Les pouvoirs d’enquête du syndic des ordres professionnels en ce qui a trait aux documents confidentiels


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Être membre d’un ordre professionnel au Québec n’est pas un droit, mais bien un privilège soumis à des règles strictes et à une régulation rigoureuse. Cette notion a été rappelée par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Comité exécutif de l’Ordre des ingénieurs du Québec c. Roy1. En conséquence, les cinquante-cinq ordres professionnels reconnus dans la province sont strictement encadrés notamment par le Code des professions2 (ci-après nommé le « C.prof »), une loi d’ordre public.

Au cœur de ce système de régulation se trouve le rôle crucial des syndics professionnels. En effet, chaque ordre professionnel est doté d’un syndic dont la mission est d’assurer l’intégrité et l’éthique professionnelle de ses membres. Son rôle principal consiste à veiller à la protection le public contre d’éventuelles pratiques professionnelles inappropriées, dangereuses ou contraires aux règles déontologiques.

Pour accomplir sa mission, le syndic endosse un double rôle : celui d’enquêteur doté de pouvoirs étendus selon l’article 122 C.prof et celui de dénonciateur ou plaignant devant le Conseil de discipline de son ordre, en vertu de l’article 128 C.prof.

L’étendue des pouvoirs d’enquête des syndics

Les tribunaux ont reconnu l’importance du rôle des syndics en leur accordant de vastes pouvoirs d’enquête. Ces pouvoirs s’étendent notamment à la possibilité de demander et d’obtenir, sans autorisation judiciaire, l’accès à tout document et toute information, y compris ceux de nature confidentielle, nécessaires à la poursuite efficace de leur enquête, telle que l’enseigne l’arrêt Laboratoire CDL3et tel qu’il ressort du texte même de l’article 122 C.prof. Cela comprend notamment les dossiers professionnels, les relevés financiers, les rapports médicaux, etc.

Les syndics peuvent également solliciter des tiers, c’est-à-dire des personnes autres que le professionnel ciblé par l’enquête, pour obtenir certains documents ou renseignements s’ils ont des motifs raisonnables de croire que ces derniers détiennent ce qu’ils recherchent. En effet, la Cour suprême, dans l’affaire Pharmascience inc. c. Binet4, a reconnu que le rôle des syndics était si important qu’il leur permettait de contraindre non seulement les professionnels faisant l’objet d’une enquête, mais également des tiers, sous certaines conditions édictées à l’article 122 C.prof.

Bien que les pouvoirs des syndics soient pratiquement illimités, ils doivent toutefois être exercés dans les limites de l’article 122 C. prof.. Dans ce contexte, il nous apparaît essentiel de souligner que le syndic ne peut initier une enquête que s’il dispose déjà d’informations raisonnables le laissant soupçonner que le professionnel aurait commis une infraction, et il lui est donc interdit de procéder à une expédition de pêche, telle que le rappelait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pharmascience inc. c. Binet5.

Qu’en est-il du secret professionnel ?

De façon régulière, les professionnels se retrouvent confrontés à des situations où ils se sentent obligés de refuser de divulguer certains renseignements par crainte de violer leur secret professionnel. Cette question nous amène à nous demander si ces renseignements bénéficient de la protection du droit au secret professionnel dans le contexte d’une enquête du syndic.

Or, le deuxième alinéa de l’article 192 C.prof. est sans ambiguïté : un membre d’un ordre professionnel à qui un syndic de cet ordre demande de fournir un renseignement ou document ne peut invoquer son obligation de respecter le secret professionnel pour refuser une telle demande. Autrement dit, le syndic d’un ordre professionnel peut avoir accès à toute information contenue dans le dossier d’un client détenu par un membre de son ordre professionnel.

Cependant, la situation diffère lorsque la demande est adressée à un membre d’un autre ordre professionnel ou à un tiers. Traitant de la question de savoir si le syndic a excédé sa compétence dans sa demande de remise de documents en omettant d’indiquer l’objet de son enquête, la Cour d’appel, dans l’affaire Laboratoires CDL inc. précitée, a précisé ce qui suit :

[103] Le professionnel ou le tiers visé par la demande n’a pas droit à une divulgation de la preuve, droit qui est garanti lorsqu’une plainte est déposée devant un conseil de discipline ou qu’un constat d’infraction mène à un procès en Cour du Québec. L’on ne peut forcer un syndic à dévoiler la teneur de l’information à l’origine de l’enquête ou le contenu de celle-ci : Gaétane Desharnais, La professionnalisation : entre la protection du public et l’intérêt des professionnels, précité, p. 26. »

[104]   En fait, comme je le disais précédemment, le dossier d’enquête est confidentiel et l’article 124 du Code des professions prévoit qu’un syndic prête serment et s’engage à ne pas révéler ou faire connaître, sans y être autorisé par la loi, quoi que ce soit dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa charge.

