La Cour d’appel réitère les principes de l’arrêt Kitco en matière de compensation de dettes dans le cadre de la LACC


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La Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (ci-après « LACC »), loi fédérale, permet aux entreprises insolvables devant plus de cinq (5) millions de dollars à leurs créanciers de restructurer leurs affaires et leurs finances1. Puisque cette loi est essentiellement une mesure de sauvetage, elle permet à une entreprise de poursuivre ses activités tout en cherchant à se développer et à obtenir l’approbation de transactions ou d’arrangements avec ses créanciers. L’objet principal de la LACC est de permettre d’éviter, dans la mesure du possible, les répercussions sociales et économiques d’une faillite et de permettre aux entreprises en difficulté de poursuivre leurs activités. La LACC offre une plus grande flexibilité ainsi qu’un plus grand pouvoir judiciaire discrétionnaire que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité2. C’est dans un contexte de processus de restructuration sous la LACC que la Cour d’appel a récemment rendu une décision en matière de compensation de dettes. Dans son arrêt Arrangement relatif à Consultants SM inc.3, la Cour se prononce à l’effet qu’une créance détenue par une municipalité en vertu d’une entente conclue à l’occasion d’un programme de remboursement volontaire est une créance ordinaire dans le cadre de l’insolvabilité du cocontractant de la municipalité. Conséquemment, la municipalité ne peut opérer compensation entre cette créance et les sommes qu’elle doit à ce cocontractant insolvable qui sont nées après le début du processus d’insolvabilité.

Faits saillants

Au mois d’août 2018, un processus de restructuration sous la LACC a été entamé à l’égard de Groupe SM inc. ainsi que cinq (5) autres entités liées à cette dernière (ci-après « Groupe SM »). Ainsi, le 24 août 2018, la Cour supérieure rend une première ordonnance (ci-après « ordonnance initiale »), en vigueur depuis le 22 août 2018, qui assujettit Groupe SM à des procédures déposées en vertu de la LACC, suspend les réclamations et procédures le visant et envisage le dépôt d’un plan d’arrangement sous le régime de cette loi. À cette date, la Cour supérieure nomme Restructuration Deloitte inc. (ci-après « Deloitte ») à titre de contrôleur. Le 12 novembre 2018, la Cour supérieure approuve la vente partielle des actifs de Groupe SM à Thornhill Investments inc. (ci-après « Thornhill »). Ainsi, à partir du 19 novembre 2018, Thornhill a été substituée au Groupe SM au regard des contrats visés par la cession.

Entre l’ordonnance initiale et la vente des actifs, Groupe SM avait effectué des travaux au bénéfice de la Ville de Montréal (ci-après « Ville ») que Groupe SM chiffrait à 825 892,20$ (ci-après « créance SM »). Ladite créance du Groupe SM vis-à-vis la Ville a été transférée dans le cadre de la cession des contrats. De son côté, la Ville oppose à la créance SM deux (2) créances, nées avant l’ordonnance initiale,  qui résulteraient de la fraude de Groupe SM dans l’octroi de contrats publics. Elle prétend pouvoir opérer compensation entre ces créances.

La première créance résulte d’une entente de règlement confidentielle entre la Ville et le Groupe SM dans le cadre du Programme de remboursement volontaire (ci-après « entente PRV ») mis en place en vertu de la Loi visant principalement la récupération de sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics (ci-après « Loi 26 »). Cette entente se rapporte à des contrats conclus entre les parties durant les années 1996 à 2016, à l’exception du contrat des compteurs d’eau, et stipule le remboursement échelonné du montant convenu (ci-après « créance PRV ») en vertu de la Loi 26.

La seconde créance se fonde sur un recours entrepris par la Ville, le 26 septembre 2018, également en vertu de la Loi 26, à l’encontre de quatre (4) sociétés du Groupe SM solidairement avec d’autres défendeurs. Celle-ci leur réclame plus de quatorze millions de dollars (14 000 000$) pour avoir participé à une collusion relativement à l’appel d’offres du contrat des compteurs d’eau (ci-après la « créance des compteurs d’eau »).

