Une entreprise offrant des garanties prolongées peut-elle reporter les sommes perçues à titre de provision en vertu de la Loi sur les impôts ?


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Une entreprise offrant des garanties prolongées peut-elle reporter les sommes perçues à titre de provision en vertu de  la Loi sur les impôts1? C’est ce que la Cour du Québec tente d’élucider dans une récente décision2.

Les règles fiscales québécoises prévoient, à l’instar des règles fédérales, que lorsqu’un contribuable reçoit un montant dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise, il se doit de l’inclure dans son revenu de l’année3. La Loi permet toutefois, en certaines circonstances, de déduire un montant raisonnable à titre de provision afin d’en reporter l’imposition à une année ultérieure. Seules les provisions prévues spécifiquement par la Loi sont permises. Il est entre autres permis de déduire une provision raisonnable pour des services non rendus et payés à l’avance4.

La Loi sur les impôts prévoit en effet, à son article 152 concernant les provisions, ce qui suit

    1. Aucune déduction n’est admise en vertu de l’article 150 à l’égard de garanties ou d’indemnités, à l’égard d’une obligation en matière de restauration, ou lorsqu’il s’agit d’une entreprise agricole et que le contribuable se sert de la méthode de comptabilité de caisse conformément à l’article 194.

Il en est de même des provisions à l’égard de polices d’assurance, sauf qu’un assureur peut déduire à ce titre, dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition provenant d’une entreprise d’assurance qu’il exploite, autre qu’une entreprise d’assurance sur la vie, un montant qui n’excède pas le montant prescrit à son égard pour l’année (nos soulignements).

D’une part, les montants perçus à titre de garantie ne donnent pas droit à des provisions et d’autre part, ceux perçus pour des assurances sur des biens par une entreprise d’assurance y donnent droit. C’est en considération de cet article que le tribunal a eu à déterminer si les « garanties prolongées » offertes sur les meubles de « The Brick » étaient des garanties ou des assurances dans l’affaire Trans Global Warranty Corp (ci-après : « TGW »)5.

Faits saillants

TGW est une filiale de « The Brick Wharehouse LP » (ci après : «  Brick »). Brick vend des meubles dans plus de 160 magasins à travers le pays. Elle offre également des garanties prolongées sur les meubles vendus qui couvrent les défauts de fabrication et parfois aussi des risques de salissures, taches, marques de même que des protections contre la perte de nourriture en cas de défectuosité d’un réfrigérateur, etc.

Les garanties prolongées sont fournies par TGW. Le montant perçu aux clients pour la garantie prolongée est versé à TGW qui retourne une commission de 20% à Brick. Les garanties prolongées sont généralement d’une durée de cinq années. Ainsi, TGW répartit l’imposition du montant reçu sur les 5 ans par le mécanisme des provisions pour services non rendus.

En 2013, l’ARQ émet un avis de cotisation à TGW dans lequel elle rejette une provision de 126 millions de dollars et l’impose en entier dans l’année d’imposition.

Prétentions des parties

L’ARQ soutient que les « garanties prolongées » sont des garanties et non des assurances. TGW n’est pas une société qui est constituée en tant que société d’assurance. De plus, TGW couvrirait principalement les risques qui découlent de défauts de fabrication ou de défectuosités des produits. Il s’agit de garanties qui s’ajoutent à celles offertes par le fabricant. Pour l’ARQ, la garantie prolongée ne rencontre pas les critères d’un contrat d’assurance type qui garantirait les risques d’accident et non les risques découlant d’un défaut de fabrication.

TGW, quant à elle, soutient qu’elle est une société réputée exploiter une entreprise d’assurance en vertu de l’article 817 de la Loi sur les impôts et qu’elle est donc en droit de déduire une provision :

    1. Pour l’application de la présente partie, une société est réputée exploiter une entreprise d’assurance pendant une année d’imposition si, au cours de cette année, elle est partie à un contrat d’assurance ou autre arrangement d’une catégorie particulière d’après lesquels elle peut raisonnablement être considérée comme entreprenant:a) d’assurer d’autres personnes contre des pertes, dommages ou frais de toute nature; […]

Il en est ainsi quelles que soient la forme et la portée de ce contrat ou arrangement, et même si les personnes visées sont membres ou actionnaires de la société (nos soulignements).6

Analyse du tribunal

Afin de trancher la question, le tribunal s’appuie sur un arrêt de la Cour d’appel7 qui portait sur la protection des consommateurs et où elle a dû déterminer si un contrat de garantie supplémentaire sur un véhicule neuf était un contrat de garantie ou un contrat d’assurance.

La Cour d’appel souligne que la distinction entre les deux types de contrat peut s’avérer difficile « puisque dans les deux cas il y a versement d’une contrepartie pour obtenir une protection advenant un certain évènement »8. Elle arrive tout de même à en synthétiser les distinctions :

la garantie se rattache à une défectuosité du bien vendu et le garant a un intérêt économique dans l’achat du bien par un consommateur, comme c’est le cas du fabricant, du distributeur et du commerçant.  Qui plus est, ces personnes ont l’obligation légale de garantir que le bien n’est pas affecté par un vice caché.  Par contre, l’assurance est offerte par une partie qui n’est pas tenue de garantir la qualité du bien en raison de son rôle dans sa mise en marché et dont l’activité principale est la spéculation sur les risques.9

Comme TGW ne fabriquait ni ne vendait les meubles et qu’elle n’était pas tenue d’en garantir la qualité en raison de son rôle dans leur mise en marché et puisque son activité principale était la spéculation sur les risques, ses programmes de garantie prolongée devaient être considérés comme des contrats d’assurance et non des contrats de garantie.

Le tribunal a donc considéré que TGW était réputée exploiter une entreprise d’assurance conformément à l’article 817 et qu’en conséquence, il lui était permis de déduire des provisions en vertu de l’article 152 de la Loi sur les impôts. Il a donc annulé l’avis de cotisation de l’ARQ.

Pour en savoir plus sur le droit fiscal :

Droit fiscal
Déductions et retenues à la source
– Planification ou litige fiscal

Rédigé avec la collaboration de Monsieur Luc Robitaille, étudiant en droit. 

 

1 Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3 (ci-après « Loi sur les impôts »).
2 Trans Global Warranty corp. c. Agence du revenu du Québec, 2021 QCCQ 13824. Il est à noter qu’une permission d’appel a été accordée le 4 avril 2022 sur cette décision.
3 Loi sur les impôts, art. 87.
4 Id., art. 150.
5 Trans Global Warranty corp. c. Agence du revenu du Québec, préc. note 2.
6 Loi sur les impôts, art. 817.
7 Association pour la protection des automobilistes inc. c. Toyota, 2008 QCCA 761.
8 Id., par. 58 à 62.
9 Id.