La Cour d’appel se prononce: Le transfert entre ex-conjoints de la résidence familiale inclut la garantie légale


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L’échec du mariage ou de l’union civile entraîne plus souvent qu’autrement un contrecoup économique de taille. Automatiquement, la dissolution du couple marié ou uni civilement donne ouverture au partage des biens constituant le patrimoine familial. À l’occasion de cette répartition, il n’est pas inhabituel de voir la résidence familiale allouée en exclusivité à l’un ou l’autre des ex-conjoints. Lorsque l’attributaire de l’immeuble n’est pas le propriétaire en titre, il doit alors y avoir un transfert notarié de la résidence.

Dans une décision récente1, la Cour d’appel a été amenée à déterminer si un tel transfert comprend l’obligation de garantie légale. Après avoir reconnu que ce type d’acte constituait une dation en paiement assimilable à un contrat de vente, le plus haut tribunal québécois a jugé que l’ex-conjoint ne faisait pas exception à la règle et qu’il était tenu à la garantie légale au même titre que le vendeur.

FAITS SAILLANTS

Les faits en l’espèce sont simples. Les époux en instance de divorce ont décidé de consigner les points sur lesquels ils étaient en accord dans une entente écrite qu’ils ont par la suite signé. L’entente en question est un consentement à jugement quant aux mesures accessoires au divorce (ci-après « Consentement ») et vise entre autres la pension alimentaire pour l’enfant mineur, le paiement d’une somme globale et le partage du patrimoine familial.  Le transfert à l’appelante de la résidence familiale est prévu par ce partage. La résidence en question avait été acquise par l’intimé avant le mariage, puis a été habitée par le couple pendant plus de 10 ans.

Une mésentente est intervenue entre les parties lors de l’exécution du Consentement. L’intimé a donné au notaire des instructions claires pour que le transfert s’effectue sans garantie légale, ce à quoi s’oppose vivement l’appelante, refusant par la même occasion de signer l’acte de transfert.

Des procédures judiciaires en ont résulté, l’appelante s’étant d’abord adressée à l’honorable juge Lacoursière de la Cour supérieure2 afin que soit déterminé si le transfert devait avoir lieu avec ou sans la garantie légale. Après avoir été déboutée en première instance, l’appelante s’est ensuite tournée vers la Cour d’appel qui lui a donné raison de cause.

QUESTION EN LITIGE

Est-ce que l’époux ou le conjoint unis civilement qui transfère un bien, tel la résidence familiale, à l’autre époux à l’occasion du partage du patrimoine familial est tenus aux mêmes garanties que celles du vendeur, dont la garantie légale de qualité?

ANALYSE DÉTAILLÉE

Tout comme la Cour supérieure, la Cour d’appel s’appuie sur l’article 419 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») pour établir que le transfert de la résidence familiale qui s’inscrit dans le cadre du partage du patrimoine familial constitue une dation en paiement.

Selon l’article 1799 C.c.Q., « la dation en paiement est le contrat par lequel un débiteur transfère la propriété d’un bien à son créancier qui accepte de la recevoir, à la place et en paiement d’une somme d’argent ou de quelque autre bien qui lui est dû ». En l’espèce, la résidence familiale est donnée par l’intimé à l’appelante dans l’objectif de mettre un terme définitif à leur union économique.

Les deux instances judiciaires s’accordent ensuite pour conclure que la dation en paiement est un contrat apparenté à celui de la vente et que conséquemment les mêmes règles s’y appliquent. L’article 1800 C.c.Q. est d’ailleurs très clair sur le sujet : « La dation en paiement est assujettie aux règles du contrat de vente et celui qui transfère ainsi un bien est tenu aux mêmes garanties que le vendeur ». En règle générale, le bien dont la propriété a été transférée à l’occasion du partage du patrimoine familial est sujet à la garantie légale, qui comprend notamment la garantie de qualité.

Là où l’opinion de la Cour d’appel diverge de celle de la Cour supérieure, est en ce qui a trait à l’exclusion de cette garantie. Selon le juge de première instance, le texte du Consentement reflète la volonté des parties de tout régler de façon définitive et incidemment leur intention d’exclure la garantie légale. Voici quelques extraits du Consentement qui ont incité une telle conclusion : « […] Les ÉPOUX sont disposés à accepter les modalités du présent Consentement qu’ils reconnaissent comme réglant intégralement et définitivement leurs affaires; », « […] le présent Consentement est une entente définitive visant à constituer une rupture définitive […] » et « […] Ils déclarent qu’ils n’ont plus aucune réclamation à faire valoir l’un contre l’autre à l’égard du patrimoine familial et du régime matrimonial et ils se donnent mutuellement quittance complète, finale et irrévocable ».

Le plus haut tribunal québécois critique cette déduction. La Cour d’appel insiste sur l’importance de la jurisprudence qui enseigne que la limitation ou l’exclusion de la garantie légale doit se faire de manière claire et non équivoque3. C’est la raison pour laquelle ce type de clause doit être interprétée de manière restrictive et en faveur de l’acheteur4. En l’espèce, les clauses contenues au Consentement sont des clauses types, c’est-à-dire des clauses prérédigées et employées dans la majorité des ententes du genre, qui ne dénotent pas une intention spécifique d’exonérer l’époux/vendeur de toute responsabilité. Conséquemment, l’appel de l’appelante est accueilli et il est établi que cette dernière pourra bénéficier de la garantie légale.

À RETENIR

Les époux ou conjoint unis civilement qui se transfèrent la propriété de certains biens à l’occasion du partage de leur patrimoine familial ne sont pas à l’abri des obligations qui incombent au vendeur. Cela implique la possibilité de poursuites judiciaires éventuelles, notamment en vices cachés. Il ne s’agit pas là d’une situation idéale considérant que les ex-conjoints désirent pour la plupart mettre un terme définitif à leur relations et minimiser au maximum leurs contacts pour la suite. L’attention à porter aux termes employés dans l’entente entre ex-conjoints est d’une importance capitale. Pour éviter de tels ennuis, le contenu de l’arrangement doit témoigner clairement et de manière non équivoque de l’intention des parties d’exonérer la responsabilité de celui qui effectue le transfert. Pour ce faire, il vaut mieux employer les termes exacts « aux risques et périls » prévus à l’article 1733 C.c.Q5.

Rédigé avec la collaboration de Madame Abegaëlle Duval, étudiante en droit. 

 

1 Droit de la famille — 20955, 2020 QCCA 928.
2 Droit de la famille — 191985, 2019 QCCS 4108.
3 Roussel c. Caisse Desjardins de Sainte-Foy, 2004 CanLII 39113 (QC CA), par. 32; Lapierre c. Juteau, 2005 CanLII 22755 (C.S.), par. 44; Berthiaume c. Leroux, 2018 QCCQ 1466, par. 19; Jean Louis BAUDOUIN et Yvon RENAUD, Code civil du Québec annoté, 22e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2019, Commentaires sous l’article 1732 C.c.Q.; Benoît Moore, « Commentaire sous l’article 1732 », dans Benoît Moore (dir.), Code civil du Québec : Annotations – Commentaires, 4e éd., Montréal, Yvon Blais, 2019; Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, no 244.
4 J.-L. BAUDOUIN et Y. RENAUD, préc., note 3, Commentaires sous l’article 1732 C.c.Q.; B. Moore, « Commentaire sous l’article 1732 », dans B. Moore (dir.), préc., note 3; J. Deslauriers, préc., note 3, no 400.
5 Sultan c. Gitman, 2009 QCCS 4627, par. 81-83;  Jeffrey EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 2008, par. 292, p. 130.