Le pouvoir de révision d’une clause du contrat


Par

Récemment, un juge de la Cour du Québec a été appelé à faire usage du pouvoir de révision qui découle de l’article 1407 du Code civil du Québec qui prévoit :

« Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s’il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer. »1

Le 12 janvier 2018, l’Honorable Juge Chantal Gosselin accueillait partiellement une demande en justice visant principalement l’annulation pour cause de dol d’une clause contenue à un contrat de vente2.

Dans cette affaire, les parties, d’anciens conjoints de fait, ont conclu un acte de cession relativement à la résidence familiale suite à leur séparation. Cet acte, par lequel la demanderesse vendait sa part de l’immeuble au défendeur, contenait une clause qui retardait de plusieurs années le paiement du solde du prix de vente. La demanderesse avait consenti à cette stipulation en raison de difficultés financières dont disait souffrir le défendeur. Or, s’agissant de fausses représentations, la demanderesse a intenté une action en justice visant l’annulation de cette clause. Après avoir conclu à l’existence d’une erreur provoquée par le dol du défendeur, l’Honorable Juge Gosselin a accepté de maintenir l’acte de vente et d’en modifier uniquement le contenu afin que la modalité litigieuse soit sans effet.

Le consensualisme

Au Québec, la modification d’un contrat par le tribunal est un sujet très peu abordé. Ce qui est certain, c’est que les juges font preuve de grande prudence lorsqu’ils sont amenés à réviser un contrat. Cette déférence est justifiée par l’intérêt commun, qui commande la certitude des rapports juridiques, et par le principe directeur du consensualisme.

En droit civil québécois, le chapitre des obligations du Code civil du Québec régit les relations contractuelles et pose le consensualisme comme fondement de l’engagement3. Cette notion prône l’intention des parties au point où elle fait naître les obligations d’un simple accord de volonté. Par conséquent, un contrat se forme dès que deux personnes s’entendent sur ses éléments essentiels, et ce, sans autre formalité. Ce faisant, les contractants jouissent d’une grande liberté décisionnelle, mais font également face à de grandes responsabilités. C’est à la lumière de ce principe que l’expression latine volenti non fit injuria, voulant qu’« un dommage ne soit pas fait à celui qui voulait »4, prend tout son sens.

Ainsi, en présence d’un vice de consentement reconnu par le Code civil du Québec, le fondement de cette maxime n’est plus respecté, ce qui justifie que l’intervention du tribunal devient possible et même souhaitable pour corriger une injustice.

Les vices de consentement du Code civil

On peut imaginer une multitude de situations où une partie regrette avoir conclu un acte juridique, mais ce ne sont pas toutes les circonstances qui offrent la possibilité d’annuler une obligation contractuelle. À titre d’exemple, la Cour d’appel a réitéré que la théorie de l’imprévision n’est pas admise en droit québécois et que la révision du contrat pour ce motif n’est donc pas permise5. Également, la lésion, soit la formation d’un contrat à un point désavantageux ou disproportionné pour l’une des parties qu’il en devient injuste, n’est pas reconnue, sauf certaines exceptions prévues par la loi6. Ainsi, les seuls vices de consentement sanctionnables sont ceux reconnus par la loi : l’erreur simple et provoquée, la lésion (en certains cas seulement) et la crainte7.

Le « dol »

Au Québec, l’exigence de la bonne foi mise de l’avant par le législateur8 impose un minimum de loyauté dans la conduite des relations contractuelles. Par conséquent, l’erreur provoquée, autrement appelée dol, est répréhensible9. Pour qu’il y ait dol, l’erreur au moment de la formation du contrat doit avoir été déterminante au consentement et l’autre partie doit avoir eu l’intention de tromper son cocontractant et avoir employé une manœuvre dolosive pour y parvenir. Le dol peut résulter d’un geste positif, comme le mensonge, ou d’un geste passif, comme le silence ou la réticence10. En cas de dol, la jurisprudence a clairement établi que le choix de la sanction revenait à la victime11.

Les sanctions pour vices de consentement

1. Annulation du contrat

Les remèdes disponibles sont prévus à l’article 1407 C.c.Q. et varient en fonction du vice de consentement. La sanction la plus répandue est celle de la nullité pleine et entière. La nullité du contrat a un effet rétroactif, c’est-à-dire que le contrat est réputé n’avoir jamais existé, ce qui implique que les prestations qui ont été exécutées doivent être restituées et que les autres cessent d’être dues12. Or, ce principe de restitution rencontre des obstacles tels la perte du bien, l’aliénation de celui-ci, les impenses, les fruits et revenus et l’implication de tiers. Ce sont des raisons parmi d’autres qui expliquent pourquoi la nullité complète ne dessert pas toujours l’intérêt des parties. En effet, il est possible de concevoir une situation où il serait préférable pour un contractant d’avoir recours à un autre type de sanctions. À cet égard, l’article 1407 C.c.Q. permet, dans certains cas, l’octroi de dommages-intérêts ou encore la réduction des obligations. Il convient de s’attarder sur ce dernier point.

2. Réduction des obligations

Il est tout à fait possible que les parties à un acte juridique désirent conserver celui-ci, sous réserve d’un ajustement des clauses litigieuses. Or, rappelons que le contrat tient lieu de loi à ceux qui l’ont conclu13. Par conséquent, modifier le contenu obligationnel va non seulement à l’encontre des principes de la liberté contractuelle et du consensualisme, mais également contre le principe de la force obligatoire des contrats. Toutefois, restreindre le choix de la sanction à la nullité pleine et entière enlèverait au droit la flexibilité dont il a parfois besoin pour satisfaire les contractants lésés. C’est pourquoi le tribunal a la possibilité de réviser le contenu obligationnel dans certaines situations.

