Congédiement sans motif sérieux : la détermination du délai congé raisonnable


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L’article 2094 C.c.Q offre la possibilité à l’employé ou à l’employeur, pour un motif sérieux, de résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail. Avant de procéder au congédiement pour motifs sérieux, certaines étapes doivent généralement être franchies : le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard, ses lacunes doivent lui être signalées, il doit obtenir le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs tout en bénéficiant d’un délai raisonnable pour s’ajuster et, finalement, il doit être prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part. Si l’on conclut en l’absence d’un motif sérieux de congédiement, c’est alors la règle de l’article 2091 C.c.Q qui s’appliquera, laquelle permet de mettre fin au contrat simplement en donnant à l’autre un délai-congé. Ce qui constitue un délai-congé raisonnable est essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce, à partir d’un certain nombre de paramètres connus. L’autorité des précédents doit donc être jaugée avec circonscription, même si les nombreuses décisions en la matière, par leur sagesse collective, apportent des points communs de comparaison intéressants1.

C’est ce que vient rappeler la Cour supérieure dans l’affaire Sbai c. Panthera Dentaire Inc.2, une décision datant du 25 avril 2022, qui porte principalement sur la détermination du délai-congé raisonnable d’un cadre d’une entreprise qui a été congédié dans les semaines ayant suivi son embauche.

Faits saillants

Sbai est un gestionnaire spécialisé dans le domaine du commerce international. À l’époque concernée par le litige, il enseigne le commerce international à l’Institut Teccard de Montréal. Panthera, quant à elle, est une entreprise familiale spécialisée dans la fabrication de structures pour les prothèses dentaires sur implants. Celle-ci, désirant développer son marché à l’international, est à la recherche d’un directeur pour la division « sommeil » et mandate donc la firme de recrutement Proxima Centauri pour dénicher les meilleures candidatures, dont celle de Sbai qui ressort comme l’une des plus prometteuses. Après avoir pris connaissance du curriculum vitae de celui-ci, le président et directeur de la société, Monsieur Robichaud, le convoque à une entrevue au terme de laquelle il lui octroie le poste et lui impose certaines conditions d’embauche, notamment son déménagement à Québec avant le 15 novembre 2019.

Dès son premier séminaire en compagnie d’un membre de la famille Robichaud, Sbai est victime de commentaires désobligeants, notamment en lien avec ses origines marocaines. Il continue tout de même son immersion au sein de l’entreprise et déménage officiellement le 15 novembre 2019 à Québec avec toute sa famille, soit sa femme et ses deux enfants. Lors d’une brève rencontre, Monsieur Robichaud exprime à Sbai sa satisfaction du travail effectué et profite de l’occasion pour lui dire qu’ils auront bientôt l’opportunité de se rencontrer plus longuement pour discuter. Or, le 28 novembre 2019, sans préavis, Sbai est mis à pied au motif que « ça ne fit pas » et se voit forcé de signer une entente de départ.

Prétention des parties

Sbai prétend avoir été congédié de façon abusive. Il réclame alors de la défenderesse l’annulation du contrat de fin d’emploi, de même que de la clause de non-concurrence contenue à son contrat d’emploi signé le 30 août 2019. Par ailleurs, il demande au Tribunal de fixer un délai-congé et de lui accorder des dommages moraux à la suite du congédiement.

Pour sa part, Panthera soutient que le congédiement de Sbai est administratif et aucunement disciplinaire. Quant à la demande reconventionnelle adressée au demandeur, la défenderesse allègue le caractère abusif de la procédure introductive d’instance, ce qui justifie, selon lui, le remboursement des honoraires engagés pour sa défense. Le 10 novembre 2020, le juge Bernard rejette la demande pour irrecevabilité et abus de procédure. La défenderesse dépose donc une nouvelle demande reconventionnelle réclamant 40 000,00 $ à titre de dommages.

Analyse de la Cour supérieure

Le Tribunal doit d’abord déterminer si l’entente de départ signée par Sbai est valide. Pour ce faire, il assimile l’entente à une transaction intervenue entre les parties afin de régler un différend. Panthera fait valoir que la clause par laquelle Sbai renonce à prendre action de quelque nature que ce soit est opposable à ce dernier, faisant référence à l’article 2633 C.c.Q et à l’autorité de la chose jugée. Or, le Tribunal indique que l’article 2092 C.c.Q vient tempérer l’élan des employeurs qui seraient tentés d’empêcher toute contestation lorsqu’il s’agit d’une transaction relative au lien d’emploi, ou d’empêcher l’employé d’obtenir réparation dans le cas où le délai-congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive. Cette disposition, d’ordre public, doit recevoir une interprétation large et libérale. Selon le Tribunal, l’état de vulnérabilité du demandeur le matin du congédiement, alors qu’il peine à évaluer de façon objective toutes les conséquences du renvoi sur sa famille et sa vie professionnelle, est largement supporté par la preuve. Ainsi, il ne peut conclure que le demandeur a renoncé à ses droits en toute connaissance de cause. Par conséquent, le Tribunal estime que la transaction contrevient à l’article 2092 C.c.Q. faisant en sorte que celle-ci est frappée de nullité et ne peut être opposable au demandeur.

