Le respect entre collègues : une obligation déontologique


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Traiter ses collègues avec respect est une obligation déontologique pour le professionnel dans l’exercice de ses fonctions. Cette obligation de respect est tirée de l’article 59.2 du Code des professions :

« Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession. »1

Un professionnel commet donc une faute déontologique s’il contrevient à l’article 59.2 du Code des professions. Pour conclure qu’un professionnel a transgressé cet article, le Conseil devra venir à la conclusion que le comportement reproché se situe en dessous d’un comportement acceptable :

« […] il faut distinguer le comportement souhaitable du comportement acceptable. »2

C’est justement cette notion bien importante qui est analysée dans le jugement Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Cournoyer3.

Dans cet article, nous explorerons donc les différentes situations, exposées dans le jugement Cournoyer, dans lesquelles les agissements de M. Cournoyer, un membre de l’ordre professionnel des comptables agréés, travaillant à titre de vérificateur général de la ville de Trois-Rivières, ont été considérés par le Conseil comme étant des actes dérogatoires à l’honneur et à la dignité de la profession. Plusieurs chefs d’accusation étaient portés contre M. Cournoyer dont cinq étaient en vertu de l’article 59.2 du Code des professions et de l’article 5 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés lequel émet une obligation équivalente à l’article 59.2 du Code des professions précité :

« Le membre doit, en tout temps, agir avec dignité et éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession. »4

Premier chef d’accusation – Harcèlement psychologique de son adjointe

Un jour, M. Cournoyer se rend dans le bureau de son adjointe et se met à crier très fort « c’est qui le patron ici? » en la pointant du doigt. Ensuite il frappe ses poings sur le bureau en disant, toujours à son adjointe : « ça va prendre un homme icitte pour te dire quoi faire ».

À ce moment, l’adjointe de M. Cournoyer a peur. Tellement, qu’elle a dû quitter le bureau pour le reste de la journée.

Il arrive à tout le monde d’être déçu du travail d’un de ses collègues ou même d’être fâché de la réaction d’un de ceux-ci. Il est toutefois primordial que le professionnel adopte, en tout temps, un comportement respectueux dans l’exercice de ses fonctions :

« Tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel, l’intimé [le professionnel] doit démontrer du respect dans ses rapports avec son adjointe, et ce, nonobstant la situation à laquelle il est confronté. »5

Cet événement, à lui seul, a permis au Conseil de conclure à une faute déontologique de M. Cournoyer, car le comptable a manqué de respect à l’égard de son adjointe et a adopté un comportement agressif envers elle. Ce comportement se situe en dessous d’un comportement acceptable et porte donc atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession, ce qui le rend coupable d’une contravention à l’article 5 de son code de déontologie et également d’une contravention à l’article 59.2 du Code des professions.

Deuxième et troisième chef d’accusation – Diffamation

L’adjointe explique qu’elle a vu des articles de journaux dans lesquels M. Cournoyer la dénigrait. Le comptable explique publiquement que son adjointe est méchante et le chicane tout le temps. Cette dernière témoigne avoir ressenti les effets de cette diffamation directement sur son lieu de travail, car les autres employés discutaient de la situation dans les corridors des locaux de la ville.

L’adjointe explique également qu’à la suite de la plainte en harcèlement psychologique qu’elle avait déposée, M. Cournoyer s’est plaint auprès de ses collègues en disant que son adjointe était « folle » d’avoir déposé une plainte de cette envergure.

Le Conseil explique que « les propos d’un professionnel doivent être évalués à la lumière des attentes raisonnables du public quant au professionnalisme dont le professionnel doit faire preuve. »6

Au même titre qu’un commentaire négatif ne constitue pas nécessairement un manque de respect, un professionnel peut critiquer le travail d’une autre personne sans que cela constitue une faute déontologique. Ainsi, une critique ne sera pas considérée comme une faute déontologique si celle-ci est faite avec professionnalisme et respect.

Toutefois, dans cette affaire, la façon qu’a eu M. Cournoyer de verbaliser une critique à l’égard de son adjointe, n’a été ni professionnelle ni respectueuse. C’est pourquoi le Conseil, sous le deuxième chef d’accusation, considère cet agissement comme étant une faute déontologique.

En plus d’avoir diffamé son adjointe, M. Cournoyer a également diffamé la directrice générale de la ville et l’ancienne vérificatrice générale. Ceci constitue le troisième chef d’accusation. Il a traité ses deux collègues féminines « d’incompétentes qui ne savaient pas faire leur travail », et ce, sans motif ou justification, dans les journaux et en s’adressant à d’autres collègues.

Ces critiques, selon le Conseil, n’ont été faites avec ni respect ni professionnalisme. Les propos tenus par le comptable n’étaient pas constructifs et relevaient même d’une attitude condescendante de M. Cournoyer. C’est pourquoi le Conseil déclare le comptable coupable du troisième chef d’accusation.