À cet égard, en cas de vice de consentement, l’article 1407 C.c.Q. permet au juge de maintenir un contrat tout en réduisant l’obligation d’une partie lésée de façon équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer. Cette possibilité n’est toutefois permise qu’en cas d’erreur provoquée par le dol, la crainte ou la lésion14. Le contrat vicié par une erreur simple n’est donc pas, en principe, sujet à une telle réduction unilatérale par le tribunal.

Enfin, sans qu’un vice de consentement soit nécessaire, le défaut du commerçant ou du fabricant de respecter la Loi sur la protection du consommateur permet également au consommateur de demander au tribunal la réduction de son obligation15, lequel pourra y donner droit s’il estime qu’il s’agit de la sanction appropriée.

Nullité partielle

La modification d’un contrat peut aussi être abordée sous l’angle d’une nullité partielle. L’article 1438 C.c.Q., qui envisage en effet la possibilité qu’une ou plusieurs obligations contractuelles soient nulles, sans que l’acte entier ne le devienne, confirme qu’il est possible de demander uniquement le retrait de certaines clauses ou conditions litigieuses.

Toutefois, cet article précise également que l’annulation de clauses est permise, à moins qu’il n’apparaisse que le contrat doive être considéré comme un tout indivisible. Les clauses que l’on désire retirer doivent donc être secondaires ou complémentaires plutôt qu’essentielles au reste du contrat, sans quoi l’annulation de celles-ci viderait l’acte entier de tout son sens16.

La nullité partielle peut ainsi être demandée dans les cas prévus par la loi. Par exemple, la clause abusive d’un contrat de consommation ou d’adhésion est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible17. Une clause illicite ou contraire à l’ordre public, comme une clause de non-concurrence trop large, peut aussi être annulée sans remettre en question la validité du contrat18, dans la mesure où la clause n’en constitue pas l’essence19.

Abus de pouvoir ou iniquité d’une société

Bien que ce pouvoir soit souvent ignoré, la Loi sur les sociétés par actions prévoit qu’en cas d’oppression d’un actionnaire, d’un administrateur ou d’un dirigeant par une société par actions visée par cette loi, il est possible de demander la modification d’un contrat ou d’une opération auquel la société est partie20. La Loi canadienne sur les sociétés par actions prévoit des dispositions similaires, mais elle est rédigée de façon encore plus large, puisqu’elle permet également aux créanciers des sociétés régies par cette loi d’adresser une telle demande si celle-ci abuse de ses droits ou se montre injuste à son égard en lui portant préjudice21.

Il faut toutefois que l’abus de pouvoir ou l’iniquité soit clair et que la modification des clauses du contrat apparaisse comme la sanction appropriée, puisque le tribunal dispose en la matière de larges pouvoirs pour redresser la situation22. Dans les faits, il est très rare que le tribunal opte pour la modification du contrat, puisque d’autres solutions s’avèrent souvent plus appropriées et moins attentatoires au principe du consensualisme.

Ce qu’il faut en retenir

Au Québec, il existe peu de décisions judiciaires où le tribunal accepte de modifier le contenu d’un contrat. Toutefois, il lui est permis de le faire que lorsque la loi le permet. Par exemple, lorsque le consentement de l’une des parties à une clause du contrat a été vicié par le dol, le jugement de l’Honorable Juge Chantal Gosselin confirme qu’il est possible pour le tribunal de maintenir la validité du contrat en réduisant l’obligation contractuelle par la modification des conditions du contrat en faveur de la partie lésée, c’est-à-dire en annulant la clause qui retardait le paiement.

 

Rédigé avec la collaboration de Madame Abegaëlle Duval, étudiante en droit.

 


1Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991 (ci-après : « C.c.Q. »).
2I.T. c. S.M., 2018 QCCQ 61.
3Art. 1385 C.c.Q.
4Albert MAYRAND, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 4e éd., par Mairin MAC AODHA, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 638.
5Québec (Procureur général) c. Kabakian-Kechichian, [2002] R.J.Q. 1730, par. 60.
6Par exemple, à l’égard des mineurs, des majeurs protégés ou du consommateur en cas d’application de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1;
7Art. 1399 C.c.Q.
8Art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.
9Art. 1401 C.c.Q.
10Girard c. Dufour, 2015 QCCS 340, par. 65 et 66; J.-L. BEAUDOIN et P.-G. JOBIN, Les obligations, 7e éd., Édition Yvon Blais, 2013, no223 et 229, p.337-338 et 344.
11Labrie c. Martin, 2018 QCCA 97, par. 6.
12J.-L. BEAUDOIN et P.-G. JOBIN, préc., note 10, no 376 p.460; Louise LANGEVIN et Nathalie VÉZINA, « La restitution des prestations », dans Collection de droit 2018-2019, École du Barreau du Québec, vol.6, Obligation et contrats, Cowansville, Éditions Yvon Blais, EYB2018CDD135 (La référence).
13Art. 1458 C.c.Q.; Pacta sunt servanda.
14 Voir également art. 1408 C.c.Q.
15Art. 272 c) L.p.c.
16Ste-Cerile-de-Lévard (Corporation municipale de la paroisse de) c. Loisirs de Ste-Cécile de Lévrard Inc., 2014 QCCS 572, par. 59; Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015,  no2055 et 2056, p.855-856.
17Art, 1437 C.c.Q.
18C Électrique inc. c. Perron, 2018 QCCS 2540, par. 45.
19Graphiques Matrox inc. c. Nvidia Corporation, 2001 CanLII 24831 (QC CS), par. 186.
20Art. 450 L.s.a.
21Art. 241 (2) L.c.s.a.
22Art. 451 L.s.a.; Art. 241 (3) L.c.s.a.