadre d’une opération policière et est accusé de leurre et d’obtention de services sexuels moyennant rétribution d’une personne mineure. Il plaide alors non coupable et est libéré dans l’attente de son procès. Les autres administrateurs, ayant appris la nouvelle, font changer les serrures du bâtiment où la compagnie exerce son activité, et M. Richer ne se présentera plus au travail à partir de ce moment.

Le 23 janvier 2020, M. Richer reçoit un avis de défaut lui reprochant d’avoir posé des actes qui portent grandement préjudice à la compagnie et qu’en conséquence, il sera forcé de se retirer et ses actions seront rachetées en soustrayant les pénalités prévues à la convention entre actionnaires. L’avis indique que la valeur du rachat serait de 18 541,75$.

Le lendemain, il reçoit un avis de convocation à une réunion du Conseil d’administration et une assemblée spéciale des actionnaires devant se tenir trois jours plus tard et portant sur le congédiement de M. Richer, le changement d’adresse du siège social et le déménagement des actifs de la compagnie de Trois-Rivières à Drummondville. Il est aussi question de ne pas déclarer de dividendes pour 2019 et de demander le remboursement des avances de dividendes déjà versées aux actionnaires pour 2019 et 2020. M. Richer était rémunéré en partie en dividendes pour son travail dans la compagnie.

Richer est d’accord pour le rachat de ses actions, mais il considère qu’aucune des conditions pour l’application des pénalités n’est rencontrée et que ses actions valent plutôt 211 372 $ en prenant pour base le prix par action payé par GLC lorsqu’elle a acheté les actions du fondateur de GSL plus tôt la même année. Il conteste son congédiement et demande une indemnité de fin d’emploi de 81 250 $ et la remise d’outils qu’il dit lui appartenir ou, alternativement, une somme de 40 020$. Il demande aussi à ce que la clause de non-concurrence prévue à la convention entre actionnaires en cas de retrait forcé ne s’applique pas.

Le 18 mars 2020, M. Richer est de nouveau arrêté pour des infractions semblables aux premières. Il demeure cette fois détenu en attente de son procès. Le 21 avril 2021 il est condamné à une peine de plus de deux ans de prison. Un nouvel avis de défaut est envoyé à M. Richer précisant que cet évènement déclenche la procédure de rachat obligatoire.

Analyse de la Cour supérieure

a) La valeur des actions

La Cour se penche d’abord sur la question de la valeur des actions. La convention entre actionnaires prévoit ce qui suit :

  1. La Valeur déterminée des Actions de la Société sera la dernière valeur établie par les Actionnaires chaque année lors de leur assemblée annuelle par résolution ou par tout autre écrit.
  2. Si aucune valeur n’a été ainsi fixée dans les douze (12) mois qui précèdent la date de l’événement qui entraînera la vente des Actions, la Valeur déterminée sera alors la moyenne de la valeur comptable régularisée pour les trois (3) années précédentes. […]
  3. La régularisation susmentionnée sera effectuée par l’expert-comptable de la Société, ou un autre comptable professionnel agréé désigné par celui-ci.

[Soulignements du Tribunal]

Selon M. Richer, le contrat de vente des actions entre GLC et le fondateur de CSL représente un « autre écrit » qui devrait servir de base à l’évaluation de la valeur des actions. Puisque le fondateur a vendu ses actions, représentant 51% des actions de la compagnie, au prix de 220 000 $, les actions de M. Richer, représentant 49% des actions de la compagnie, vaudraient ainsi 211 372 $.

GLC considère plutôt que le contrat de vente d’actions n’impliquait pas M. Richer et ne peut donc être considéré comme un « autre écrit » représentant la « dernière valeur établie par les actionnaires ». Elle soutient donc qu’il faut utiliser la valeur calculée par le comptable de la compagnie, qui est de 74 167 $.

