La vérification diligente : un jugement récent rappelle sa très grande importance


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À l’occasion d’une publication antérieure, nous soulignions l’importance de la vérification diligente dans un contexte d’achat-vente d’entreprise en mentionnant que ce processus permet notamment à l’acheteur de vérifier la véracité des informations transmises par le vendeur, de mesurer le risque que comporte l’achat envisagé et de déterminer un prix convenable pour la transaction. Au surplus, la vérification diligente est non seulement une étape cruciale dans le processus d’achat-vente d’une entreprise, mais elle s’avère être également une obligation incombant à l’acquéreur. À cet effet, la Cour supérieure, par une décision récente, rappelle que l’obligation de se renseigner prend la forme d’une obligation pour l’acheteur d’effectuer une vérification diligente des principales composantes de l’entreprise, de ses activités et de sa performance financière1. À la même occasion, le Tribunal réitère l’obligation corollaire du vendeur, soit celle de renseigner son cocontractant.

Faits saillants

Le Tribunal est saisi d’une demande de réduction du prix de vente au motif de dol suite à la vente des actions de Tubes et Jujubes inc. (ci-après « T&J ») exploitant un centre intérieur de divertissement familial. T&J est détenue par trois (3) actionnaires, dont Anouar Nemry (ci-après « Nemry »), actionnaire principal et dirigeant de T&J et deux (2) actionnaires minoritaires, les sociétés 6102549 Canada inc. et 6061508 Canada inc. qui sont en fait des partenaires financiers.

En 2012, les trois (3) actionnaires décident de vendre l’entreprise par le biais d’une vente des actions de T&J. Le projet de vente ne contient toutefois pas l’immeuble sur lequel est érigée la bâtisse dans laquelle T&J exploite son entreprise.

T&J confie alors un mandat de courtage à Sunbelt Gatineau Inc. (ci-après « Sunbelt ») dont l’actionnaire unique est Michel Murphy (ci-après « Murphy ») agissant à titre de courtier chargé de trouver un acheteur pour les actions de T&J. En cours de mandat, Murphy et sa conjointe, Maria Flora Nue Florez (ci-après « Florez »), décident de déposer une offre d’achat relativement aux actions de T&J pour un montant de 630 000 $.

Cette offre d’achat est acceptée et le 22 juillet 2014, la transaction de vente des actions intervient. Murphy et Florez achètent les actions de T&J par le biais de la société 8938032 Canada inc., dont Murphy détient 51% des actions et Florez 49%. Cette société est ensuite fusionnée avec T&J le 23 juillet 2014.

Prétentions de la demanderesse T&J

Murphy et Florez prétendent que Nemry les a induits en erreur en faisant des fausses représentations concernant la rentabilité de l’entreprise. Ils détaillent leurs prétentions en trois (3) points :

  1. Nemry a omis de les informer que les ventes apparaissant aux états financiers incluaient des revenus de location non récurrents ayant gonflé artificiellement les ventes de T&J à compter de l’année 2012;
  2. Nemry a effectué de fausses écritures comptables ayant pour effet de gonfler les ventes pour l’année se terminant le 30 septembre 2013;
  3. Nemry a faussement prétendu que les ventes de T&J étaient stables.

Ils ajoutent que Murphy a procédé à une vérification diligente et qu’ils ont été victimes d’un dol de la part de Nemry et de ses coactionnaires. Conséquemment, T&J réclame un montant de 316 100$ en réduction du prix de vente et une somme de 15 000$ à titre de dommages punitifs.

Prétentions des défendeurs Nemry, 6102549 Canada inc. et 6061508 Canada inc.

Les défendeurs soutiennent que Nemry n’a jamais fait de fausses représentations à Murphy concernant les performances de T&J. Nemry allègue avoir informé Murphy dès le départ que T&J percevait des revenus de location depuis l’acquisition de l’immeuble et il soutient que Murphy savait que ces revenus ne seraient plus perçus par T&J après la vente puisque la transaction excluait l’immeuble. Les défendeurs allèguent également que les écritures d’ajustement effectuées aux états financiers de 2013 étaient justifiées et connues de Murphy. Ils soutiennent également ne pas avoir fait de fausses représentations concernant la stabilité des ventes. Ils invoquent également que Murphy et Florez ont manqué à leur obligation de se renseigner en négligeant de procéder à une vérification diligente préalablement à la transaction.

Question en litige

Le consentement de Murphy et Florez a-t-il été vicié par une erreur provoquée par le dol découlant des omissions et des fausses représentations de Nemry?

