Quand l’option de payer en 60 mois devient exigible immédiatement


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La rédaction d’un contrat est un exercice qui requiert rigueur et minutie puisqu’un seul mot, une simple ponctuation dans la rédaction d’une clause peut drastiquement en changer l’interprétation1. De plus, lorsque les relations entre les parties signataires du contrat deviennent conflictuelles, chaque clause pourrait devenir un élément essentiel à être interprété afin de régler le litige qui oppose les parties.

Parmi les clauses nécessitant une telle précision figurent les clauses de déchéance du bénéfice du terme, clauses que l’on retrouve habituellement dans les contrats de prêt d’argent. En raison de leurs conséquences potentiellement graves, il est impératif que le rédacteur du contrat dans lequel figure une clause de déchéance du bénéfice du terme y porte une attention particulière car le libellé de cette clause qui, à prime abord, pourrait paraître à notre avantage, pourrait finir par porter préjudice à nos droits…

Définition et effets

Tel que son nom l’indique, la clause de déchéance du bénéfice du terme fait perdre le bénéfice du terme au débiteur, et ce, même si le terme n’est pas échu2. Cette clause permet donc au créancier de contraindre le débiteur au paiement complet et immédiat de sa dette si les conditions permettant l’exercice de cette clause sont remplies, sans devoir attendre la date de la dernière échéance.

Déchéance du terme : légale ou conventionnelle

La déchéance du terme peut être légale ou conventionnelle.

Déchéance légale

La déchéance du bénéfice du terme survient par le seul effet de la loi dans les circonstances prévues à l’article 1514 C.c.Q.3, soit :

  • lorsque le débiteur devient insolvable;
  • en cas de faillite du débiteur;
  • lorsque le débiteur diminue, par son fait et sans le consentement du créancier, les sûretés qu’il a consenties à ce dernier; ou
  • lorsque le débiteur fait défaut de respecter les conditions en considération desquelles ce bénéfice lui avait été accordé.

Déchéance conventionnelle

La déchéance conventionnelle, quant à elle, résulte du défaut du débiteur de respecter les conditions, obligations et engagements pour lesquels le terme lui a été consenti en vertu du contrat. À titre d’illustration, un débiteur qui fait défaut de maintenir une assurance afin de garantir le paiement ainsi qu’un manquement répété de sa part de payer à échéance pourraient constituer des clauses contractuelles de déchéance du terme.

Limites et conditions d’exercice

Soucieux des impacts que pourrait causer une clause de déchéance du terme pour un débiteur en situation de vulnérabilité, le législateur l’interdit en matière de bail de logement4. De plus, la Loi sur la protection du consommateur5 encadre strictement de telles clauses en empêchant le commerçant de s’en prévaloir sans, entre autres, donner un avis au consommateur et lui accorder un délai supplémentaire afin d’exécuter son obligation et remédier au défaut en temps utile6.

De plus, les tribunaux ont déterminé que l’application d’une telle clause ne doit pas résulter de la mauvaise foi du créancier désirant simplement nuire au débiteur. Un préavis raisonnable du créancier désirant se prévaloir de la clause de déchéance doit être donné au débiteur7. De plus, le créancier devra obligatoirement avoir recours aux tribunaux afin de se prévaloir de ses droits, et ce, même si une clause de déchéance du bénéfice du terme est expressément prévue au contrat ou même s’il est dans une situation pour laquelle la déchéance légale s’applique.

Dans certains cas, la clause de déchéance du terme devra également être accompagnée d’une clause permettant la demeure de plein droit afin d’éviter au créancier de devoir transmettre un avis supplémentaire au débiteur8.

Prescription

La distinction entre une clause contractuelle établissant la déchéance du terme automatique et celle établissant la déchéance du terme au choix ou à l’option du créancier s’avère très importante, notamment, lorsqu’il s’agit de déterminer le moment à partir duquel la créance est devenue exigible afin de calculer la prescription ou de la survenance de la compensation.

La Cour d’appel a confirmé à quelques reprises9 que le point de départ du délai de prescription coïncide avec la date d’exigibilité de la créance. S’il est prévu au contrat que l’application de la déchéance du bénéfice du terme est à la discrétion du créancier, la prescription commencera alors à courir au moment où celui-ci acquiert le droit d’action contre le débiteur10. La Cour l’a d’ailleurs clairement exprimé dans l’arrêt Corporation financière Suisse Canada Capital c. Turcotte :

« […] lorsque l’exigibilité de la créance est subordonnée à la décision du créancier de recourir à la clause de déchéance du terme, la déchéance du terme ne saurait être qualifiée d’automatique et l’exigibilité de la dette est fonction de l’exercice par le créancier de sa faculté de provoquer la déchéance».11

Ainsi, rédiger la clause de déchéance du terme de sorte que « le débiteur, à la discrétion du créancier, peut perdre le bénéfice du terme » confère l’option au créancier de se prévaloir de sa clause, alors que la mention « perd le bénéfice du terme » mène à une application immédiate de la déchéance du bénéfice du terme. Un créancier bénéficiant d’une clause de déchéance automatique doit donc être vigilant et s’assurer de ne pas trop tarder avant d’entreprendre des procédures judiciaires tandis que le créancier pouvant, à son choix, décider de ne pas se prévaloir de la déchéance du terme est favorisé quant à la prescription, mais les versements qui sont devenus prescrits seront soustraits lors de l’établissement de la créance totale.

Conclusion

Il est important de souligner que chaque contrat est unique et qu’une clause de déchéance du bénéfice du terme doit être négociée et rédigée clairement, tout en gardant en tête ses effets et ses incidences. C’est pourquoi il est fortement recommandé de faire appel à un professionnel du droit afin de vous aider à négocier et rédiger vos ententes et ainsi permettre de résoudre des problèmes avant même qu’ils ne surviennent…

 


1À cet effet, vous pouvez consulter notre publication « Négociation : l’aboutissement à un contrat (partie 1) »
2Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 1515.
3Id, article 1514.
4Id, art. 1905.
5Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1.
6Id., art. 104-110.
7Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122.
8Afin d’en connaître davantage sur la mise en demeure, vous pouvez consulter notre publication « La mise en demeure, une obligation? »
9Notamment dans les jugements Goulet c. Dessureault, 2002 CanLII 63197 (QC C.A.); Corporation financière Suisse Canada Capital c. Turcotte, 2010 QCCA 1052.
10Code civil du Québec, préc., note 2, art. 2880.
11Corporation financière Suisse Canada Capital c. Turcotte, préc., note 8.