Langue au travail : ce que les employeurs doivent savoir sur les récentes modifications à la Charte de la langue française


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Le projet de loi 96 du gouvernement québécois a été sanctionné par le lieutenant-gouverneur le 1er juin dernier et se nomme désormais Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. C’est par cette toute nouvelle loi que le gouvernement a modifié plusieurs dispositions de la Charte de la langue française1(ci-après nommée la « Charte »), et d’autres lois, et ce, afin de renforcer la place du français et réaffirmer qu’elle est la langue officielle et commune au Québec. Cependant, bon nombre des modifications apportées à la Charte ont un impact direct sur les employeurs de la province. Le projet ayant reçu la sanction royale, les dispositions ont maintenant force de loi et les employeurs sont tenus de s’y conformer.

La question est alors la suivante : quelles sont les nouvelles obligations législatives en matière de langue au travail auxquelles les employeurs doivent se conformer? Voici les principaux changements que vous devez savoir et auxquels vous devez possiblement vous conformer en tant qu’employeur.

Communications avec les salariés, contrats de travail et offres d’emploi

Depuis le 1er juin 2022, la Charte commande que les employeurs respectent le droit de leurs salariés d’exercer leurs activités en français.

Par conséquent, l’employeur doit utiliser le français lorsqu’il communique par écrit avec son personnel ou avec un salarié en particulier, et ce, même après la rupture du lien d’emploi. Exceptionnellement, un employeur peut communiquer avec un de ses salariés exclusivement dans une autre langue seulement si ce dernier en fait la demande.

L’employeur est également tenu d’utiliser le français lorsqu’il communique par écrit avec une partie de son personnel ou avec une association de travailleurs.

De plus, il doit s’assurer que les formulaires de demande d’emploi, les documents ayant trait aux conditions de travail de même que les documents de formation destinés au personnel soient tous rédigés en français. La version française de ces documents doit être accessible dans des conditions « au moins aussi favorables » que les documents rédigés dans une langue autre que la langue officielle du Québec.

Aussi, l’employeur doit veiller à ce que la diffusion des offres d’emploi, des mutations et des promotions soit effectuée en langue française. À ce sujet, l’employeur qui désire combler un poste par recrutement, embauche, mutation ou promotion, doit s’assurer que la diffusion de l’offre d’emploi en version française soit réalisée « par des moyens de transmission de même nature et atteignant un public cible de taille comparable » que la version diffusée dans une autre langue.

Finalement, les contrats individuels de travail écrits ne sont pas épargnés par la réforme. En effet, ceux-ci doivent être rédigés en français, mais il est toutefois possible pour les parties de convenir autrement si telle est leur volonté expresse. Lorsque le contrat individuel de travail est un « contrat d’adhésion2 », les parties peuvent choisir, expressément, d’être liées par la version rédigée dans une autre langue, mais uniquement après avoir pris connaissance de la version française.

Exigence langagière à l’embauche, à la mutation ou à la promotion

Pour l’obtention d’un emploi, il était déjà interdit pour un employeur d’exiger un niveau spécifique de connaissance d’une langue autre que le français. Cependant, si l’employeur pouvait démontrer la nécessité de cette connaissance pour l’accomplissement des tâches liées à l’emploi, il pouvait dès lors exiger la connaissance d’une autre langue. Le gouvernement a choisi de resserrer la vis en cette matière par l’adoption du projet de loi 96.

Ainsi, depuis le 1er juin 2022, les employeurs qui désirent embaucher, recruter, muter ou même promouvoir un salarié à un poste devront avoir pris tous les moyens raisonnables afin d’éviter qu’une exigence langagière autre que le français soit imposée pour accéder audit poste. Cette nouvelle disposition s’applique donc avant même que l’employeur puisse exiger, dans le cadre d’un poste précis, la connaissance d’une autre langue jugée nécessaire pour l’accomplissement des tâches. Plus précisément, cette nouvelle disposition exige désormais à l’employeur de respecter les trois (3) conditions préalables suivantes :

  1. L’employeur doit avoir évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir;
  2. L’employeur doit s’être assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches;
  3. L’employeur doit avoir restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que la langue officielle du Québec.

À défaut de respecter l’une de ces conditions, l’employeur sera « réputé » ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables. Il ne pourra donc pas exiger d’un employé la connaissance d’une autre langue que le français et peut être exposé à d’éventuels recours.

