La responsabilité personnelle de l’administrateur et les articles 321 et 322 du Code civil du Québec


Par

La responsabilité d’un administrateur d’une société peut être retenue pour plusieurs raisons. En règle générale, le Code civil du Québec1, prévoit que doit agir avec honnêteté et loyauté, le tout dans l’intérêt de la personne morale, soit de l’entreprise.

Le 19 octobre  2021, la Cour du Québec rendait un jugement2 concernant la responsabilité d’un administrateur et actionnaire d’une société relativement à la mise en place d’un système de banque d’heures illégal et  contraire à la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction3. Ce litige opposait Monsieur Jean-Marc Roy et la société 9170-3049 Québec inc. (ci-après : « Peinture Catto »).  La Cour a conclu que  Monsieur Roy, administrateur et actionnaire de la société, était solidairement responsable des amendes auxquelles Peinture Catto a été condamnée.

Faits saillants

De mars 2016 à juin 2018, alors que Monsieur Roy était administrateur, employé et actionnaire de Peinture Catto, une entreprise spécialisée dans les travaux de peinture de bâtiment, un système de banque d’heures accumulées a été mis en place au sein de la société. Ainsi, les employés voyaient leurs heures travaillées en temps supplémentaires mises dans une banque d’heures, à taux simple. Lorsqu’ils prenaient un congé, la société déclarait qu’ils avaient travaillé et retirait ces heures de la banque d’heures. En bref, les heures supplémentaires auraient dû être payées à taux majoré, tel que prévu par la Commission de la construction du Québec, plus précisément par les conventions collectives dans le domaine de la construction4.

Monsieur Roy possédait 24,5% des actions de Peinture Catto qu’il avait acquises par le biais de sa compagnie de gestion. En juin 2018, il a vendu toutes ses actions et cessé d’être administrateur et employé par la même occasion. Le même jour, il a également vendu toutes les actions de sa compagnie de gestion, de laquelle il a obtenu une quittance complète de toute somme qu’il pouvait lui devoir.

Suite à une enquête de la Commission de la construction du Québec, Peinture Catto s’est vue réclamer la somme de 5 483,00 $ pour des salaires, congés payés, avantages sociaux et pénalités et 16 386,00 $ en amende pour des rapports mensuels faux ou inexact. Peinture Catto, après avoir payé lesdites sommes,  s’est tournée vers Monsieur Roy pour lui réclamer 24,5% du montant, ce qui correspondait au pourcentage de ses parts en actions dans la société.

Monsieur Roy croyait, à tort, que la quittance qu’il avait obtenue lors de la vente de sa société de gestion, qui était la personne morale détenant des actions de Peinture Catto, le prémunissait contre toute condamnation à payer quoi que ce soit à cette dernière. De plus, Monsieur Roy alléguait que son rôle comme administrateur était très limité et qu’il possédait très peu de pouvoirs dans la société. Il prétendait que toutes les décisions étaient prises par Eric Catto et que ce dernier imposait sa vision des choses aux autres administrateurs, ce qui faisait en sorte qu’il n’était pas responsable des décisions prises à l’égard de l’implantation d’un système de banque d’heures illégal.

Décision du tribunal

De l’analyse de la preuve, la Cour a retenu que l’implication de Monsieur Roy comme administrateur était plus importante que ce qu’il prétendait. Elle a retenu également que celui-ci était au courant du stratagème et l’avait lui-même utilisé à titre d’employé de la société.

C’est à titre d’administrateur de la société que Monsieur Roy a commis une faute, selon le tribunal. En effet, lorsqu’un administrateur fait commettre un acte illégal à la société, il commet une faute et il est obligé solidairement à indemniser la société pour tout préjudice qu’elle subit en raison de cette faute.

Ce principe découle des règles établies dans le Code civil du Québec aux articles 321 et 322 :

    1. L’administrateur est considéré comme mandataire de la personne morale. Il doit, dans l’exercice de ses fonctions, respecter les obligations que la loi, l’acte constitutif et les règlements lui imposent et agir dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés.
    2. L’administrateur doit agir avec prudence et diligence.
      Il doit aussi agir avec honnêteté et loyauté dans l’intérêt de la personne morale.5

Même si Monsieur Roy n’avait eu qu’un rôle négligeable à titre d’administrateur, cela ne l’aurait pas exonéré de sa responsabilité. Pour ce faire, il aurait fallu qu’il indique sa dissidence face à ce stratagème ainsi que son refus d’y participer et qu’il les fasse colliger au procès-verbal d’une réunion du conseil d’administration, tel que prévu à l’article 139 de la Loi sur les sociétés par actions6.

Enfin, contrairement à ce que croyait Monsieur Roy, il n’était pas exonéré par la quittance qu’il avait obtenue de sa société de gestion, car elle n’était pas conclue directement avec Peinture Catto et la réclamation de Peinture Catto le visait en tant qu’administrateur et non en tant qu’actionnaire.

Le tribunal a donc conclu à la responsabilité solidaire et condamné Monsieur Roy à payer à Peinture Catto 24,5% de l’amende au montant de 16 386,00 $ imposée par la Commission de la construction du Québec. Quant aux salaires, congés payés, avantages sociaux et pénalités à verser, il n’a pas eu à payer, car ces montants auraient eu à être versés par la société même en l’absence de faute de la part de Monsieur Roy. Ils ne constituaient donc pas un préjudice subi par la société en raison de la faute de Monsieur Roy.

Bien que cela n’ait pas fait l’objet du présent jugement en raison du contexte de l’affaire, il est à noter que lorsqu’il y a responsabilité solidaire, la société peut se tourner vers l’un ou l’autre des administrateurs fautifs pour lui réclamer la totalité de la somme7. Ce sera ensuite à cet administrateur de se tourner vers les autres administrateurs pour obtenir le paiement de leur part s’ils sont solvables.

Pour plus d’informations sur la responsabilité personnelle des administrateurs, consultez nos autres publications sur le sujet :

Responsabilité des administrateurs
Responsabilité extracontractuelle de l’administrateur : quand les tribunaux réitèrent que prudence et diligence sont de mise
Quand l’administrateur abusif engage sa responsabilité personnelle
La responsabilité personnelle des administrateurs et dirigeants et la surfacturation cachée
Le devoir d’honnêteté et de loyauté des administrateurs peut exister à l’égard des actionnaires 
Les dirigeants d’une compagnie ont-ils des devoirs de loyauté envers les actionnaires ?
Responsabilité extracontractuelle de l’administrateur : quand les tribunaux réitèrent que prudence et diligence sont de mise 

Rédigé avec la collaboration de Monsieur Luc Robitaille, étudiant en droit. 

1 Code civil du Québec, R.L.R.Q., c. CCQ-1991 (ci-après « C.c.Q. »).
2 9170-3049 Québec inc. c. Roy, 2021 QCCQ 10973.
3 Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction, R.L.R.Q., c. R-20.
4 Id., art. 61.
5 C.c.Q., art. 321-322.
6 Loi sur les sociétés par actions, R.L.R.Q., c. S-31.1, art. 139.
7 C.c.Q., art. 1528.