L’offre d’achat déraisonnable à un actionnaire minoritaire est-elle oppressive ?


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Est-ce qu’une offre d’achat déraisonnable peut constituer de l’oppression face à un actionnaire minoritaire ? La Cour Supérieure s’est prononcée récemment sur la possibilité d’un tel recours.

Le recours en oppression1, aussi appelé recours en redressement, est un mécanisme prévu par la Loi sur les sociétés par actions2 qui permet de réclamer des mesures correctives lorsqu’une société a un comportement abusif ou injuste envers un actionnaire.

En juin 2021, c’est dans l’affaire Vigneault c. Bouclin3, que la Cour supérieure a eu à se prononcer sur un tel recours alors que deux actionnaires d’une société œuvrant dans le domaine des résidences pour personnes retraitées se sont retrouvées devant elle pour lui exposer leur litige.

Faits saillants

Vigneault et Bouclin étaient amis de longue date. Au début des années 2000, Bouclin invite Vigneault à se joindre à la société connue sous la bannière de « Groupe Sélection »et Vigneault devient ainsi un actionnaire sans contrôle de la société. En 2012, Vigneault ayant progressivement perdu son intérêt pour les activités de la société fait part à Bouclin de son projet de se retirer. Les deux hommes conviennent alors de diverses dispositions pour permettre le retrait immédiat de Vigneault sans que Bouclin n’ait à racheter dès ce moment ses parts.

Le contrat prévoit notamment que les parties devront ultérieurement négocier de bonne foi les conditions d’achat de l’ensemble des actions de Vigneault par Bouclin. Pour ce faire, elles feront établir par un expert la juste valeur et la juste valeur marchande des parts de Vigneault au 31 décembre 2013 et au 1er avril 2016. Il est également prévu, pour la plus grande partie des actions de Vigneault, que leur valeur sera calculée en fonction de leur juste valeur marchande au 31 décembre 2013, moins un escompte à être négocié. Les parties conviennent qu’elles seront liées par l’évaluation de l’expert pour ce qui est de l’établissement de la juste valeur marchande des actions.

Or, les négociations n’aboutissent pas à une entente entre les deux hommes. Ils ne s’entendent pas sur le montant qui devrait être payé pour les actions. Vigneault considère que les offres faites par Bouclin sont « insultantes et imprégnées de mauvaise foi ». Le point d’achoppement principal est que pour Bouclin, de même que pour l’expert chargé de l’évaluation, la juste valeur marchande doit être moins élevée que la juste valeur car elle prend en compte le fait que les actions de Vigneault n’accordent pas le contrôle de la société et doit donc faire l’objet d’un escompte pour participation minoritaire .

Prétention des parties

Vigneault considère qu’il est victime d’oppression de la part de Bouclin. Il trouve ses offres de rachat injustes et de mauvaise foi. Bouclin, de son côté, rejette cette prétention et prétend que le recours en oppression n’est pas le recours approprié pour régler le différend. Il considère que le seul élément à trancher est le prix qu’il doit payer pour le rachat des actions. Il veut payer la juste valeur marchande telle que calculée, en appliquant un escompte pour refléter la diminution du prix qu’un acheteur indépendant serait prêt à payer, considérant que les actions ne lui accorderaient pas le contrôle de la compagnie.

Analyse de la Cour supérieure

En ce qui concerne le recours en oppression, la Cour donne raison à Bouclin. Les offres faites par ce dernier reflétaient le prix auquel il espérait obtenir les parts dans les circonstances. Le fait pour une partie de proposer une offre d’achat peut difficilement opprimer celle qui la reçoit puisque ni l’une ni l’autre n’est obligée de procéder à la transaction. Bouclin ne respectait peut-être pas l’esprit de la convention et il est possible qu’il négociait de mauvaise foi. Cependant, cela ne peut être qualifié d’oppression. Le conflit entre les parties est de nature purement privée. Le tribunal ne trouve pas de fond factuel permettant de conclure que les agissements du défendeur constituaient de l’oppression.

En bref, lorsqu’aucune des parties n’est obligée d’accepter de procéder à une transaction, une offre d’achat, si mauvaise soit-elle, ne peut constituer de l’oppression.

Cette décision peut, à première vue, sembler aller à l’encontre de la décision Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. c. Placements Péladeau inc.4 (ci-après l’« affaire Péladeau » ) , laquelle nous avons commentée récemment. Il convient donc de brièvement faire le point sur les distinctions de ces deux affaires.

Dans l’affaire Péladeau, la Cour d’appel a notamment retenu certains faits particuliers afin de conclure à de l’oppression. Plus précisément, elle considérait qu’il fallait prendre en considération le contexte familial autour du litige. De plus, les actions d’Esther et Simon-Pierre Péladeau ne pouvaient être échangées librement sur le marché puisque, suite à l’entente de rachat, les actions avaient été converties de sorte qu’elles ne portaient plus de dividendes et étaient rachetables seulement au gré de l’émetteur. Elles se trouvaient ainsi dépourvues de valeur sur le marché à moins que leur rachat éventuel par l’émetteur ne constitue un évènement certain ou quasi certain.

Rédigé avec la collaboration de Monsieur Luc Robitaille, étudiant en droit. 

 

1 Consultez les publications suivantes pour en apprendre davantage sur le recours en oppression : Recours en oppression : l’intention de nuire, composante essentielle?; La Cour supérieure conclut à la validité d’une entente verbale relativement à l’actionnariat d’une entreprise et Quand l’administrateur abusif engage sa responsabilité personnelle.
2 Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1, art. 450-453.
3 Vigneault c. Bouclin, 2021 QCCS 2333.
4 Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. c. Placements Péladeau inc., 2021 QCCA 956; voir la publication Recours en oppression : l’intention de nuire, composante essentielle?