L’intention frauduleuse : un obstacle à la libération des dettes du failli


Par

La Loi sur la faillite et l’insolvabilité libère le failli de la plupart de ses obligations financières. Toutefois, les dettes fondées sur des déclarations mensongères font exception à la règle et se doivent d’être remboursées en tout temps. À titre d’exemple, omettre de mentionner l’existence d’une dette lors d’une demande de prêt peut avoir pour résultat de rendre cette créance non libérale. Il relève du tribunal de déterminer s’il y a effectivement eu une déclaration mensongère justifiant l’application de l’alinéa 178(1)e) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. À cet effet, les tribunaux ont mis en place des critères. Dans une décision récente1, la Cour d’appel est venue préciser ces derniers en s’attardant à l’intention frauduleuse.

FAITS SAILLANTS

En 2015, la compagnie Connexxion obtient un contrat de répartition et de finition de béton. Afin d’obtenir les fonds nécessaires pour porter à terme ce contrat, Connexxion retient les services de l’intimé, une société de financement de petite entreprise (ci-après : « CAE »), qui lui consent un crédit de 240 000 $. L’appelante se porte caution de ce prêt, jusqu’à concurrence de 100 000 $.

Suite à des difficultés financières, Connexxion abandonne le contrat. Elle ne reçoit que 40 130,72 $ pour les travaux effectués. De cette somme, 26 573,72 $ sont utilisés pour rembourser le prêt consenti par CAE, après quoi, plus aucun paiement n’est effectué. Le prêt arrive à échéance et CAE met en demeure Connexxion et l’appelante de rembourser le solde.

À ce moment, Connexxion et l’appelante se placent toutes deux sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (ci-après: « LFI »). CAE présente alors une demande à la Cour supérieure fondée sur les articles 69.4 et 178 de la LFI pour l’autoriser à continuer ses procédures en recouvrement de créance contre Connexxion et l’appelante, malgré leur faillite. Le juge de première instance accueille la requête.

QUESTION EN LITIGE

Dans le cadre d’une demande présentée sous l’alinéa 178(1)e) de la LFI, le créancier doit-il faire la preuve que l’intention de frauder existait au moment de la conclusion de l’acte?

ANALYSE DU TRIBUNAL

L’article 69.1 de la LFI prévoit que les créanciers n’ont aucun recours et ne peuvent intenter ni poursuivre aucune action en recouvrement contre la personne insolvable. Toutefois, l’article 69.4 de la LFI permet au tribunal de faire exception à cette règle lorsqu’il en résulterait un préjudice sérieux ou une iniquité pour le créancier. C’est notamment le cas lorsque l’action vise une dette non libérale au sens de l’article 178 de la LFI.

Cette disposition prévoit que le failli ne peut être libéré de certaines obligations, notamment celles découlant d’une pension alimentaire, d’une indemnité accordée en justice pour lésion corporelle ou d’une fraude. C’est ce dernier point qui est allégué par CAE. En effet, ce dernier considère que le prêt a été obtenu au moyen de faux-semblants ou grâce à la présentation erronée et frauduleuse des faits par Connexxion et l’appelante.

La Cour d’appel débute son analyse en rappelant les critères devant être démontrés par le créancier aux fins de l’application de l’alinéa 178(1)e) de la LFI :

  1. que son débiteur lui a fait une représentation;
  2. que celle-ci était fausse;
  3. que le débiteur savait que sa représentation était fausse;
  4. que la représentation a été faite dans le but d’obtenir un bien ou un service

La Cour rappelle également le principe établi par la jurisprudence antérieure2 , lequel prévoit qu’un failli qui a fait de fausses représentations pour le compte du tiers envers lequel il a agi comme caution, peut se voir opposer cet article. Ainsi, la requête contre l’appelante, qui a agi comme caution et a représenté Connexxion vis-à-vis CAE, semble à première vue bien fondée.

À sa défense, l’appelante allègue ce qui suit : pour répondre à ces critères, il doit au surplus être démontré que les actes frauduleux sont intervenus au moment où le bien ou service est octroyé. En l’espèce, CAE avait déjà consenti le prêt lorsque les évènements reprochés à l’appelante, notamment le remboursement d’une somme de 60 000 $ à un membre de sa famille, sont intervenus.

La Cour d’appel concède que les critères 3 et 4 nécessitent que l’on s’attarde à l’intention du failli au moment de la conclusion de l’acte. À l’appui, elle cite l’arrêt Tringle c. Potvin3. Dans cette affaire, le failli avait fait de fausses représentations, puisque les sommes prêtées ont été utilisées à d’autres fins que ce qui avait été convenu. Toutefois, la Cour considère que le failli n’avait pas l’intention frauduleuse requise, puisque ce n’est qu’après avoir obtenu les fonds que des évènements l’ont poussé à en faire un usage autre. Au moment de la conclusion de l’acte, son intention était honnête.

En l’espèce, CAE a démontré que l’appelant avait commis des actes répréhensibles à la suite de l’obtention du prêt, mais le contexte de la conclusion du contrat et la teneur des représentations n’ont pas fait l’objet d’une preuve soutenue. Par conséquent, la Cour d’appel n’a d’autre choix que d’infirmer le jugement de première instance et d’accueillir le pourvoi.

Mise en garde

Les créanciers qui désirent opposer à leur débiteur failli l’article 178 (1)e) de la LFI, doivent procéder avec minutie et s’assurer préalablement à leur demande qu’ils détiennent la preuve nécessaire démontrant que l’intention frauduleuse existait au moment de la conclusion de l’acte. Les faits survenus postérieurement à celle-ci demeurent pertinents pour tenter de démontrer la nature intentionnelle et mensongère des représentations. Toutefois, ils ne sont nécessairement suffisants en soi pour prouver que cette intention existait lorsque les parties ont contracté.

Rédigé avec la collaboration de Madame Abegaëlle Duval, étudiante en droit. 

 

1 Pelletier c. CAE Rive-Nord, 2019 QCCA 2164.
2 Banque internationale de commerce S.A. c. Bonin, [1986] J.Q. no 1852 (C.A.).
3 Tringle c. Potvin, 1996 CanLII 6256 (QC CA).