COVID-19 – Retour à l’école : les défis de la garde partagée


Par

Le 27 avril dernier, le Gouvernement du Québec a annoncé la réouverture progressive, à compter du 11 mai 2020, des établissements préscolaires et primaires pour l’ensemble des régions du Québec, à l’exception des territoires de la communauté métropolitaine de Montréal qui restent fermés jusqu’à la fin août1. Un document publié par le Gouvernement et intitulé « Questions et réponses sur l’éducation et la famille dans le contexte de la COVID-19 » contient des informations sur les décisions à être prises par les parents notamment sur le retour en classe. Ce retour en classe étant facultatif, il appartient aux parents de prendre la décision d’envoyer ou non leurs enfants à l’école, ce qui peut mener à des différends entre les parents et particulièrement pour ceux qui exercent une garde partagée.

AUTORITÉ PARENTALE

La fréquentation scolaire relève de l’autorité parentale en vertu du Code civil du Québec2 et aucun parent n’a préséance sur l’autre dans le choix du retour ou non des enfants à l’école, et ce, peu importe les modalités de la garde. Tout récemment, des jugements ont été rendus portant sur le retour à l’école d’enfants en garde partagée dans le contexte exceptionnel de la COVID-19. En effet, lorsque les parents n’arrivent pas à s’entendre dans l’exercice de cette autorité, ils soumettent la question au Tribunal à qui il revient de statuer dans l’intérêt de l’enfant3.

CRITÈRES ANALYSÉS

Il est établi depuis longtemps par la jurisprudence que dans les décisions qui concernent un enfant, le Tribunal doit rendre jugement en fonction de son meilleur intérêt. Ainsi, selon les caractéristiques de l’enfant concerné, chaque cas est étudié en fonction des faits particuliers au litige. En vertu du Code civil du Québec4, son âge, sa situation, sa santé, ses besoins moraux, intellectuels, et éducatifs, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation doivent être pris en considération.

En cette période de pandémie, pour que le Tribunal puisse remettre en question la décision du gouvernement de reprendre les activités académiques, le parent qui en fait la demande doit démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il serait contraire à l’intérêt particulier de son enfant de recommencer à fréquenter l’école5.

Pour motiver leurs décisions6, outre le meilleur intérêt de l’enfant, les juges ont aussi retenu les éléments particuliers en lien avec la pandémie et les arrêtés et décrets adoptés par le Gouvernement soient:

  • Il n’appartient pas aux tribunaux, mais aux autorités gouvernementales compétentes d’évaluer les risques potentiels de contamination;
  • La Loi sur l’instruction publique7 donne droit à chaque enfant de recevoir les services éducatifs, mais instaure également l’obligation de fréquentation scolaire de 6 ans à 16 ans8;
  • Les parents doivent prendre les moyens nécessaires pour que les enfants remplissent leur obligation de fréquentation scolaire9;
  • Le gouvernement n’a pas rendu obligatoire le retour en classe.

Ainsi, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’un enfant sera dispensé de l’obligation de fréquentation scolaire. Dans un contexte de garde partagée, si un des parents n’est pas en mesure d’offrir un enseignement à domicile, l’enfant ne peut être privé de son droit de fréquenter l’école s’il lui est possible de le faire. Comme le contexte de la pandémie constitue une situation conduisant à des mesures exceptionnelles, certains critères particuliers ont été dégagés dans de récentes décisions afin d’ordonner ou non le retour à l’école pour des enfants en garde partagée. Les parents doivent retenir que toutes décisions seront prises dans l’intérêt et le respect des droits de l’enfant10, et non dans le seul intérêt des parents. Or, le Tribunal a ordonné un retour à l’école pour un enfant qui présente des difficultés d’apprentissage et qui ne présente aucune condition de santé faisant de lui un enfant à risque, et ce, malgré le fait que cette mesure le privera de contacts avec sa grand-mère et son père11.

Le meilleur intérêt de l’enfant dicte qu’il puisse bénéficier de l’accompagnement scolaire, de l’encadrement d’un professionnel de l’enseignement pour améliorer ses acquis, faire face à ses difficultés d’apprentissage scolaires ou de socialisation. Il est considéré dans son intérêt de fréquenter l’école pour l’enfant qui souhaite parfaire ses connaissances dans des matières où il éprouve plus de difficultés en vue de son entrée au secondaire. Le juge Villeneuve souligne qu’il faut par ailleurs éviter de changer les modalités de la garde à moins que la situation des enfants et des parties le requière12. La juge Claudia P. Prémont a ordonné que l’enfant qui n’est pas en situation d’échec ne fréquente pas son établissement scolaire en raison de l’état médical de sa mère dont l’état de santé présentait des risques élevés si elle contracte la COVID-1913. De même, l’état de santé à risque de la conjointe du père d’un enfant de 6 ans qui ne présente aucune difficulté scolaire ou de socialisation fut un élément essentiel pour ordonner le non-retour en classe14.

CONCLUSION

Bien que les juges ayant rendu ces décisions ont considéré certains éléments communs, notamment l’importance du droit à l’éducation, il n’en demeure pas moins que ces jugements sont rendus selon la situation et les intérêts propres à chaque enfant. Les décisions de garde partagée en droit de la famille liées à la situation exceptionnelle de la COVID-19 continueront d’évoluer au gré des circonstances, d’autant plus qu’il est peu probable que la situation qui prévaut actuellement ainsi que les mesures prises dans les établissements scolaires soient très différentes en septembre prochain.

Pour plus d’informations concernant la garde partagée, vous pouvez consulter notre capsule « COVID-19 – Qu’en est-il de la garde partagée? ».

Rédigé avec la collaboration de Madame Roxanne Bernier, étudiante en droit. 

 

1 http://www.education.gouv.qc.ca/salle-de-presse/communiques-de-presse/detail/article/pandemie-de-la-covid-19-les-etablissements-scolaires-et-les-services-de-garde-rouvriront/
2 Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991, art. 600 (ci-après : «C.c.Q.»).
3 Art. 604 C.c.Q.
4 Art. 33 C.c.Q.
5 M.D. c. M.C., C.S. Bedford, n° 460-12-011071-199.
6 Id.; Abitibi, n° 605-04-005674-107; I.D.c.F.F., C.S. Bedford, n° 460-04-0061165-193; J.R. c. M.L., C.S. Trois-Rivières, n° 400-04-012190-199;
7 Loi sur l’instruction publique, RLRQ c I-13.3.
8 Id., art. 1 et art. 14.
9 Id., art. 17.
10 Art. 33 C.c.Q.
11 Abitibi, n° 605-04-002674-107.
12 M.D. c. M.C., C.S, préc. note 6.
13 Saint-Maurice, n° 410-04-004603-182.
14 Chicoutimi, n° 150-04-008175-205.