Une quittance énoncée en termes très larges, est-ce suffisant pour garantir la paix judiciaire?


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Depuis le 1er janvier 2016, les justiciables ont l’obligation de considérer d’abord le recours aux modes privés de prévention et de règlement de différends avant de s’adresser aux tribunaux1 . Il va sans dire que cette obligation encourage davantage les parties à trouver un terrain d’entente. En pratique, il est fréquent qu’un litige se solde par un règlement extrajudiciaire qui, la plupart du temps, inclura une quittance. La quittance revêt un caractère très important, équivalant à l’obtention de la paix judiciaire par une partie, et ce, en échange d’un ou plusieurs engagements de sa part. La Cour supérieure a récemment conclu que la quittance intervenue entre deux parties empêche l’une d’entre elles d’intervenir à un litige où l’autre était partie2 .

Faits saillants

Le 16 avril 2018, l’honorable juge Lukasz Granosik autorise une action collective à l’encontre des défenderesses Vacances Sunwing inc. et Lignes Aériennes Sunwing inc. (ci-après collectivement
« Sunwing »). Les mis en cause en l’espèce sont l’Institut national de l’origine et de la qualité et le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (ci-après collectivement les « Intervenants »).

Le recours collectif s’appuie sur plusieurs dispositions de la Loi sur la protection du consommateur3 (ci‑après la « LPC »). Les prétentions du demandeur se résument au fait que Sunwing a contrevenu à la LPC en décrivant et en promouvant leur service en utilisant le mot « champagne » sans toutefois servir de champagne, servant plutôt des boissons alcoolisées provenant d’une région autre que la région géographique de Champagne.

Également, en 2018, les Intervenants intentent auprès de la Cour fédérale une poursuite à l’encontre de Sunwing en vertu de la Loi sur les marques de commerce4 afin que ce dernier cesse l’utilisation du terme « champagne » dans ses publicités.

En octobre 2018, Sunwing et les Intervenants conviennent d’une entente hors cour dans le cadre de cette poursuite. Cette entente se traduit par l’acquiescement à un jugement ordonnant une injonction permanente ainsi qu’une quittance énoncée en termes très larges.

Malgré ce règlement hors cour, les Intervenants notifient le 4 septembre 2019, un acte d’intervention afin de participer à l’action collective autorisée en avril 2018. Ils déclarent vouloir soutenir la position du demandeur sans soulever de nouvelles questions de droit ou de fait.

Question en litige

Dans les présentes, le juge doit déterminer si les Intervenants peuvent former une intervention conservatoire en l’instance, et ce, en dépit de la quittance intervenue entre les parties.

Prétentions des Intervenants

Les intervenants invoquent que la quittance ne mentionne pas explicitement une « intervention conservatoire ». Ainsi, la quittance ne vise pas cette procédure.

Analyse du tribunal

Tout d’abord, le tribunal rappelle que la transaction est un contrat et qu’il y a lieu d’interpréter celui-ci. Il poursuit en mentionnant que la quittance vise toute action, procédure ou cause d’action (« any and all actions, applications, causes of action »). Un tel libellé ne peut être interprété autrement qu’une manifestation de « la volonté ferme des parties de ne plus voir les Intervenants entamer une quelconque procédure vis-à-vis Sunwing concernant les questions qui étaient en litige »5 .

Il est à noter que l’acte d’intervention souligne que les faits, fondant l’action en l’espèce, sont similaires à ceux invoqués devant la Cour fédérale. Par ailleurs, Sunwing présente des moyens de défense presque identiques à ceux qu’elle faisait valoir à l’égard des Intervenants.

Le tribunal poursuit son interprétation en mentionnant que Sunwing a abandonné la pratique que les Intervenants lui reprochaient et que ces derniers étaient au courant de l’action collective.

En conséquence, la Cour conclut que la quittance, malgré l’utilisation de termes généraux, inclut l’intervention conservatoire.

 

Rédigé avec la collaboration de Monsieur Alexandre Bellemare, stagiaire en droit.

 

1 Code de procédure civile, L.R.Q., c. C-25.01, art. 1.
2 MacDuff c. Vacances Sunwing inc., 2020 QCCS 31.
3 Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1.
4 L.R.C. 1985, c. T-13.
5 Préc., note 2, par. 15.