L’importance d’une préparation adéquate du témoin : un exemple récent en jurisprudence


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Trop souvent délaissée, la tâche de bien préparer un client pour son témoignage a régulièrement un impact capital sur l’issue du procès. En effet, l’une des tâches les plus délicates pour un juge de première instance consiste à évaluer la crédibilité des témoins qui comparaissent devant lui, en particulier lorsque les témoignages des deux parties sont fondamentalement contradictoires.

La question est alors la suivante : quels sont les critères qui doivent être évalués par un juge de première instance et comment fait-il pour trancher lorsqu’il a devant lui deux témoins qui expriment deux versions complètement différentes des mêmes faits ? Nous élaborerons dans la présente publication le droit applicable ainsi que l’analyse d’une récente décision en droit professionnel où la question de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages a scellé le sort du dossier.

Les critères applicables

Bien que « l’appréciation de la crédibilité ne relève pas de la science exacte »1 , une liste de dix critères a été élaborée par la jurisprudence afin de guider les juges dans cette tâche complexe qu’est celle d’apprécier la crédibilité et la fiabilité d’un témoin dans le cadre d’un procès civil :

  1. L’intégrité générale et l’intelligence du témoin
  2. Ses facultés d’observation
  3. La capacité et la fidélité de la mémoire
  4. L’exactitude de sa déposition
  5. Sa volonté de dire la vérité de bonne foi
  6. Sa sincérité, sa franchise, ses préjugés
  7. Le caractère évasif ou les réticences de son témoignage
  8. Le comportement du témoin
  9. La fiabilité du témoignage
  10. La compatibilité du témoignage avec les autres témoignages et la preuve

Fiabilité vs crédibilité

Il est toutefois essentiel de ne pas confondre la crédibilité et la fiabilité des témoins. Alors que la crédibilité concerne la personne du témoin et ses caractéristiques, telles que son honnêteté, qui peuvent se refléter dans son comportement, la fiabilité, quant à elle, se rapporte plutôt à la valeur et à l’exactitude du récit relaté par le témoin. Ainsi, un témoin dont le témoignage sur un élément n’est pas crédible ne peut pas fournir un témoignage fiable sur ce même élément. En revanche, la crédibilité du témoin ne constitue pas nécessairement un indicateur de fiabilité de son témoignage2. Par exemple, un témoin dit « crédible » peut sincèrement croire en la véracité de sa version des faits, bien qu’il n’en soit rien, puisque celui-ci se trompe ou a une mémoire défaillante, par exemple.

Ces principes, bien qu’élaborés dans un contexte de droit civil, se transposent en droit professionnel et disciplinaire lors qu’un conseil de discipline d’un ordre professionnel doit trancher la culpabilité de l’un des membres de cet ordre à la suite d’une infraction reprochée par le biais d’une plainte disciplinaire.

L’affaire Chambre de la sécurité financière c. Gibara

Un exemple récent, dans l’affaire Chambre de la sécurité financière c. Gibara3, a illustré l’importance de la crédibilité et de la fiabilité des témoins. Il s’agit d’une application concrète des critères ci-haut détaillés et d’un cas particulier où la préparation du professionnel a fait une réelle différence dans le verdict final.

Dans cette affaire, le Comité de discipline de la chambre de la sécurité financière a choisi de croire la version détaillée et crédible de l’intimé, lui permettant ainsi d’être acquitté.

L’intimé, un conseiller en sécurité financière et en assurance et rentes collectives, faisait l’objet d’une plainte disciplinaire par laquelle on lui reprochait d’avoir fait souscrire à sa cliente des contrats de fonds distincts qui ne correspondaient pas à ses besoins et à son profil d’investisseur, contrevenant ainsi aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

La cliente en cause et son conjoint, qui étaient des clients de l’intimé depuis 1989, désiraient réorganiser leurs investissements afin de se protéger de leurs créanciers en raison notamment d’une poursuite civile intentée contre eux en 2012. En 2015, l’intimé leur avait suggéré de transférer leurs investissements de la RBC à des fonds distincts à la BMO, ce qu’ils ont accepté de faire en 2019.

