Accident de travail : un employé fédéral ne peut à la fois bénéficier des indemnités gouvernementales et intenter une poursuite civile


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Chaque année, d’innombrables accidents de travail surviennent au Québec. En 2022, 161 926 lésions professionnelles ont été recensées, soit 12 150 maladies professionnelles et 149 812 accidents du travai1. Les programmes gouvernementaux qui accordent des indemnités de remplacement de revenus en cas d’accident de travail sont donc grandement sollicités par la population.

Au Québec, une personne qui se blesse sur son lieu de travail a droit à une indemnité versée par la CNESST2, un organisme gouvernemental provincial régi par la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles3(« LATMP »). Or, comme il s’agit d’une loi québécoise, que se passe-t-il pour les employés du gouvernement fédéral qui travaillent au Québec? Ces employés fédéraux bénéficient-ils des mêmes protections ou doivent-ils s’en tenir à celles accordées par la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État4 (« LIAÉ »)?

La Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Roxboro Excavation5 rédigé par l’honorable juge Stéphane Sansfaçon répond à ces questions.

Faits

Serge Fournelle est chef de cour à l’administration portuaire de Montréal depuis 1984. Celui-ci est donc assujetti à la LIAÉ dans le cadre de son emploi. M. Fournelle allègue avoir été sérieusement blessé par la chute d’une barrière de métal avec barbelé, sur son lieu de travail. Le travailleur a été sérieusement blessé. Les travaux de réparation sur la clôture et la surveillance du chantier étaient assurés par des tiers et non son employeur.

  1. Fournelle a touché des prestations en vertu de la LATMP. Au soutien de sa demande introductive d’instance, il réclame maintenant 1 703 392,52$, en excédent de la somme reçue par la CNESST, aux défendeurs qui étaient tenus de réparer la clôture mise en cause et qui étaient aussi responsables de la surveillance du chantier.

Contexte et historique judiciaire

Les défendeurs ont conjointement présenté une demande en irrecevabilité devant la Cour supérieure afin de demander le rejet de la demande introductive d’instance de monsieur Fournelle. C’est alors que l’honorable juge Gary D.D. Morisson a accueilli la demande en irrecevabilité des défendeurs au motif que M. Fournelle avait renoncé à son droit de réclamer aux tiers fautifs en présentant une demande d’indemnité à la CNESST. Le demandeur s’est ensuite pourvu à l’encontre de ce jugement devant la Cour d’appel du Québec.

Question en litige

Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec doit décider si la Cour supérieure a erré en concluant qu’un employé visé par la LIAÉ ne pouvait toucher des prestations d’indemnité de la CNESST en plus de poursuivre les tiers pour l’excédent des dommages qui n’auront pas été couverts.

Analyse

L’honorable juge Sansfaçon explique que le recours de M. Fournelle est basé sur son droit conféré par l’article 9 de la LIAÉ :

« 9 (1) Si l’accident dont a été victime l’agent de l’État ouvre droit pour lui ou les personnes à sa charge à un recours contre un tiers, l’agent ou ces personnes, s’ils ont également droit à l’indemnité prévue par la présente loi, peuvent soit demander celle-ci, soit exercer le recours contre le tiers.

(2) L’option exercée par l’agent de l’État ou les personnes à sa charge est définitive. »6

Il est donc clair, sur la base de cet article que l’assujetti doit faire un choix. Il sera impossible pour lui de percevoir des prestations du régime d’indemnisation étatique prévu à l’article 4 de la LIAÉ sans renoncer au droit de réclamer l’excédent à un tiers. N’eût été la LIAÉ, la cour affirme que le demandeur aurait possédé un recours en responsabilité civile contre les tiers fautifs en application de l’article 1457 du Code civil du Québec.

Il importe de préciser que si le travailleur fédéral choisit de poursuivre le tiers fautif et de ne pas réclamer d’indemnité du régime d’indemnisation étatique et qu’au terme de cette poursuite, la somme obtenue est inférieure à l’indemnité à laquelle il aurait eu le droit, le trésor fédéral lui versera l’équivalant de la différence entre les deux. Or, l’enjeu ne se trouve pas ici.

  1. Fournelle prétend que puisque l’article 4 de la LIAÉ renvoie à l’article 17 de la LATMP pour les travailleurs québécois, la LATMP en entier s’applique à lui. En tenant pour acquis que l’entièreté de la LATMP s’applique à M. Fournelle, il prétend que l’article 441 prendrait application en l’espèce. Ainsi, selon lui, il conserve le droit de réclamer des tiers responsables pour la différence entre son préjudice réel et l’indemnité reçue de la CNESST.

À la lecture des articles 9 de la LIAÉ et 441 de la LATMP, on constate ici un conflit. Une des dispositions autorise le cumul de recours et l’autre l’interdit. Le juge Sansfaçon explique donc que 441 de la LATMP ne crée aucun droit d’action et que par conséquent ce cumul de recours n’est pas autorisé pour les travailleurs fédéraux œuvrant au Québec. Considérant l’absence d’erreur de droit commis par le juge de première instance, la Cour d’appel du Québec confirme que monsieur Fournelle a renoncé à son droit de poursuivre les tiers fautifs en raison de sa demande d’indemnisation à la CNESST.

L’article 441 de la LATMP se lit ainsi :

  1. Un bénéficiaire ne peut intenter une action en responsabilité civile, en raison d’une lésion professionnelle, contre un employeur assujetti à la présente loi, autre que celui du travailleur lésé, que:
    • 1°  si cet employeur a commis une faute qui constitue une infraction au sens du Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46) ou un acte criminel au sens de ce code;

2°  pour recouvrer l’excédent de la perte subie sur la prestation;

3°  si cet employeur est une personne responsable d’une lésion professionnelle visée dans l’article 31; ou

4°  si cet employeur est tenu personnellement au paiement des prestations.

Malgré les règles relatives à la prescription édictées au Code civil, une action en responsabilité civile pour une faute visée dans le paragraphe 1° du premier alinéa ne peut être intentée que dans les six mois de l’aveu ou du jugement final de déclaration de culpabilité7.

Conclusion

Il est donc prohibé pour un agent de l’état fédéral travaillant au Québec de bénéficier du cumul de recours que prévoit la LATMP. Il doit faire le choix entre demander l’indemnisation des régimes gouvernementaux ou opter pour une poursuite civile.

Ce ne sont pas seulement les employés de l’État fédéral qui ne sont pas assujettis à la LATMP. En effet, certains travailleurs ne peuvent bénéficier des protections de régimes étatiques d’indemnisation, pensons par exemple aux cadres supérieurs ou aux dirigeants de différentes sociétés. Chaque cas est donc un cas d’espèce.

En définitive, peu importe la loi à laquelle un employé est assujetti, il existe des façons d’aller chercher le maximum de l’indemnité à laquelle il a droit. Il est donc suggéré, pour protéger les droits de tous, de rapidement consulter un avocat après la survenance d’un accident de travail.

Rédigé avec la collaboration de Madame Alexiane Boissé-Leclerc et Monsieur William Cadran, étudiants en droit. 

 

1Commission des normes de l’équité de la santé et de la sécurité du travail, (2023) « Jour commémoratif des personnes décédées ou blessées au travail ».
2Commission des normes de l’équité de la santé et de la sécurité du travail.
3 Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001.
4Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G-5.
5Fournelle c. Roxboro Excavation inc., 2022 QCCA 892.
6Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, préc., note 2, art. 9.
7Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles, préc. note 3, art. 441.