[105]   Comme l’indique la juge St-Pierre dans Guay c. Gesca ltée, 2013 QCCA 343, la confidentialité de l’enquête la rend inaccessible, même au professionnel visé par celle‑ci :

[81]      J’admets volontiers que, pour accomplir la mission de protection du public que lui confie le législateur, le Syndic doit disposer des moyens requis à cette fin. C’est d’ailleurs pourquoi le législateur lui accorde de très larges pouvoirs d’enquête :

– Il peut prendre connaissance d’un dossier tenu par un professionnel, sans que ce dernier puisse par ailleurs s’y opposer en invoquant le secret professionnel;

– Il peut exiger un renseignement de toute personne, y compris des tiers ou des non-professionnels, notamment, comme l’écrit le juge Louis LeBel dans l’arrêt Pharmascience inc. c. Binet, « exiger l’accès à des renseignements détenus par une banque ou un comptable sur l’utilisation dérogatoire d’un compte en fidéicommis par un avocat. »

[82]      En contrepartie de ces larges pouvoirs, la loi lui impose un devoir de discrétion (une obligation de confidentialité) à l’article 124 du Code des professions[. Cela se comprend aisément en raison de l’accès à des informations très sensibles, parfois même protégées par le secret professionnel, sans le consentement des personnes concernées et hors de leur connaissance.

[…]

[85]      Ainsi, à l’étape de l’enquête, tant qu’il n’y a pas de plainte disciplinaire déposée, le travail du Syndic s’apparente beaucoup à celui d’un policier-enquêteur. Le dossier d’enquête que constitue le Syndic est confidentiel et personne ne peut en exiger une copie, pas même le professionnel visé par l’enquête.

Ainsi, jusqu’au dépôt de la plainte, les informations contenues au dossier d’enquête du syndic sont confidentielles, à moins d’une autorisation judiciaire contraignant le syndic à les dévoiler. En vertu de l’article 124 C.prof., le syndic prête serment et s’engage à ne pas révéler ou faire connaître, sans y être autorisé par la loi, quoi que ce soit dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa charge.

Ce faisant, la personne visée ne peut refuser de satisfaire la demande du syndic sous prétexte que les documents visés sont confidentiels, puisqu’un syndic a l’obligation d’en garantir la confidentialité et ne peut être forcé à les divulguer avant le dépôt d’une plainte, le cas échéant, et encore, seulement si cela est nécessaire pour respecter les droits du défendeur.

Quelles sont les conséquences en cas de non-collaboration à l’enquête du syndic?

L’entrave au travail du syndic constitue une infraction déontologique grave6. De cette façon, lorsqu’il refuse de coopérer à l’enquête du syndic, le professionnel s’expose notamment à des sanctions disciplinaires. L’article 156 C. prof. prévoit les sanctions auxquelles s’expose le professionnel, allant de simples avertissements à la révocation du permis d’exercice. Pour en apprendre davantage sur les sanctions que peuvent imposer le Comité, nous vous invitions à consulter notre texte sur les Plaintes et enquêtes du syndic à ce sujet.

En outre, le syndic peut demander l’intervention de la Cour supérieure du Québec afin d’obtenir une ordonnance exigeant la divulgation des renseignements ou la production des documents, voire obtenir un mandat de perquisition pour saisir les preuves importantes liées à l’enquête.

Enfin, le professionnel ou le tiers qui contrevient à l’enquête du syndic s’expose même à des poursuites pénales. En effet, tout professionnel ainsi que tout tiers qui refuse de transmettre les documents réclamés par le syndic commet une infraction passible d’une amende d’au moins 600 $ et d’au plus 6 000 $7. En cas de répétition de toute infraction pénale prévue au C.prof. et après que des poursuites pénales aient été intentées, l’article 191 C.prof. permet au procureur général ou, après autorisation de ce dernier, à un ordre professionnel, d’obtenir une injonction interlocutoire, et même permanente, afin de faire cesser la commission de l’infraction.

Conclusion

En conclusion, les pouvoirs d’enquête conférés aux syndics des ordres professionnels au Québec jouent un rôle fondamental dans la protection du public en garantissant que les professionnels exercent leurs métiers de manière compétente, éthique et conforme aux normes professionnelles établies. Toutefois, ces pouvoirs doivent être exercés avec prudence et dans le respect des droits et des limites prévues par la loi.

La collaboration active des professionnels est essentielle pour assurer l’intégrité et la responsabilité de leur profession, tout en contribuant à la protection des intérêts des usagers des services professionnels. En cas de manquement à cette obligation de collaboration, les professionnels peuvent faire face à de graves conséquences. Ainsi, en cas d’enquête professionnel à leur égard, les professionnels devraient s’assurer de collaborer entièrement à l’enquête du syndic et le recours à des conseils juridiques, dès ce stade préliminaire, peut également être justifié.

 Rédigé avec la collaboration de Madame Brittany Isabelle, étudiante en droit

1 2011 QCCA 1707.
2 RLRQ, c. C-26, (ci-après « C.prof.).
3 Laboratoires CDL inc. c. Ordre des chimistes du Québec, 2021 QCCA 636.
4 Pharmascience inc. c. Binet, 2006 CSC 48.
5 Préc. note 4, par 43.
6 Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 1, parag. 115 et 116
7 Arts. 114, 122 et 188 C.prof.