Ce n’est qu’en novembre 2020, peu de temps à la suite du décès de son conjoint, que la cliente dépose une plainte disciplinaire à l’encontre de l’intimé alléguant que ce dernier ne l’avait pas informée que l’investissement ne pouvait être retiré avant sept ans sans pénalité. Bien qu’elle aie mentionné, au cours de son témoignage en chef, une série d’incidents liés aux services fournis par l’intimé, la plainte disciplinaire ne visait qu’un seul de ces incidents.

Après avoir effectué l’analyse de la fiabilité de toutes les versions entendues, le Comité de discipline a préféré la version de l’intimé à celle de sa cliente, considérant que ses explications étaient plus plausibles et crédibles, en accord avec les témoignages et preuves présentés.

En effet, alors que l’intimé fournissait une version détaillée de l’ensemble des informations et explications qu’il a fournies dans le contexte du besoin de liquidités de sa cliente, cette dernière prétendait qu’aucune mention du terme de sept ans ne lui avait été dévoilée, et ce, malgré le nombre important d’heures de rencontres et d’explications qu’affirmait avoir passé l’intimé avec ses clients. De l’avis du Comité, il était illogique que seule cette condition n’ait pas été expliquée à la cliente.

Les passages suivants de la décision en l’espèce illustrent bien que tout était une question de témoignages dans cette affaire, puisque la preuve relevait essentiellement de la version de la cliente versus celle de l’intimé :

[64]      Tout comme dans cette affaire, nous sommes également devant un dossier de crédibilité et de fiabilité.

[65]      J.G. prétend qu’il y a une absence totale d’information et d’explication concernant le terme de sept (7) ans, tandis que l’intimé donne une version détaillée des explications dans le contexte d’un besoin de liquidité pour sa cliente.

[66]      L’analyse de la fiabilité de toutes les versions entendues confirme que la version de l’intimé est celle à retenir et le comité considère que J.G. a reçu les explications nécessaires et qu’elle a accepté le terme.

[67]      Le plaignant devait prouver, par prépondérance de preuve, tous les éléments de l’infraction reprochée.

[68]      Le comité, dans le contexte du présent dossier et après avoir analysé la preuve déposée, ne peut conclure que l’intimé a fait souscrire J.G. à des contrats qui ne correspondaient pas à ses besoins et à son profil d’investisseur.

[69]      L’intimé a tenu compte des besoins de sa cliente et a agi avec honnêteté, loyauté, compétence et professionnalisme.

Ce faisant, le Comité, après avoir analysé la preuve déposée, ne pouvait conclure que l’intimé avait fait souscrire à sa cliente des contrats qui ne correspondaient pas à ses besoins et à son profil d’investisseur. Pour ces motifs, le Comité a acquitté l’intimé.

CONCLUSION 

En conclusion, cette affaire met en évidence l’importance d’une préparation minutieuse et de conseils juridiques appropriés lorsqu’un dossier repose sur des versions contradictoires. En présence de témoignages contradictoires, le juge examinera attentivement la vraisemblance des versions, l’intérêt des témoins à témoigner, l’absence de contradictions essentielles, la corroboration, le souvenir précis et la concordance des faits.

C’est dans ce contexte que le recours à un avocat peut s’avérer essentiel à un professionnel faisant l’objet d’une plainte disciplinaire, puisqu’une vision objective du dossier permettra une préparation adéquate et solide de la version des faits et du témoignage dudit professionnel.

Rédigé avec la collaboration de Madame Brittany Isabelle, étudiante en droit. 

 

1 Gestion immobilière Gouin c. Complexe funéraire Fortin, 2010 QCCS 1763.
2 R. v. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514 (C.A. Ont.), p. 526.
3 Chambre de la sécurité financière c. Gibara, 2022 QCCDCSF 64