COVID-19 – Mesures prises par les tribunaux concernant certains délais en matière pénale et criminelle


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Le 23 mars dernier, l’arrêté 2020-009 de la ministre de la Santé et des Services sociaux suspendait certains délais prévus au Code de procédure pénale. Le lendemain, la ministre de la Justice et procureure générale du Québec, Mme Sonia LeBel, annonçait, par l’entremise d’un communiqué l’entrée en vigueur de l’arrêté ministériel.

Ainsi, à l’exception des affaires jugées urgentes par les tribunaux, sont suspendus jusqu’à l’expiration de la période de la déclaration d’état d’urgence sanitaire, les délais suivants prévus au Code de procédure pénale (ci-après « C.p.p. »)1 :

  • pour retenir la chose saisie ou le produit de sa vente et en demander la prolongation (articles 132 et 133);
  • pour transmettre un plaidoyer à la suite de la signification d’un constat d’infraction (article 160);
  • pour produire une demande de rétractation d’un jugement rendu par défaut (article 252);
  • pour interjeter un appel devant la Cour supérieure (article 271);
  • pour produire un acte de comparution à la Cour supérieure (article 274);
  • pour demander un appel sous forme d’une nouvelle instruction (article 282);
  • pour demander une permission d’appeler à la Cour d’appel (article 296);
  • pour produire un acte de comparution à la Cour d’appel (article 303);
  • pour produire un mémoire et une preuve de sa signification au greffe de la Cour d’appel (articles 304 et 305);
  • pour payer une somme due au percepteur (article 322);
  • pour exécuter des travaux compensatoires (article 338).

Toutefois, malgré les articles 96 et 103 du Code de procédure pénale, toute perquisition peut être autorisée par télémandat.

Dans la foulée de cet arrêté ministériel et des multiples décrets prolongeant l’état d’urgence sanitaire, les trois principaux tribunaux du Québec, soit la Cour du Québec, la Cour supérieure et la Cour d’appel ont eux aussi émis des directives relativement aux délais en matière pénale et criminelle.

Pour de plus amples informations concernant les mesures prises affectant l’appareil judiciaire, nous vous invitions à consulter le site du Ministère de la justice ainsi que le site du Barreau du Québec.

Cour d’appel du Québec

En matière pénale

En ce qui concerne les délais en matière pénale, la Cour mentionne que, conformément à l’arrêté ministériel susmentionné, les délais concernant la Cour d’appel sont suspendus sauf pour les matières jugées urgentes par les tribunaux.

En matière criminelle

Pour les matières criminelles, la Cour stipule qu’il n’y a pas de suspension de délais pour le moment tel qu’indiqué dans le communiqué daté du 24 mars 2020. Les avis d’appel et les requêtes pour permission d’appeler devront donc être déposés dans les délais habituels, sous réserve des prorogations qui pourront être demandées selon les règles habituelles. Toutefois, la Cour mentionne que si les parties estiment être incapables de respecter leur échéancier pour le dépôt des mémoires ou des documents tenant lieu de mémoire, elles sont invitées à envoyer une lettre par télécopieur ou un courriel afin de faire des demandes de prolongation de délai. Vu les circonstances exceptionnelles, la Cour d’appel ajustera les délais en conséquence.

De plus, la Cour, dans un communiqué du 7 avril dernier, mentionne qu’elle reporte toutes les causes au fond fixées aux rôles jusqu’au 15 mai 2020 à une date indéterminée, sous réserve de ce qui suit :

Afin de pallier, dans la mesure du possible, les inconvénients résultant de cette mesure, la Cour mentionne la possibilité qu’elle tranche certains pourvois sans audience, conformément aux articles 72 des Règles de la Cour d’appel du Québec en matière criminelle2  ou 67 du Règlement de la Cour d’appel du Québec en matière pénale3 , selon le cas.

Les parties pourront adresser une demande conjointe en ce sens à la Cour. Celle-ci décidera par la suite s’il est approprié de procéder ainsi et informera les parties de sa décision.

À défaut de recevoir une demande en ce sens, la Cour reportera l’audition de l’appel et renverra le dossier au maître des rôles pour fixation d’une date d’audition ultérieure.

Pour de plus amples informations concernant toutes les mesures prises par la Cour d’appel du Québec, nous vous invitions à consulter le site de la Cour d’appel.

Cour supérieure du Québec

En matière pénale

Dans un communiqué du 31 mars 2020, la Cour supérieure,  considérant l’arrêté ministériel susmentionné et les décrets 177-2020, 222-2020 et 388-2020 renouvelant l’état d’urgence sanitaire, a suspendu les délais prévus aux articles suivants des Règles de pratique de la Cour supérieure en matière pénale4 :

  • 11 : 30 jours du dépôt du dossier complet au greffe pour la production d’une argumentation écrite;
  • 19 : 15 jours avant l’audition d’appel pour que l’appelant dépose des arguments supplémentaires;
  • 20 al.2 : transmission de l’avis d’appel par le greffe;
  • 22 al. 2 : retrait de l’avocat au dossier sur permission d’un.e juge 10 jours avant l’audition d’un appel;
  • 23 : 10 jours du délai pour comparaitre pour la présentation d’une requête en cautionnement (art. 278 C.p.p.) ou en rejet (art. 279 C.p.p.);
  • 24 : préparation du dossier par le greffe sur réception d’un avis d’appel;
  • 25 : mise en état du dossier.