Analyse du tribunal

Le Tribunal procède par une analyse en trois (3) temps, suivant les prétentions de la demanderesse. En ce qui concerne les revenus de location non récurrents intégrés au chiffre d’affaires de T&J, le Tribunal conclut que le silence de Nemry a induit en erreur Murphy et Florez concernant la véritable performance de T&J et a engendré une erreur causée par le dol2. Le Tribunal poursuit en concluant que Murphy, en effectuant une analyse superficielle des états financiers, n’a pas fait une vérification diligente3. Toutefois, le Tribunal considère qu’une vérification plus approfondie n’aurait pas nécessairement permis à Murphy et Florez de découvrir que le chiffre d’affaires avait été gonflé par les revenus de location4. De plus, dans le contexte de la bonne relation entre Murphy et Nemry, ce dernier n’avait pas l’obligation de pousser davantage ses recherches. Par conséquent, dans ce cas,  le défaut de Murphy et Florez d’avoir procédé à une vérification diligente ne constitue pas une erreur inexcusable5. La Cour ajoute que Nemry, ayant sciemment omis d’informer Murphy que les revenus de T&J incluaient des revenus de location non récurrents, ne peut se dégager de sa responsabilité en invoquant le manque de diligence de ce dernier et Florez6.

En ce qui concerne la deuxième prétention de la demanderesse, le Tribunal conclut la preuve ne permet pas de conclure que Nemry a sciemment voulu cacher à Murphy la nature des ajustements qui ont été faits7. La Cour poursuit en mentionnant que Nemry aurait pu donner plus de détails à Murphy concernant les ajustements apportés à l’issue de ses recherches. Toutefois, ce manquement ne dégage pas Murphy et Florez de leur propre obligation de se renseigner. Ils ont donc fait preuve de négligence en omettant de s’informer davantage sur la nature des ajustements commettant ainsi une erreur inexcusable. La Cour rejette donc cette prétention de la demanderesse.

La troisième prétention de la demanderesse découle des garanties prévues par le contrat de vente d’actions intervenu avec les défenderesses, lequel prévoyait la garantie suivante concernant la situation financière de T&J :

« 9.5 Les vendeurs garantis [sic] que la situation financière de la Société est au moins aussi bonne et n’a pas changé depuis les états financiers du 30 septembre 2013 et états financiers intérimaires du 30 mai 2014, ses actifs et ses passifs étant les mêmes et n’ayant subi aucun changement défavorable, sauf pour le transfert de l’immeuble tel que détaillé au paragraphe 9.14 des présentes. »8

La demanderesse s’est fiée uniquement aux garanties prévues à la clause susmentionnée, sans consulter les rapports de ventes mensuelles de T&J préalablement à l’acquisition, et ce,malgré le fait qu’elle avait accès à ceux-ci. La preuve révèle que les ventes de T&J étaient en déclin depuis le dernier exercice financier. Le Tribunal conclut que les défenderesses, en application de la clause 9.5 du contrat de vente d’actions, ont engagé leur responsabilité tout en ajoutant que la preuve ne permettait pas de conclure à un manquement intentionnel9. Cependant, la Cour limite cette responsabilité compte tenu de la négligence de Murphy et Florez quant à leur obligation de se renseigner. Le juge stipule que le manquement de Murphy et Florez est plus important que celui de Nemry10 et conclut à une responsabilité de 25% du préjudice pour les défenderesses et 75% pour la demanderesse.

Conclusion

En conclusion, cette décision rappelle l’importance de l’obligation pour un acheteur désireux d’acquérir une entreprise, de se renseigner. Ce dernier ne peut se fier uniquement aux déclarations et aux garanties du vendeur. Par conséquent, la vérification diligente est une étape indispensable dans un contexte d’achat-vente d’une entreprise. À défaut de s’informer de façon raisonnable, l’acheteur peut se retrouver dans une situation d’erreur inexcusable et ainsi ne pas pouvoir obtenir  l’annulation de la vente, la diminution du prix payé ou des dommages intérêts.

 Rédigé avec la collaboration de Me Alexandre Bellemare.

 

1 Tubes et Jujubes centre d’amusement familial inc. c. Nemry, 2020 QCCS 674, par. 54.
2 Id., par. 117.
3 Id., par. 120.
4 Id., par. 123.
5 Id., par. 129.
6 Id., par. 130.
7 Id., par. 152.
8 Id., par. 160. 
9 Id., par. 171.
10 Id., par. 174.