Il est important de souligner que ces conditions ne s’appliquent pas dans le cas où un employeur devrait effectuer une réorganisation déraisonnable de son entreprise pour pouvoir se conformer aux nouvelles dispositions.

Harcèlement en raison de la langue

Dorénavant, il est explicitement prévu que tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de discrimination ou de harcèlement découlant de la non-connaissance d’une langue autre que le français, s’il revendique la possibilité de s’exprimer dans la langue officielle du Québec ou s’il a exigé le respect d’un droit découlant du chapitre VI de la Charte.

Lorsqu’une telle conduite est portée à la connaissance de l’employeur, ce dernier devra agir pour faire cesser la situation et devra prendre les moyens raisonnables afin de prévenir tout éventuel cas de harcèlement ou de discrimination.

Francisation du milieu de travail

La nouvelle mouture de la Charte prévoit que les entreprises employant entre 25 et 49 salariés devront maintenant se soumettre aux mêmes règles de francisation qui prévalent au sein des entreprises de 50 personnes et plus.

Ces entreprises devront alors s’inscrire à l’Office québécois de la langue française (ci-après nommé l’ « Office »), et devront ensuite faire une analyse de la situation linguistique de leur entreprise, puis remettre cette analyse à l’Office dans les trois (3) mois de l’attestation de leur inscription.

Les entreprises qui emploient entre 25 et 49 salariés bénéficient d’un délai de trois (3) ans pour procéder à leur inscription auprès de l’Office. Par conséquent, celles-ci devront s’inscrire avant le 1er juin 2025.

S’il est démontré que l’ensemble du milieu de travail utilise de façon généralisée la langue française, un certificat de francisation sera émis à l’entreprise et celle-ci devra continuer d’assurer une utilisation généralisée du français entre ses murs.

Dans le cas contraire, l’Office ordonnera à l’entreprise d’entreprendre les démarches de francisation appropriées, c’est-à-dire qu’elle devra élaborer et suivre un plan de francisation afin de permettre une utilisation généralisée de la langue française dans son milieu de travail. L’Office peut également exiger, pour les entreprises comptant entre 25 et 49 salariés, qu’un comité de francisation soit mis sur pied.

Application de la Charte aux entreprises de compétences fédérales exerçant des activités au Québec

Le législateur prévoit maintenant qu’aucun article de la Charte « ne peut être interprété de façon à empêcher l’application à toute entreprise ou à tout employeur qui exerce ses activités au Québec ». Bien que cet article ne précise pas la juridiction des entreprises visées, il est possible de soutenir que la Charte pourrait s’appliquer aux employeurs de juridiction fédérale. Cette idée concorderait alors avec ce que le gouvernement avait annoncé lorsque le projet de loi était sous étude3.

Types de sanctions en cas de contravention

En cas de non-conformité aux dispositions de la Charte, les employeurs s’exposent à diverses sanctions, autant de nature civile, administrative que pénale. Ces sanctions comprennent notamment, mais sans s’y limiter :

  • le refus de se voir octroyer un contrat publique ou une subvention gouvernementale en raison de la non-conformité de l’employeur au processus de francisation;
  • la résiliation ou la résolution d’un contrat conclu avec un organisme de l’administration publique;
  • la suspension de l’exécution d’un contrat conclu avec l’administration publique lorsque le manquement à la Charte résulte de l’exécution de ce contrat;
  • la suspension ou la révocation d’un permis ou d’une autre autorisation de même nature en cas de manquements répétés;
  • un manquement aux normes d’éthique et de discipline ou, selon le cas, aux normes d’éthique et de déontologie;
  • une amende de 3 000,00 $ à 30 000,00 $.

Conclusions

La sanction royale accordée au projet de loi 96 emporte plusieurs modifications au sein du corpus législatif québécois, particulièrement en ce qui concerne la Charte. Ces changements modifient substantiellement les obligations des employeurs en matière de langue au travail et ces derniers sont tenus de s’y conformer, pour la plupart, depuis le 1er juin 2022. Bien que nouvellement instaurée, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français fait déjà l’objet de contestations constitutionnelles et plusieurs prévoient que d’autres contestations suivront. Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de ces changements législatifs au regard des contestations judiciaires à venir et, qui sait, peut-être que certaines modifications seront jugées inconstitutionnelles.

 

1 Charte de la langue française, RLRQ c C-11.
2 Le contrat est d’adhésion lorsque les stipulations essentielles qu’il comporte ont été imposées par l’une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qu’elles ne pouvaient être librement discutées. Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art 1379.
3Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, LQ 2022, c 14, art. 67.