Prestations d’invalidité : quel est le point de départ ?


Par

Le point de départ de la prescription applicable aux prestations d’invalidité totale a été revu par la Cour d’appel dernièrement dans l’affaire Jacques c. La Capitale assureur de l’administration publique1. En effet, la Cour a infirmé la décision rendue en Cour supérieure le 30 novembre 2018 en rappelant que, puisque le versement des prestations d’invalidité est une obligation à exécution successive, la prescription commence à courir à compter de la date à laquelle chacune des prestations d’invalidité mensuelles devient née et exigible. La Cour a également rappelé que le délai de prescription commence à courir au moment où il devient clair que le refus de l’assureur de payer est définitif.

 

FAITS SAILLANTS 

Le 17 janvier 2012, l’appelant se blesse au travail. Son contrat d’assurance collective prévoit une garantie d’assurance invalidité en deux (2) volets : le premier portant sur les vingt-quatre (24) premiers mois et le deuxième, sur les mois suivants ces vingt-quatre (24) premiers. 

Le 19 décembre 2013, l’intimée accepte de verser à l’appelant des prestations d’invalidité, et ce, rétroactivement au 6 janvier 2013 jusqu’au 17 janvier 2014 uniquement. 

L’appelant ne conteste pas la décision de son assureur refusant de lui verser des prestations d’invalidité au-delà du 17 janvier 2014. Il dépose plutôt, en février 2014, après avoir reçu sa dernière prestation, une demande de prestations d’invalidité auprès de la Régie des rentes du Québec (ci-après « RRQ »). Sa demande est rejetée.

En mai 2015, l’appelant conteste la décision rendue par la RRQ auprès du Tribunal administratif du Québec (ci-après « TAQ »), instance pouvant réviser la demande principale portée devant la RRQ.

Près de deux (2) ans suivant le dépôt de la demande, le TAQ infirme la décision émise par la RRQ et confirme ainsi l’invalidité de l’appelant. Ainsi, la RRQ verse à l’appelant une rente rétroactivement au mois de juin 2013.

En juillet 2017, motivé par la reconnaissance de son invalidité par la RRQ, l’appelant reprend les discussions avec l’intimée. Celle-ci refuse toujours, le 26 juillet 2017, de verser des prestations d’invalidité ultérieurement au mois de janvier 2014. 

Suivant ce refus, l’appelant dépose une demande introductive d’instance le 4 mai 2018 par laquelle il réclame à l’intimée des prestations d’invalidité, et ce, rétroactivement au 17 janvier 2014.

Le 30 novembre 2018, la Cour supérieure rejette la réclamation au sujet des versements de prestations d’invalidité au motif qu’elle est entièrement prescrite depuis le 17 janvier 2017, soit trois (3) ans suivant le dernier versement.

 

QUESTION EN LITIGE

Quel est le point de départ du délai de prescription quant à la réclamation visant les prestations d’invalidité?

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES

L’appelant, pour sa part, prétend que le point de départ de la prescription débute non pas à compter du dernier versement, soit le 17 janvier 2014, mais bien à compter de la date où celui-ci prétend que ses dernières négociations avec l’intimée ont cessé, c’est-à-dire le 26 juillet 2017. À titre subsidiaire, il soutient également que l’obligation de l’intimée de verser des prestations d’invalidité mensuelles est une obligation à exécution successive, et donc que la prescription extinctive de trois (3) ans court à partir de chacun des versements périodiques.

L’intimée, quant à elle, prétend que son refus du 19 décembre 2013 de verser les prestations d’invalidité au-delà du 17 janvier 2014 était définitif et représente donc le point de départ du délai de prescription, de sorte que le caractère continu de l’obligation ne doit pas être considéré. 

 

ANALYSE DU TRIBUNAL

Dans un premier temps, l’honorable juge Jacques Chamberland rappelle que l’assurance invalidité implique que des prestations périodiques sont payables. La Cour d’appel réitère, une fois de plus, le principe déjà établi par cette instance en 1984, par la décision Allard c. La Mutuelle S.S.Q.2, en vertu duquel la garantie d’assurance invalidité devient bel et bien une obligation à exécution successive dès la survenance de l’invalidité. En conséquence, le délai de prescription extinctive débute généralement à courir chaque fois que l’obligation de verser une prestation d’invalidité devient née et exigible3, c’est-à-dire chaque mois. 

Par contre, lorsque l’assureur et l’assuré poursuivent leur discussion et négociation à propos de la garantie d’assurance, il est possible de retarder le point de départ du délai de prescription, et ce, jusqu’à la date du refus définitif de l’assureur de verser des prestations d’invalidité additionnelles si ce refus survient après que certaines prestations soient devenues exigibles4. Néanmoins, la Cour rappelle qu’il est impossible de devancer le délai de prescription à une date antérieure, et ce, lorsque le refus définitif se présente avant que la prestation d’invalidité ne devienne née et exigible5.

En l’espèce, puisque l’appelant a déposé sa demande introductive d’instance le 4 mai 2018, sa réclamation, quant aux prestations mensuelles du 17 janvier 2014 au 3 mai 2015, est prescrite, puisqu’il lui est interdit d’invoquer le report du point de départ de la prescription extinctive. Le refus définitif de l’intimée est survenu le 19 décembre 2013 puisqu’aucune négociation ni discussion n’a été entamée entre l’appelant et l’intimée au cours de la période du 19 décembre 2013 au mois de juillet 2017. Les parties n’ont pas négocié de façon continue, ce qui aurait retardé le point de départ de la prescription. 

En conclusion, bien que le tribunal rappelle que le point de départ de la prescription en matière d’assurance invalidité correspond à la date où chacune des prestations d’invalidité mensuelles devient exigible, il est fortement recommandé d’entamer un recours judiciaire avant l’expiration du délai de trois (3) ans suivant l’absence du premier versement, même si le risque de perte se limitait aux mois prescrits, et non à l’entièreté du recours. Bien que le délai de prescription pourrait être prolongé en raison de gestes s’apparentant à de la négociation plutôt qu’à un refus définitif, il s’agit d’une question de fait laissée à l’appréciation des tribunaux. 

Rédigé avec la collaboration de Madame Éliane Gadbois, étudiante en droit.

 

1Jacques c. La Capitale assureur de l’administration publique, 2020 QCCA 615.
2Allard c. La Mutuelle S.S.Q., 1984 Carswell Que 567 (C.A.).
3Préc., note 1, par.44.
4Id., par.52.
5Id., par.54.