Le Tribunal doit ensuite déterminer si le demandeur a été congédié pour un motif sérieux, conformément à l’article 2094 C.c.Q. À la lumière des principes développés dans l’arrêt Costco Wholesale Canada3, l’employeur a failli à démontrer qu’il avait suivi les étapes régissant le congédiement administratif, la preuve démontrant plutôt que le demandeur a été congédié sans motif sérieux. En effet, le Tribunal estime que l’obligation de Monsieur Robichaud de faire part à son employé de ses attentes et obligations a été grandement négligée. De plus, il y avait, en date du congédiement, aucun avis sur les hypothétiques lacunes qui pouvaient servir à justifier le renvoi de Sbai. Au contraire, des messages tendant à démontrer la satisfaction du président lui avaient été envoyés. L’indisponibilité ou le désintéressement de ses supérieurs empêchait le demandeur d’obtenir le support nécessaire pour corriger et atteindre ses objectifs. À vrai dire, rien dans le message de la compagnie ne pouvait laisser présumer à Sbai que le travail qu’il avait effectué jusque-là souffrait de compétence. Tout avait été planifié, sans avis au principal intéressé.

Au niveau des dommages, le Tribunal s’appuie sur les décisions Quigley c. Placements Banque nationale Inc.4 et Standard Broadcasting Corp.5 rendues par la Cour d’appel concernant le délai‑congé approprié. Il conclut, compte tenu notamment de l’importance de son poste, de son recrutement par l’intermédiaire d’un cabinet de placement, de l’abandon de son poste précédent, de son expérience, du fait que l’employeur ait exigé son déménagement, du dénigrement dont il a fait l’objet lors des procédures et de son incapacité à se trouver un nouvel emploi, même 2 ans après son congédiement, qu’il convient de lui accorder un délai‑congé de 12 mois de salaire.

Quant aux circonstances du congédiement, le Tribunal est d’avis qu’il aurait été cordial et respectueux que l’instigateur de la venue du demandeur chez l’employeur ait une rencontre officielle avec celui-ci afin de justifier sa décision subite. Au surplus, l’employeur ne s’est pas contenté de réduire les possibilités professionnelles de Sbai en le qualifiant d’incompétent ni de réduire à néant l’investissement de ce dernier dans son cheminement professionnel puisqu’il a maintenu ses propos tout au long du processus judiciaire. D’ailleurs, l’employeur a indiqué à un tiers qu’il allait tout faire de façon à « épuiser » le demandeur en lui faisant supporter un maximum d’honoraires d’avocats. Comme il s’agit d’une faute, la somme de 50 000,00 $ est accordée à Sbai à titre de dommages moraux. Par ailleurs, les propos d’une représentante de l’employeur concernant notamment l’origine ethnique du demandeur constituaient une atteinte à sa dignité, justifiant ainsi d’accorder à ce dernier 10 000,00 $ à titre de dommages punitifs. Enfin, la demande reconventionnelle est rejetée, le demandeur n’ayant commis aucun abus de procédure.

Conclusion

En conclusion, les dispositions du C.c.Q engendrent des obligations aux employeurs et peuvent avoir des conséquences financières importantes en cas de non-respect lors d’un congédiement. Il faut aussi noter qu’en principe, l’employé congédié n’a pas droit à l’indemnisation des préjudices découlant du congédiement lui-même, malgré les inconvénients subis. Néanmoins, l’employeur qui exerce la faculté de résiliation « en vue de nuire à autrui » commet une faute et s’expose à l’obligation d’indemniser l’employé lésé, comme dans le cas présent.

Rédigé avec la collaboration de Madame Alex-Ann Mathieu, étudiante en droit. 

1 A. Edward AUST et Lyse CHARETTE, « Le contrat d’emploi », 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1993, p. 165.
2 Sbai c. Panthera Dentaire Inc., 2022 QCCS 1609.
3 Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788.
4 Quigley c. Placements Banque Nationale Inc., 2018 QCCA 27.
5 Standard Broadcasting Corporation Ltd. c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751.