La Cour retient le calcul de GLC. Elle considère qu’on ne peut considérer comme équivalente la valeur des actions du fondateur et celles de M. Richer. En effet, le fondateur avait investi une somme importante pour fonder la compagnie et ne recevait pas de salaire par la suite, alors que M. Richer n’avait investi que 4,90 $ pour acheter 49% des actions et recevait un salaire. Le fondateur avait donc demandé un prix plus élevé pour ses actions parce qu’il n’avait pas reçu de salaire, contrairement à M. Richer. L’évaluation des actions faites dans le contrat de vente était trop contextuelle pour qu’on puisse l’utiliser comme fondement.

b) Les pénalités

Sous le motif d’avoir posé des gestes qui sont gravement préjudiciables à la compagnie, la Cour établit d’abord que certains gestes de M. Richer étaient de nature à constituer une rupture du lien de confiance, sans toutefois être gravement préjudiciables à la compagnie. Elle inclut dans cette catégorie l’utilisation de main-d’œuvre de CSL pour couler du béton à sa résidence, l’utilisation de béton commandé et payé par CSL et l’utilisation de la carte de crédit de la compagnie pour payer une chambre d’hôtel.

La Cour considère toutefois que les gestes ayant mené à l’arrestation de M. Richer étaient grandement préjudiciables pour la compagnie. M. Richer était le visage de la compagnie à Trois-Rivières et son arrestation a reçu une couverture médiatique importante, ce qui a fait en sorte de faire perdre des clients et partenaires à la compagnie qui refusaient de faire affaires avec elle si M. Richer demeurait en poste. Il y a donc lieu d’appliquer une pénalité de 50% à la valeur des actions.

La Cour retient également que la peine de détention de plus de deux ans justifie l’application d’une pénalité de 50%. Quant à la pénalité en raison d’un congédiement pour cause, la Cour considère que les gestes ayant constitué une rupture du lien de confiance ainsi que les gestes gravement préjudiciables à la compagnie constituaient des motifs suffisants de congédiement. La pénalité de 25% pouvait donc s’appliquer. Les pénalités n’étant pas cumulatives, une pénalité totale de 50% a donc été retenue.

  1. Richer plaidait que le congédiement était sans cause en raison de l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne qui interdit un congédiement « du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi […] »2. Cette prétention a été rejetée, car les gestes justifiant le congédiement pour cause en raison de la rupture du lien de confiance suffisaient à eux seuls à justifier le congédiement et n’avaient aucun lien avec les accusations criminelles. De plus, puisqu’il était le visage de l’entreprise et compte tenu de la couverture médiatique entourant les gestes pour lesquels il a été arrêté, il y avait un lien entre les infractions et l’emploi. M. Richer n’a donc pas droit, non plus, à une indemnité de fin d’emploi.

b) La clause de non-concurrence

La clause de non-concurrence est considérée déraisonnable par la Cour. En effet, elle couvre un territoire beaucoup trop large, soit toute la rive nord du fleuve Saint-Laurent. Elle empêche aussi M. Richer de travailler dans son domaine alors qu’il y travaille depuis l’âge de 18 ans, et qu’il ne s’agit pas d’un domaine où les connaissances sont uniques ou névralgiques. Puisqu’il n’appartient pas à la Cour de réécrire ou de restreindre la clause pour lui donner une portée raisonnable et justifiée, cette clause est donc annulée.

c) Les biens personnels de M. Richer

Quant aux réclamations de M. Richer pour ses outils personnels, la Cour considère qu’il n’y a pas de preuve suffisante à cet effet. Aucune facture ou contrat d’achat n’a pu être fourni. De plus, les biens réclamés étaient mentionnés au contrat de vente d’actions comme faisant partie des biens de la compagnie.

d) Le remboursement des dividendes déjà versés pour 2019 et 2020

La rémunération de M. Richer pour son travail était faite en partie en salaire et en partie en dividendes. Puisque M. Richer avait exécuté sa prestation de travail, il n’avait pas lieu de lui réclamer les dividendes.

Au final, la Cour autorise le rachat des actions de M. Richer par GLC pour une somme totale de 27 464,67 $ ventilée comme suit :

Valeur de rachat des actions :                                            74 167 $
(moins)
Pénalité de 50% :                                                                (37 083,50 $)
Sommes dues par M. Richer à CSL :                              (4 118,83 $)
Moitié des frais de l’expertise comptable :                    (5 500 $)
                                                                                             27 464,67 $

Rédigé avec la collaboration de Monsieur Luc Robitaille, étudiant en droit. 

1 Richer c. Groupement GLC inc., 2022 QCCS 1413.
2 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 18.2.