Blessé en jouant au soccer : qui est responsable des dommages subis?


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Que se passe-t-il lorsque deux personnes jouent au soccer ensemble et que l’une d’entre elles se blesse? Qui peut être tenu responsable des dommages résultant de cette blessure sportive? À l’occasion d’une publication antérieure, nous avions traité de la responsabilité extracontractuelle d’un centre de ski à l’égard d’un accident survenu sur les pentes, nous traiterons maintenant de la responsabilité extracontractuelle liée à une blessure occasionnée par le sport. 

Dans l’affaire Daoust c. Solari1 , la Cour du Québec s’est prononcée sommairement sur le sujet après qu’un enfant se soit blessé en jouant au soccer avec un ami et rappelle ainsi que la théorie de l’acceptation des risques limite parfois le recours du joueur blessé au cours d’une activité sportive.  

Principaux faits de l’affaire 

Le 5 mars 2018, Jonathan Daoust et Samuel Solari, deux amis de dix (10) ans, jouent au soccer durant la récréation du matin dans la cour d’école. Jonathan tombe à la suite d’une bousculade avec Samuel et se blesse à la cheville. Samuel l’accompagne donc à l’infirmerie. 

Sur l’heure du midi, ils retournent tous les deux jouer au soccer. La douleur de Jonathan s’intensifie et il est conduit à l’hôpital où on lui diagnostique une fracture de la cheville. Le jeune Jonathan doit porter un plâtre pour une période d’environ six (6) semaines. Les parents de Jonathan intentent alors un recours en responsabilité civile contre le jeune Samuel, contre le père de Samuel et contre la Commission scolaire.

Principales questions en litige

  1. Samuel a-t-il commis une faute causant la blessure de Jonathan?
  2. Dans l’affirmative, le père de Samuel est-il responsable en vertu de l’article 1459 du Code civil du Québec?
  3. La Commission scolaire peut-elle être tenue responsable pour ne pas avoir assuré une surveillance adéquate?

Prétentions des parties

Les parents de Jonathan prétendent que Samuel a commis une faute en bousculant leur fils et que le père de Samuel devrait en être tenu responsable en sa qualité de tuteur de Samuel. