COVID-19 – Cas de force majeure, que faire en cas d’inexécution contractuelle?


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L’ensemble de mesures prises par le gouvernement Legault ces derniers temps pour faire face à la COVID-19 inclut d’abord notamment l’interdiction d’événements intérieurs de plus de 250 personnes1 ainsi que la fermeture de lieux de rassemblement telles les salles d’entraînement et les stations de ski2 . Puis, le gouvernement a décrété la suspension d’activités non prioritaires en milieu de travail. Plusieurs entreprises se verront ainsi contraintes de ne plus fournir les services auxquels elles étaient contractuellement tenues pour des raisons de santé publique. D’autres entreprises pourraient devenir incapables de respecter certains contrats ou certaines échéances en raison des diverses conséquences liées à la pandémie.

Quels sont les droits respectifs des parties à un contrat face à cette situation exceptionnelle? Celui qui est dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations est-il susceptible d’être poursuivi en dommages? Celui qui a déjà payé pour des services qu’il ne recevra pas a-t-il droit à un remboursement? Doit-on prévoir des clauses dans nos futurs contrats pour se protéger d’obligations qu’on pourrait être incapable de respecter? Voici notre éclairage juridique.

Exonération de responsabilité pour cas de force majeure

Il faut savoir que, sous réserve des dispositions du contrat, lorsqu’une obligation ne peut plus être exécutée en raison d’une force majeure, le débiteur est en principe libéré de cette obligation3 et il peut alors se dégager de sa responsabilité pour le préjudice occasionné à autrui s’il prouve que le préjudice résulte de la force majeure4 .

COVID-19 : Une force majeure?

Au Québec, la force majeure est définie par le Code civil du Québec comme un événement imprévisible et irrésistible5 pour une personne raisonnablement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances lors de la formation du contrat6 . C’est ce qu’on appelle parfois aussi un « cas fortuit » ou en anglais un « act of God ».

La pandémie de la COVID-19 peut selon nous constituer selon les circonstances un événement imprévisible, mais il faut toutefois rappeler que le caractère d’imprévisibilité doit s’apprécier au moment où l’obligation a été contractée. Autrement dit, une personne qui peut raisonnablement prévoir la survenance de l’événement au moment de la conclusion du contrat ne peut s’en délier, puisqu’elle aurait dû prendre des mesures pour l’éviter ou sinon refuser de contracter7 . Ainsi, toute obligation contractée après la déclaration d’état de pandémie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou après la prise de mesures gouvernementales pourrait être appréciée différemment de celles contractées précédemment. L’analyse de la prévisibilité doit se faire en fonction de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Elle n’exige pas que l’événement ne se soit jamais auparavant produit, mais la fréquence de la survenance du phénomène à un endroit donné est certainement pertinente à l’analyse8 .

Le critère d’irrésistibilité est pour sa part satisfait lorsque toute personne prudente et diligente, placée dans une situation semblable, ne serait pas capable de résister à la force extérieure. La survenance de l’événement doit être inévitable et ses effets, insurmontables pour quiconque9 . Si le débiteur pouvait empêcher la conséquence qui en a résulté sur ses obligations contractuelles, il ne pourra pas se délier de ses obligations. L’obligation doit ainsi être absolument impossible, non pas simplement plus difficile ou onéreuse10 . Par exemple, la décision gouvernementale d’ordonner la fermeture des centres d’entrainement constitue ainsi selon nous ce que certains auteurs qualifient de « fait du prince »11 , qui crée une situation irrésistible qui rend véritablement impossible la prestation de services.

La doctrine et la jurisprudence ont également développé un troisième critère, l’extériorité de l’événement, c’est-à-dire que l’événement ayant empêché l’accomplissement de l’obligation ne doit pas être dû à la faute du débiteur ou à un acte qui lui est attribuable12 . L’événement et ses conséquences doivent donc être indépendants de sa volonté, comme l’exemple de l’ordre gouvernemental qui lui prohibe certaines activités. Suivant ce dernier critère, bien que les tribunaux de première instance aient parfois reconnu la mort et la maladie comme des cas de force majeure13 , certains auteurs avaient suggéré par le passé que la maladie du débiteur ne pourrait pas constituer un événement de force majeure, la maladie n’étant pas « extérieure » au débiteur14 . Considérant l’absence de décision de principe, et dans le contexte où la COVID-19 risque à terme d’occasionner l’hospitalisation et la mise en quarantaine du débiteur ou de ses employés, occasionnant à son tour des défauts contractuels potentiels (supposant qu’ils soient inévitables), il sera intéressant de voir comment la jurisprudence évoluera sur cette notion.