Quatrième et cinquième chef d’accusation – Surnoms et misogynie

L’attitude générale au travail qu’adoptait M. Cournoyer était problématique. Cette attitude a mené au quatrième chef d’accusation pour avoir donné des surnoms irrespectueux à ses collègues ainsi qu’au cinquième et dernier chef d’accusation qui nous intéresse, soit celui d’avoir eu un comportement misogyne.

Dans un premier temps, M. Cournoyer s’amusait à donner des surnoms à ses collègues de travail. Il surnommait une employée cadre « ma princesse », le directeur du génie « le grand génie », un autre cadre « petit roux » ou « nain de jardin », le directeur des ressources humaines « le pingouin », la directrice générale « yeux croches » et le directeur des technologies de l’information « petit prout irlandais ».

Le Conseil réitère que le droit à la liberté d’expression d’un professionnel n’est pas absolu7 et indique que le fait pour le comptable d’utiliser ces noms est dénigrant et porte atteinte à la réputation des personnes victimes de ces paroles. Ayant encore une fois manqué de respect à l’égard de ses collègues, M. Cournoyer a été déclaré coupable de ne pas avoir agi en tout temps avec dignité et ne pas avoir évité toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession.

Dans un deuxième temps, le comptable s’est aussi vu reprocher une attitude misogyne. En effet, plusieurs personnes sont venues confirmer les accusations en témoignant entre autres à l’effet que les « blagues de mononcle » dites par le comptable rendaient les employés mal à l’aise en raison de leur caractère très dégradant et méprisant à l’égard des femmes.

« […] le Conseil est d’avis que les divers propos tenus par l’intimé se révèlent comme étant des propos méprisants ou blessants à l’endroit des femmes et qui ne peuvent être justifiés en aucune circonstances. »8

« Un comptable professionnel agréé, et ce, peu importe l’époque où on se place pour analyser l’impact de ses paroles auprès des femmes, [ne] peut tenir de tels propos sans contrevenir à ses obligations déontologiques »9

Il est donc clair dans l’esprit du Conseil que de tels propos ne doivent jamais être tenus dans un environnement professionnel. C’est pourquoi M. Cournoyer a été déclaré coupable d’une cinquième faute déontologique dans le cadre de ce jugement.

Conclusion

Le professionnel visé par cette décision a contrevenu à une de ses obligations déontologiques de plusieurs façons, tant par un manque de respect flagrant envers ses collègues que par une violence verbale ou encore un cruel manque de considération pour la gent féminine. Il est important de se rappeler que plusieurs autres situations peuvent être considérées comme portant atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession, et l’inverse est aussi vrai.

À ce sujet, le professionnel en question a été acquitté d’un chef d’accusation de non-respect à l’égard des employés de la SPCA. En effet, M. Cournoyer a été irrespectueux envers eux lorsqu’il a voulu adopter un chien, et pourtant, ce même genre de comportement qui a été considéré comme une faute déontologique pour les cinq premiers chefs d’accusation, n’est pas considéré comme tel pour le huitième chef10 d’accusation.

Le Conseil explique cette décision par le fait que la faute commise par M. Cournoyer envers les employés de la SPCA n’était pas assez grave pour correspondre à une atteinte à la dignité et à l’honneur de la profession.

Ainsi, si l’on imagine un cas où un professionnel commet une faute grave à l’extérieur de l’exercice de sa profession, pourrait-il être reconnu coupable d’une faute déontologique puisque celle-ci porterait atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession?  L’obligation de respect du professionnel s’étend-elle à toutes ses interactions et relations sociales, même celles en dehors de sa prestation de travail?

Il semblerait y avoir une tendance des Conseils de discipline à répondre par l’affirmative à ces deux dernières questions. Par exemple, dans le jugement récent Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Blais, un autre comptable professionnel agréé a été déclaré coupable d’une faute déontologique pour avoir contesté de façon non professionnelle les mesures de santé publique dans le cadre de la pandémie de COVID-19 sur les réseaux sociaux. Nous vous invitons à lire la capsule rédigée par notre équipe au sujet de cette décision pour en apprendre davantage sur la question.

Toutefois, chaque cas est un cas d’espèce et il est important de garder en tête que de telles décisions peuvent être portées en appel devant les tribunaux supérieurs afin que de plus hautes instances se prononcent la juste mise en balance entre les droits individuels des professionnels et leurs obligations déontologiques.

À cet égard, tout professionnel visé par une enquête professionnelle ou une plainte déposée devant son conseil de discipline devrait s’adjoindre des conseils d’un avocat afin de bien comprendre les principes applicables à sa situation particulière.

Rédigé avec la collaboration de Madame Alexiane Boissé-Leclerc, étudiante en droit. 

1 Code des professions, RLRQ, c. C-26, art. 59.2.
2 Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Cournoyer, 2022 QCCDCPA 12, par. 117.
3 Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Cournoyer, préc. note 2.
4 Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ, c. C-48.1, r.6, art. 5.
5 Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Cournoyer, préc. note 2, par. 127.
6 Id, par. 184.
7 Id, par. 222.
8 Id, par. 241.
9 Id, par. 243.
10 Il y avait en tout treize chefs d’accusations mais certains ne font pas l’objet du présent article.