Négociation : les conséquences à ne pas négocier de bonne foi (partie 2)
Nous avons discuté dans une récente publication des conditions requises afin que les négociations entre les parties aboutissent à la formation d’un contrat. Maintenant, qu’en est-il lorsque l’une des parties manque à son obligation de négocier de bonne foi, faisant ainsi achopper les négociations ?
Les professeurs Jobin et Vézina répondent à cette interrogation :
« En règle générale, la liberté contractuelle permet à une partie de se retirer des pourparlers quand elle veut. Elle lui permet même de mener parallèlement des négociations sur le même projet avec un ou d’autres concurrents sans le divulguer (à condition de ne pas mentir à ce sujet ni de ne pas s’être engagée à négocier exclusivement). Cependant on impose de plus en plus de limites à cette liberté d’action, au nom de la bonne foi, comme on le verra dans un instant.
On notera d’abord que la responsabilité sera d’ordre extracontractuel, car aucun contrat n’a encore été conclu au moment où survient la faute. La thèse d’un avant-contrat tacite, ayant pour objet les négociations et comportant en somme les mêmes devoirs, ne semble pas présenter d’avantage.
La partie se prétendant victime d’une violation de la bonne foi aura donc le fardeau de prouver faute, dommage, et un lien de causalité les unissant. La liberté dans les négociations demeurant la règle générale, il n’est pas toujours facile d’établir une des restrictions dictées par la bonne foi; ainsi, ne constitue pas une faute le fait de mettre fin aux négociations quand dans les faits elles sont vouées à l’échec. »¹
L’Honorable juge Rousseau-Houle, dans la décision Compagnie France Film inc. c. Imax corporation² énonce ceci :
« L’obligation générale de bonne foi dans la formation des contrats n’impose point de ne pas rompre les pourparlers contractuels, mais elle commande de ne pas y mettre fin sans justification lorsqu’on a suscité chez le partenaire la confiance dans la conclusion de l’accord » (Nos soulignements)
Ainsi, dans l’occurrence où l’une des parties fait preuve d’une conduite fautive en se retirant sans raison d’une entente sur le point d’être conclue, il pourrait y avoir possibilité de compensation monétaire pour les dommages encourus.
En quoi peuvent consister les dommages ?
Tout d’abord, le préjudice subi doit nécessairement découler de la faute commise par l’autre partie qui fait défaut de négocier de bonne foi. Le préjudice doit être certain, direct et immédiat.
L’Honorable juge Stephen W. Hamilton de la Cour supérieure explique bien la distinction à faire entre les dommages-intérêts découlant d’un préjudice extracontractuel et ceux découlant d’un préjudice contractuel :
« [124] Les dommages pour une terminaison intempestive des négociations ne sont pas les mêmes que les dommages pour la faute contractuelle de ne pas conclure la transaction.
[125] Le but des dommages-intérêts compensatoires est différent selon que le préjudice qu’ils visent à réparer est contractuel ou extracontractuel. Dans le cas d’un préjudice extracontractuel, il s’agit de “ permettre de replacer la victime dans la situation où elle aurait été si la faute n’avait pas eu lieu, en l’indemnisant pour la perte subie et le gain manqué”. Par contre, le but des dommages-intérêts compensatoires pour un préjudice contractuel est de “replacer le créancier dans la situation où il aurait été si le contrat avait été bien exécuté”.³ »
Au stade des négociations, un contrat n’a habituellement pas encore été formé et le préjudice qui en découle est donc forcément de nature extracontractuelle.
Ainsi, selon le cas, divers frais et dépenses encourus peuvent être accordés à titre de dommages, entre autres4:
- les frais d’expertise pour évaluer le projet ;
- les frais de déplacement engagés pour participer aux négociations ;
- les frais pour l’équipement nécessaire ;
- le temps investi au projet ;
- les opportunités d’affaires manquées (directes et certaines) ;
- les troubles, ennuis et inconvénients subis.
Toutefois, la jurisprudence refuse de façon générale d’accorder la perte de profits engendrée par l’échec des négociations étant donné le caractère incertain de ce chef de dommages5.
Par exemple, dans la décision Blum-Lussier c. Lirange6, la Cour supérieure accorde près de 75 000,00 $ en dommages pour la mauvaise foi dont a fait preuve la partie défenderesse lors de la rupture des négociations. Toutefois, seulement la moitié des dommages réclamés sont accordés étant donné qu’à un certain moment, la partie demanderesse devait savoir qu’elle ne pouvait plus se fier aux propos du défendeur et se devait d’arrêter tous les travaux et les dépenses en lien avec le projet.
Par conséquent, tel que démontré dans la présente publication, il est important de négocier de bonne foi tout au long du processus et de ne pas faire avorter les pourparlers abruptement sans avis ni raison valable. En effet, dans une telle situation, les conséquences financières peuvent s’avérer considérables
À l’inverse, dans le cas où l’autre partie présente des signes portant à croire qu’elle désire se retirer des négociations et que les communications deviennent plus difficiles, il faut être attentif et limiter les dépenses reliées au projet. De cette façon, aucune faute ne pourra être reprochée à la partie victime de l’interruption à contretemps des discussions.
Rédigé avec la collaboration de Madame Mariya Andreeva, étudiante en droit.
¹Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les Obligations, 6e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 147.
²Compagnie France Film Inc. c. Imax Inc., 2001 CanLII 18466 (QC CA).
³Goulet c. Carrière, 2014 QCCS 5801, par. 124 à 126.
4Jean-Louis BAUDOIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, no 1-72.
5Billards Dooly’s inc. c. Entreprises Prébour ltée, 2011 QCCS 3944, par. 324.
6Blum-Lussier c. Lirange, 2006 QCCS 657 ; confirmé par Salvatore-Lirange c. Blum-Lussier, 2007 QCCA 1735.