En somme, si la pandémie liée à la COVID-19 et les mesures gouvernementales qui l’entourent peuvent selon nous constituer dans certaines situations une force majeure, l’analyse doit nécessairement continuer de se faire au cas par cas, puisque l’événement imprévisible et irrésistible doit avoir pour conséquence inévitable le préjudice ou l’inexécution d’une obligation dont le débiteur voudra s’exonérer. Le fardeau de la preuve de démontrer la force majeure reviendra toujours au débiteur15 .

Exemples de cas de force majeure possibles liés à la COVID-19

Selon ce cadre d’analyse, certaines situations comme l’annulation d’un spectacle de plus 250 spectateurs ou l’arrêt de certaines activités sur ordre du gouvernement risquent selon nous, sous réserve d’une analyse au cas par cas, de pouvoir être qualifiées de force majeure.

Certaines situations sont toutefois plus délicates. Par exemple, un distributeur qui rencontrerait certains obstacles dans sa chaîne d’approvisionnement en raison de la pandémie (fermeture d’usines en Chine, fermetures de frontières, etc.) pourrait avoir des difficultés à rencontrer certaines obligations ou certaines échéances contractuelles, sans que ce soit absolument impossible. En principe, dans le respect des mesures gouvernementales en vigueur, toutes mesures raisonnables et possibles selon le contexte devraient être envisagées pour respecter ses obligations contractuelles, même si elles sont plus onéreuses, à défaut de quoi il ne pourra pas être question d’exonération pour cas de force majeure.

Que prévoit votre contrat?

Avant de conclure à l’existence d’une force majeure et malgré les critères ci-dessus énumérés, il est important de se référer d’abord au contrat conclu entre les parties. En effet, rien n’empêche une partie de s‘engager par contrat, malgré les dispositions supplétives de la loi, à réparer le dommage causé ou à garantir l’accomplissement de son obligation en dépit d’un cas de force majeure16 .

Le contrat peut également prévoir une procédure obligatoire d’avis devant être envoyé au créancier dans un certain délai pour se prévaloir d’une force majeure17 . Les conséquences de l’impossibilité peuvent aussi être prévues à l’avance au contrat (libération du débiteur, extinction de l’obligation, suspension de l’obligation, résiliation, etc.). Il est donc essentiel de consulter rapidement votre contrat dès la survenance d’un cas de force majeure.

Enfin, si nous apprenions le 18 mars dernier que les six plus grandes banques du Canada offriront des sursis de paiement à leurs clients qui subissent des conséquences financières de la pandémie18 , les bailleurs de fonds privés risquent de ne pas nécessairement avoir la même flexibilité. En cas de difficultés financières appréhendées et liées à la COVID-19, il sera donc important de consulter en premier lieu les dispositions prévues au contrat de financement. En certains cas, celui-ci pourrait par exemple prévoir une clause de changement important, c’est-à-dire un événement qui touche de manière importante la capacité du débiteur d’exécuter ses obligations aux termes du contrat. Le cas échéant, certaines conséquences pourraient être prévues au contrat, par exemple l’application de garanties, la déchéance du bénéfice du terme ou l’arrêt de versements si le prêt n’était pas entièrement tiré, ou parfois, l’abandon ou l’interruption des travaux en matière de financement dans le domaine de la construction. Toutefois, la question de déterminer si la pandémie de la COVID-19 constitue un changement important nécessitera préalablement une analyse minutieuse du contrat et des faits précis de chaque cas.

Restitution des prestations en cas de force majeure

Si, sous réserve des dispositions du contrat, un cas de force majeure a pour conséquence la libération du débiteur de l’obligation qu’il lui est impossible d’exécuter, elle libère également la partie cocontractante de son obligation corrélative19 . Si celle-ci a déjà été exécutée, il devra y avoir restitution.

Concrètement, supposant que la qualification de force majeure du Code civil du Québec soit applicable, cela signifie qu’un billet de spectacle dont l’événement a été annulé devrait être remboursé et, pareillement, un centre d’entrainement et des stations de ski qui ne peuvent plus fournir leurs services sur ordre du gouvernement ne devront alors pas charger leurs clients pour la période pendant laquelle l’établissement est fermé. Si, en raison d’un abonnement, un paiement a déjà été effectué pour une période comprenant des dates où l’établissement a été contraint de fermer, un remboursement partiel devra être effectué pour compenser la période où les services n’étaient plus accessibles. Par exemple, si un paiement avait déjà été effectué le 1er mars pour les trois (3) prochains mois d’un abonnement au gym, que celui-ci a fermé le 15 mars en raison de l’ordre gouvernemental et qu’il demeure fermé tout le printemps, sous réserve des dispositions du contrat20 , un remboursement de cinq sixièmes dudit paiement devrait normalement être opéré.

Comme autre exemple, pour un contractant qui ne pourrait pas procéder à une livraison en raison de la COVID-19, en supposant qu’il réussisse à faire la démonstration que son inexécution constitue réellement un cas de force majeure, la conséquence juridique dépendra des circonstances. S’il s’agit d’un retard sur une date de livraison prévue au contrat, mais que la date ne constituait pas un élément essentiel au contrat, le débiteur pourra alors exécuter son obligation en retard, soit dès que la cause d’impossibilité aura pris fin, sans qu’il ne soit possible pour le créancier de lui réclamer les dommages découlant de ce retard21 . Il s’agirait alors d’une suspension de l’obligation, plutôt que son extinction. Au contraire, si le délai était un élément déterminant au contrat, l’obligation pourrait s’éteindre et les parties procéderont à une restitution des prestations.

L’importance de la mise en demeure

Notons que si le débiteur avait été mis en demeure avant que l’exécution de l’obligation devienne impossible en raison d’une force majeure, il ne sera pas alors libéré, sauf lorsque le créancier n’aurait pu, de toute façon, bénéficier de l’exécution de l’obligation en raison de cette force majeure22 . Le créancier dont le débiteur est déjà en défaut et qui craint l’impact potentiel de l’ajout de mesures gouvernementales pour contenir la COVID-19 aura donc intérêt à le mettre rapidement en demeure d’exécuter ses obligations.

Recommandations de rédaction pour vos futurs contrats

Rien n’empêche deux parties de redéfinir dans un contrat les contours de la définition de force majeure, par exemple en prévoyant à l’avance une liste d’événements justifiants, ou non, l’inexécution d’une obligation23 . Considérant que le critère de prévisibilité comprend une certaine notion de probabilité qui pourrait possiblement être appréciée différemment à la suite de l’éclosion de la pandémie actuelle, il pourrait donc être pertinent d’inclure – ou d’exclure – à l’avance au contrat, selon la volonté des parties, certaines conséquences pouvant être occasionnées par des maladies infectieuses ou des épidémies (quarantaines, fermetures de frontières, décisions gouvernementales, retards, problèmes de transport ou d’approvisionnement, etc.).

De plus, si vous deviez conclure aujourd’hui un contrat, plus particulièrement, mais sans s’y limiter, dans des secteurs à risque d’être touchés par les événements actuels, impliquant des intermédiaires à risque ou encore à l’international, il nous apparaitrait très prudent de préciser clairement qui supporte ces risques d’inexécution vis-à-vis, spécifiquement, l’actuelle pandémie de la COVID-19. Autrement, considérant le caractère potentiellement prévisible de ces risques au moment de la conclusion du contrat, vous pourriez ne pas pouvoir vous exonérer de vos responsabilités en cas d’impossibilité de respecter vos obligations.

Plusieurs autres clauses peuvent aussi être pertinentes. Par exemple, au niveau des délais d’exécution, une précision pourrait être apportée au contrat afin d’indiquer que les dates mentionnées sont à titre indicatif seulement et qu’aucune indemnisation ne pourrait être applicable en cas de non-respect des échéances. Une autre clause pourrait prévoir un préavis à donner dans un certain délai pour se prévaloir d’une inexécution d’une obligation devenue impossible à accomplir. Enfin, puisqu’il est rare qu’un juge ait le pouvoir de réviser des clauses d’un contrat, il pourrait être prudent de prévoir au contrat les conséquences souhaitées si l’exécution d’une obligation ne devient pas absolument impossible, mais beaucoup plus onéreuse pour des facteurs imprévisibles ou stipulés au contrat.

Les clauses de force majeure devront ainsi être adaptées au cas par cas. Il est conseillé de consulter un avocat pour vous assurer d’être adéquatement protégé en fonction de votre situation et de vos besoins.

