Honoraires d’avocats : Entre transparence et secret professionnel


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Le droit d’accès à l’information est un principe fondamental dans une société démocratique, mais son application aux ordres professionnels soulève des questions complexes. Ces organismes, chargés de la régulation de leurs membres, détiennent des informations sensibles dont l’accès doit être concilié avec les impératifs de confidentialité et de protection de la vie privée. Les décisions présentées ci-dessous, opposant Me Sarto Landry au Bureau du syndic du Barreau du Québec, illustrent bien les tensions entre ces différents intérêts.

Contexte de l’affaire

Me Sarto Landry, avocat membre du Barreau du Québec, a initié le litige en déposant une demande d’accès à l’information auprès du Barreau, dans le but d’obtenir des documents concernant des enquêtes et plaintes disciplinaires le visant. Me Landry exigeait la transmission des factures émises par les avocats ayant travaillé dans le cadre de ses dossiers disciplinaires, incluant notamment le détail des honoraires et déboursés versés. Il souhaitait également obtenir la correspondance entre les numéros de dossiers d’enquête et les numéros de dossiers de plaintes disciplinaires, ainsi que la liste des numéros de dossiers d’enquête n’ayant pas mené à une plainte. Finalement, il demandait l’accès aux échanges entre le Bureau du syndic (l’organisme chargé des enquêtes disciplinaires) et d’autres représentants du Barreau du Québec concernant son inscription à l’ordre professionnel.

Le Barreau du Québec, par l’entremise de son responsable de l’accès à l’information, a refusé de communiquer une partie des documents demandés, invoquant le secret professionnel de l’avocat, la confidentialité des enquêtes et le fait que certains documents ne relevaient pas de sa mission de contrôle de l’exercice de la profession. Cette décision a mené Me Landry à contester la décision devant la Commission d’accès à l’information du Québec (ci-après « CAI »).

Décision de la Commission d’accès à l’information

La CAI a accueilli partiellement la demande de Me Landry1, ordonnant au Barreau de lui communiquer la liste des numéros de dossiers d’enquête le concernant, tout en refusant l’accès aux échanges avec le Barreau.

Elle a justifié sa décision par le fait que la communication de ces numéros ne risquait pas de révéler le contenu des enquêtes. Elle a toutefois refusé l’accès aux factures des avocats, considérant qu’elles ne sont pas détenues dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession et qu’elles ne contiennent pas de renseignements personnels. Elle s’est basée sur la jurisprudence2 pour conclure que la colligation des honoraires par le syndic est une tâche administrative, et non une fonction de contrôle de la profession.

Décision de la Cour du Québec

La Cour du Québec a été saisie d’un appel principal du Barreau, contestant l’accès aux numéros de dossiers d’enquête, et d’un appel incident de Me Landry, contestant le refus d’accès aux factures3.

La Cour a rejeté l’appel principal du Barreau, confirmant l’accès aux numéros de dossiers d’enquête. Elle a estimé que la CAI n’avait pas commis d’erreur en concluant que cette communication ne risquait pas de révéler le contenu des enquêtes.

Elle a par ailleurs accueilli partiellement l’appel incident de Me Landry, ordonnant au Barreau de lui communiquer le montant total des honoraires et déboursés, et non le contenu détaillé des factures, payés aux avocats chargés de représenter l’ordre professionnel dans les dossiers disciplinaires. La Cour s’est appuyée sur la jurisprudence applicable4 afin de rappeler que bien que le secret professionnel protège la relation avocat-client, le total des honoraires ne bénéficie généralement pas de cette protection. 

À retenir

La CAI et la Cour du Québec ont dû déterminer si les documents demandés relevaient de la mission de contrôle de l’exercice de la profession du Barreau. Cette qualification est cruciale, car elle détermine le régime d’accès applicable.

Au surplus, l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne5 protège le secret professionnel. Or, les factures d’avocats contiennent des informations potentiellement couvertes par ce secret (description des services rendus, nature des conseils donnés, etc.). La Cour a ainsi dû trouver un équilibre entre la protection du secret professionnel et le droit d’accès à l’information. De ce fait, elle a rappelé que, bien qu’ayant des obligations de confidentialité, les ordres professionnels doivent néanmoins faire preuve de transparence en facilitant l’accès à l’information, ce qui implique l’adoption d’une approche équilibrée et nuancée qui tienne compte des particularités de chaque demande ainsi que des impératifs de la loi et de la jurisprudence.

 

Rédigé avec la collaboration de Mme Laury-Ann Bernier, chargée de cours en droit.

1 Landry c. Barreau du Québec (Bureau du syndic), 2022 QCCAI 356.
2 Houle c. Ordre des psychologues du Québec, 2021 QCCAI 233.
3 Barreau du Québec (Bureau du syndic) c. Landry, 2024 QCCQ 4567.
4 Kalogerakis c. Commission scolaire des Patriotes, 2017 QCCA 1253.
5 RLRQ, c. C-12.