Le 7 novembre 2018, vu le défaut de Groupe SM de rembourser la créance PRV et l’imminence de la vente de certains actifs à Thornhill, la Ville informe Groupe SM de son intention d’opérer compensation entre ce qu’elle lui doit et les créances ci-dessus mentionnées. Elle lui précise également que ses créances ne peuvent être purgées ou compromises par la restructuration puisqu’elles découlent de la fraude et d’un détournement de fonds du Trésor public.

En réaction à la position de la Ville, Deloitte dépose, le 23 novembre 2018, un recours en jugement déclaratoire par lequel il demande au Tribunal de déclarer que la Ville ne peut opérer la compensation recherchée et de la forcer à payer ce qui est dû au Groupe SM. La Ville conteste cette demande et recherche une déclaration statuant que la compensation légale a opéré de plein droit.

En première instance, la Cour supérieure accueille la demande de Deloitte et condamne la Ville à payer la Créance SM4. Toutefois, dans le cadre de son jugement, l’Honorable juge Corriveau stipule que la Créance PRV constituait une dette découlant d’une fraude au sens de l’article 19(2) LACC, et ce, malgré le libellé de la Loi 26 et l’entente PRV.

La Ville a porté la décision de première instance en appel.

Prétentions de l’appelante

La Ville plaide que la nature de ses créances doit avoir un impact sur le droit à la compensation et qu’il s’agit d’une question préalable. Elle tient pour acquis, à la suite du jugement dont appel, que ses réclamations découlent de la fraude du Groupe SM et sont visées à l’alinéa 19(2)d) de la LACC. Elles ne pourraient dès lors être compromises sans son consentement puisqu’elles résultent de manœuvres dolosives effectuées à l’occasion de contrats publics.

Question en litige

Quelle est la qualification des créances réclamées par la Ville?

Analyse du tribunal

Dans un arrêt majoritaire, le plus haut tribunal du Québec conclut que la créance PRV n’est pas une dette visée par l’article 19(2) LACC. À cet effet, la Cour mentionne que le fait de se prévaloir du Programme de remboursement volontaire mis en place par la Loi 26 ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité ni une admission de commission d’une faute quelconque5. La Cour d’appel poursuit en soutenant que la juge de première instance a commis une erreur en concluant que le fait d’adhérer au Programme de remboursement volontaire permet d’inférer que le Groupe SM a participé à une fraude et que la transaction conclue en vertu de la Loi 26 et du PRV confère à la Ville une réclamation se rapportant à une dette ou obligation résultant d’une fraude6. La créance PRV ne peut donc être qualifiée de frauduleuse puisqu’elle constitue une créance ordinaire et est donc compromise selon le paragraphe 19(1) LACC7. En ce qui concerne la créance des compteurs d’eau, la Cour affirme que la compensation ne peut s’opérer, car la créance alléguée n’est ni certaine, ni liquide, ni exigible8. Malgré les conclusions ci-devant mentionnées, la Cour d’appel rappelle que les principes énoncés dans son arrêt Kitco9 trouvent application en l’espèce. Ces principes stipulent que la compensation n’est pas permise entre une dette née avant les procédures prises en vertu de la LACC, telle la créance PRV, et une autre dette née après celles-ci, comme la créance SM10. Elle ajoute que, même en présence d’une dette qui résulterait d’une fraude, l’arrêt Kitco doit recevoir application11. En effet, l’interprétation qu’a fait la Cour de l’article 21 de la LACC dans l’arrêt Kitco doit primer. L’objectif de la LACC étant de favoriser la restructuration des grandes entreprises ayant de graves difficultés financières, le caractère non compromissoire d’une réclamation ne saurait faire échec au principe selon lequel les procédures d’exécution sont suspendues durant la restructuration.

Fait à noter, le 29 octobre dernier, la Cour suprême du Canada a accepté d’entendre l’affaire.

Rédigé avec l’aimable collaboration de Me Alexandre Bellemare.

 

1 Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R. (1985), ch. C-36, art. 3 (ci-après « LACC »).
2 Id., art. 11.
3 Arrangement relatif à Consultants SM inc., 2020 QCCA 438.
4 Id.
5 Id., par. 41.
6 Id., par. 42.
7 Id., par. 50.
8 Id., par. 58.
9 Arrangement relatif à Métaux Kitco inc., 2017 QCCA 268.
10 Arrangement relatif à Consultants SM inc.,préc. 3, par. 28.
11 Id., par. 50 à 53.