Vérifiez votre police d’assurance

Il faut savoir que certaines polices d’assurance pourraient couvrir les pertes découlant d’une impossibilité d’exécuter une obligation en raison d’un cas de force majeure. Le cas échéant, il est important de donner à l’assureur les préavis qui s’imposent dans les délais applicables et de se conformer à la procédure prévue au contrat d’assurance.

Conclusion

L’éclosion de la COVID-19 et les mesures gouvernementales prises pour la contrer risquent d’avoir de nombreux impacts juridiques et commerciaux sur les entreprises québécoises. La qualification de force majeure dépendra essentiellement d’une analyse contractuelle et factuelle au cas par cas, c’est-à-dire en fonction de la gravité et de l’imprévisibilité des conséquences des événements sur la capacité des parties à exécuter leurs obligations. Si vous êtes dans une situation où il vous apparait impossible d’exécuter vos obligations en raison de la pandémie ou si votre cocontractant n’a pas exécuté ses obligations pour ce motif sans vous rembourser ou vous indemniser, vous pourriez avoir avantage à consulter l’un de nos avocats, qui pourra vous conseiller adéquatement en fonction de votre cas de figure précis.

 

1 Décret 177-2020 du 13 mars 2020 concernant une déclaration conformément à l’article 118 de la Loi sur la santé publique, (2020) no 12A G.O. II, 1101A.
2 Arrêté ministériel 2020-004 du 15 mars 2020 concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de la pandémie de la COVID-19, (2020) no 12A G.O. II, 1103A.
3 Art. 1693 al. 1 C.c.Q., qui prévoit plus spécifiquement : « Lorsqu’une obligation ne peut plus être exécutée par le débiteur, en raison d’une force majeure et avant qu’il soit en demeure, il est libéré de cette obligation; il en est également libéré, lors même qu’il était en demeure, lorsque le créancier n’aurait pu, de toute façon, bénéficier de l’exécution de l’obligation en raison de cette force majeure; à moins que, dans l’un et l’autre cas, le débiteur ne se soit expressément chargé des cas de force majeure. »
4 Art. 1470 al. 1 du Code civil du Québec (ci-après nommé «  C.c.Q.»).
5 At. 1470 al 2. C.c.Q.
6 Vincent KARIM, Les obligations, vol. 1, 4e éd. Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2015, p. 1382.
7 Id., p. 1393.
8 Lemay c. Poirier, AZ-97036315, B.E. 97BE-535, [1997] R.L. 554 (C.Q.); Giguère c. Ste-Marie (Ville de), AZ-00021733, J.E. 2000-1471, [2000] R.R.A. 733 (C.S.).
9 Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e éd. Montréal, Édition Thémis, 2018, par. 2734.
10 Vincent KARIM, préc., note 6, p. 1395.
11 Didier LLUELLES et Benoît MOORE, préc., note 9, par. 2740. Le « fait du prince » est défini comme « [l]’obstacle à l’exécution des obligations contractuelles, résultant de l’intervention des pouvoirs publics ».
12 Taillefer c. Cinar Corporation, 2009 QCCA 850, par. 73 et 74.
13 Vincent KARIM, préc., note 6, p. 1387.
14 Didier LLUELLES et Benoît MOORE, préc., note 9, par. 2735 et 2736.
15 Art. 1470 et 1693 C.c.Q.
16 Didier LLUELLES et Benoît MOORE, préc., note 9, par. 2743.
17 Id., par. 2745.
18 https://www.lapresse.ca/affaires/finances-personnelles/202003/17/01-5265154-les-six-principales-banques-canadiennes-offrent-des-sursis-de-paiement.php
19 Art. 1694 C.c.Q.
20 La liberté contractuelle peut toutefois avoir certaines limites. Par exemple, lorsque la Loi sur la protection du consommateur est applicable, le contrat ne peut pas déroger aux dispositions de cette loi, qui est d’ordre public. De plus, l’article 1437 C.c.Q. stipule qu’une clause abusive dans un contrat de consommation ou d’adhésion est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible.
21 Didier LLUELLES et Benoît MOORE, préc., note 9, par. 2748.
22 Art. 1693 C.c.Q.
23 Otis Elevator Co. Ltd. c. A. Viglione & Bros. inc., AZ-81011017, J.E. 81-92 (C.A.); Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e éd. Montréal, Édition Thémis, 2018, par. 2731.