Cessation d’usage dérogatoire : une approche souple de l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme


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À l’occasion d’une publication antérieure, nous avons élaboré au sujet des différents moyens dont bénéficient les municipalités afin de faire respecter leur réglementation, notamment en matière d’urbanisme. Parmi ces moyens, l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (ci-après la « LAU ») prévoit qu’une municipalité peut s’adresser à la Cour supérieure afin d’obtenir une ordonnance permettant de faire cesser l’utilisation du sol ou d’une construction qui serait incompatible avec un règlement municipal.

Il incombe de rappeler que les tribunaux jouissent d’un pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l’application de l’article 227 de la LAU leur permettant de pallier les injustices qui pourraient résulter d’une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation municipale en vigueur.

En 2003, à l’occasion d’une décision importante en droit municipal, soit l’affaire Montréal (Ville) c. Chapdelaine1, la Cour d’appel établit les critères pertinents applicables lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire relativement à l’imposition d’une ordonnance en vertu de l’article 227 de la LAU. Ainsi, exceptionnellement, lorsque des circonstances l’exigent, il est possible pour un juge de rejeter une demande d’ordonnance de cessation d’un usage dérogatoire ou d’une construction incompatible à la réglementation municipale applicable dans la mesure où de telles dérogations demeurent mineures ou de peu d’importance. Sans élaborer une théorie générale sur le sujet, la Cour d’appel retient que les tribunaux refuseront une telle demande d’ordonnance si l’ensemble des sept éléments suivants sont établis :

  • Il doit s’agir de circonstances exceptionnelles et rarissimes;
  • L’intérêt de la justice doit commander le rejet du recours;
  • La personne en contravention de la réglementation municipale doit avoir été diligente et de bonne foi. Elle ne doit pas avoir connu la contravention préalablement;
  • L’effet du maintien de la contravention ne doit pas avoir une conséquence grave pour la zone municipale touchée;
  • Il doit y avoir existence d’un délai déraisonnable (généralement plus de 20 ans) et inexcusable de la part de la municipalité;
  • Il doit y avoir eu un acte positif de la municipalité (émission de permis, perception de taxes);
  • La situation dérogatoire ne doit pas avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique, l’environnement et le bien-être général de la municipalité.

Or, voilà que dans l’affaire Ville de Laval c. Allamehzadeh2, la Cour supérieure est d’avis que des circonstances particulières et exceptionnelles justifient l’application de sa discrétion et nous présente une approche plutôt souple, voire humaine de l’article 227 de la LAU.

L’AFFAIRE VILLE DE LAVAL C. ALLAMEHZADEH

Dans cette affaire, la Ville de Laval s’adresse à la Cour supérieure afin qu’elle ordonne aux propriétaires de cesser l’usage résidentiel trifamilial de leur immeuble. L’immeuble en question est situé dans une zone résidentielle où seules les habitations unifamiliales sont autorisées. Or, l’immeuble compte trois logements, dont deux en location. Dans ce dossier, toutes les parties admettent que l’usage trifamilial de l’immeuble est contraire à la réglementation municipale.

En appliquant les critères de l’arrêt Chapdelaine, la Cour supérieure applique la discrétion judiciaire que lui permet la LAU en fondant principalement sa décision sur les éléments suivants :

  • Les propriétaires ont acquis l’immeuble de bonne foi;
  • La conversion de l’immeuble en triplex n’est pas de leur fait;
  • Avant l’achat, ils se sont informés auprès de la Ville afin de s’assurer de la conformité de l’immeuble à la réglementation municipale;
  • La Commission scolaire et la Ville ont toujours perçu les taxes selon la valeur du triplex;
  • L’avis d’imposition de la Ville indique la présence de trois logements;
  • La présence des trois logements n’est pas clandestine, mais à la vue de tous (trois adresses visibles, plusieurs véhicules, etc.);
  • La présence de trois adresses ne crée aucune confusion pour Postes Canada;
  • Au moins une autre propriété dans la même zone ne respecte pas l’usage réglementé;
  • L’absence de plainte;
  • La dérogation a peu d’impact sur l’environnement urbain.

À ces éléments, la Cour supérieure ajoute une dimension humaine. En effet, le démantèlement des deux logements aurait pour effet :

  • De causer la faillite des propriétaires, ceux-ci n’ayant pas les moyens d’assumer les coûts des travaux, en plus de la perte des revenus locatifs;
  • L’éviction inattendue des familles habitant les logements.

La Cour supérieure est également d’avis que les problématiques de sécurité, de marges, de densité de la population et d’unités de plomberie ne surpassent pas la précarité financière des propriétaires.

En conclusion, l’usage trifamilial de l’immeuble prévaut et la demande de démantèlement de la Ville est rejetée.

En terminant, il incombe de souligner que la décision de la Cour supérieure a fait l’objet d’une déclaration d’appel. Les parties s’étant entendues à l’amiable, la Cour d’appel n’entendra pas ce dossier. Il faudra maintenant attendre quelques années afin de voir comment la jurisprudence subséquente traitera cette dimension humaine.

 

1 Montréal (Ville) c. Chapdelaine, 2003 CanLII 28303 (QC CA).

2 Ville de Laval c. Allamehzadeh,2020 QCCS 3191.