Les dirigeants d’une compagnie ont-ils des devoirs de loyauté envers les actionnaires ?


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Les dirigeants et administrateurs d’une société par actions ont certains devoirs envers celle-ci. Ils ont notamment des devoirs de dénonciation des intérêts qu’ils peuvent détenir dans un contrat, des devoirs de loyauté et d’honnêteté prévus au Code civil du Québec à l’article 3221 ainsi qu’à la Loi sur les sociétés par actions à l’article 1222.

En 2021, dans une affaire3 dans laquelle les dirigeants d’une société, qui négociaient le rachat des parts des actionnaires majoritaires, cachaient  à ces derniers des négociations secrètes avec une autre entreprise dans le but de revendre les actions à un prix largement supérieur, la question s’est posée à savoir si les devoirs des administrateurs et dirigeants envers la société par actions s’étendaient également aux actionnaires.  Dans une publication antérieure, nous avions commenté la décision du juge de première instance qui avait conclu par l’affirmative et l’affaire a été portée devant la Cour d’appel.

FAITS SAILLANTS

Les appelants dans ce litige exerçaient les fonctions de présidents pour trois sociétés appartenant aux deux actionnaires fondateurs. En 2002, ils signaient une entente avec les deux actionnaires prévoyant une bonification de leur rémunération en fonction, notamment, du dégagement de profits.

Quelques années plus tard, les appelants entament des pourparlers avec les deux actionnaires en vue de racheter leurs intérêts dans les sociétés. Ceux-ci finissent par leur vendre leurs actions pour des sommes respectives de 10 300 000$ et 26 500 000$.

Ce n’est que plus tard que les actionnaires ont découvert que les dirigeants avaient procédé à des négociations secrètes avec une tierce société afin de leur revendre leurs intérêts dans la société pour un montant total de 74 280 000$.

PRÉTENTION DES PARTIES

Les actionnaires fondateurs prétendent que les dirigeants et administrateurs ont manqué à leur devoir d’agir avec loyauté et honnêteté et que par leurs faits et gestes ils les ont lésés en s’appropriant une opportunité d’affaires à leur détriment. Ils soutiennent que leurs agissements vont à l’encontre de l’article 323 du Code civil du Québec et constituent une violation des obligations incombant à tout administrateur.

Les dirigeants, quant à eux, prétendent, entre autres, qu’ils n’ont pas manqué à leurs devoirs, dont l’obligation de renseignement et que leur obligation était d’agir de bonne foi dans l’intérêt de la société et non celui des actionnaires. Ils ajoutent qu’ils étaient mandataires de la société et non des actionnaires. Enfin, ils affirment qu’en l’absence d’une clause « anti-flip » à l’entente conclue avec les actionnaires, ils n’ont pas contrevenu à leur contrat avec ceux-ci.

ANALYSE DE LA COUR SUPÉRIEURE

La Cour supérieure4 donne raison aux deux actionnaires fondateurs et considère que les dirigeants de la société sont avant tout redevables des devoirs de bonne foi, de loyauté et d’intégrité envers la société, mais que ces devoirs s’étendent également aux actionnaires lorsqu’il existe une relation indépendante entre actionnaires et dirigeants ou administrateurs, telle que l’entente signée par les parties. En utilisant des informations obtenues grâce à leur position au sein de la société, en transmettant des informations confidentielles à une tierce société à l’insu des actionnaires et en omettant de les informer de l’intérêt manifesté par cette tierce société, ils ont lésé les actionnaires. De l’opinion de la Cour, leurs comportements ont eu une incidence sur la décision des actionnaires de se départir de leurs actions ainsi que sur l’évaluation du prix qu’ils auraient pu en obtenir. Les dirigeants se sont placés en conflit d’intérêts en faisant primer leurs propres intérêts sur ceux des actionnaires.

ANALYSE DE LA COUR D’APPEL

La Cour d’appel arrive sensiblement au même résultat, mais emprunte un cheminement juridique différent. Elle considère que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les devoirs des dirigeants ou administrateurs pouvaient être étendus aux actionnaires. C’est en effet à la société et non aux actionnaires que sont destinés les devoirs de loyauté et d’honnêteté. De même, les administrateurs sont considérés mandataires de la société et non des actionnaires. La Cour donnera tout de même gain de cause aux deux actionnaires fondateurs, mais pour de toutes autres raisons, soit les devoirs de bonne foi dans l’exécution des contrats. Ainsi, c’est uniquement en raison du contrat et non en vertu d’un quelconque manquement à un devoir envers les actionnaires que l’appel des deux dirigeants a été rejeté.

En bref, les dirigeants et administrateurs de société par actions n’ont pas de devoirs de loyauté ou d’honnêteté liés à leur fonction envers les actionnaires. Leurs devoirs en ce cas n’existent qu’envers la société elle-même.

Rédigé avec la collaboration de Monsieur Luc Robitaille, étudiant en droit.

 

1Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 322.
2Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1, art. 122.
3Ponce c. Société d’investissement Rhéaume Ltée, 2021 QCCA 1363.
4Société d’investissements Rhéaume ltée c. Ponce, 2018 QCCS 3538.