En matière criminelle

Par le biais d’un communiqué, elle a également annoncé la suspension des délais prévus aux articles suivants des Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle5 jusqu’à la levée, par le gouvernement du Québec, de l’état d’urgence sanitaire:

  • 10 : retrait de l’avocat du dossier 14 jours avant l’ouverture du terme;
  • 24 : 30 jours pour intenter un recours extraordinaire;
  • 31 : 15 jours avant l’audition d’appel pour que l’appelant dépose des arguments supplémentaires;
  • 32 : 30 jours pour inscrire en appel en matière sommaire;
  • 33 : dépôt d’un acte de comparution de l’intimée dans les 10 jours de la signification de l’appel;
  • 34 : préparation du dossier d’appel par le greffier.

Pour de plus amples informations concernant toutes les mesures prises par la Cour supérieure du Québec, nous vous invitions à consulter le site de la Cour supérieure.

Cour du Québec

La Cour du Québec s’est dotée d’un plan de continuité en lien avec la présente situation.

En matière pénale

Ce qui est suspendu : Tous les dossiers fixés sont reportés. Les défendeurs recevront par la poste un avis pour une nouvelle audition.

Ce qui est maintenu : Une demande visant le sursis d’exécution de jugement (art. 255 du C.p.p.) est la seule procédure considérée urgente.

En matière criminelle

Ce qui est maintenu :

  • Première comparution des personnes détenues : art. 503 du Code criminel;
  • Enquêtes sur mise en liberté : art. 515 du Code criminel;
  • Enquêtes sur mise en liberté des personnes détenues en vertu d’un défaut mandat;
  • Examen de la détention : art. 525 du Code criminel;
  • Enquête préliminaire et procès, lorsqu’un juge détermine qu’il y a urgence suivant le processus établi par le juge coordonnateur régional de chacune des 10 régions desservies par la Cour du Québec.

Pour de plus amples informations concernant toutes les mesures prises par la Cour du Québec, nous vous invitons à consulter le site de la Cour du Québec.

Qu’en est-il de l’arrêt Jordan?

Le 8 juillet 2016, la Cour suprême rendait l’arrêt Jordan6 , une décision qui secoua le système de justice criminelle. Le plus haut tribunal du pays a alors fixé certains délais dans lesquels un accusé doit être jugé, soit 18 mois pour les affaires instruites devant une cour provinciale et 30 mois pour les affaires instruites devant une cour supérieure (ou les affaires instruites devant une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire). Des délais plus longs sont présumés déraisonnables et contraires aux droits des accusés. Bien entendu, le délai imputable à la défense ou celui qu’elle renonce à invoquer ne compte pas dans le calcul visant à déterminer si ce plafond établi par la Cour suprême est atteint. Une fois que le plafond présumé a été dépassé, il incombe au ministère public de réfuter la présomption du caractère déraisonnable du délai en invoquant des circonstances exceptionnelles. S’il ne peut le faire, un arrêt des procédures doit suivre. Une circonstance exceptionnelle est le seul fondement permettant au ministère public de s’acquitter du fardeau qui lui incombe de justifier un délai qui excède le plafond établi. La Cour suprême définit les circonstances exceptionnelles comme « des circonstances indépendantes de la volonté du ministère public, c’est-à-dire qu’elles sont raisonnablement imprévues ou raisonnablement inévitables, et qu’on ne peut raisonnablement y remédier »7. Cela étant, nous sommes d’avis qu’il est raisonnable de penser que la pandémie liée à la COVID‑19 déclenchant un état d’urgence sanitaire au Québec et au Canada et réduisant significativement l’accès au système de justice pourrait être considéré comme une circonstance exceptionnelle par les tribunaux suivant la définition établie dans l’arrêt Jordan.

Alors, qu’en est-il du calcul du délai en temps d’urgence sanitaire? Est-il suspendu? Techniquement, le délai court toujours, mais la portion du délai occasionné par une circonstance exceptionnelle est soustraite du calcul du délai total écoulé. Ainsi, le tribunal, qui aurait à se pencher sur cette question en lien avec la pandémie, pourrait conclure non pas à la suspension de ce délai, mais plutôt à la soustraction de ce dernier du calcul visant à déterminer si le plafond est atteint.

Toutefois, toujours selon la Cour suprême, le ministère public et le système de justice doivent être prêts à atténuer le délai découlant de la circonstance exceptionnelle8 . Ainsi, toute portion de ce délai que le ministère public et le système de justice pourraient raisonnablement atténuer pourrait ne pas être soustraite du délai total écoulé. Le tribunal ne serait donc pas tenu de soustraire l’entièreté du délai causé par une circonstance exceptionnelle. Il sera intéressant de voir comment le ministère public et le système de justice s’ajusteront tout au long de l’état d’urgence sanitaire. Dans l’éventualité que cette situation perdure longuement, ils devront certainement se questionner à propos des mesures pouvant être mises en place pour atténuer les délais.

 

1 Code de procédure pénale, RLRQ, c. C-25.1.
Règles de la Cour d’appel du Québec en matière criminelle, TR/2018-96.
3 Règlement de la Cour d’appel du Québec en matière pénale, RLRQ, c. C-25.1, r. 0.1.
4 Règles de pratique de la Cour supérieure en matière pénale, RLRQ, c. C-25.1, r.5.
5 Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle, TR/2002-46.
6 R. c. Jordan, 2016 CSC 27.
7 Id., par. 69.
8 Id., par. 75.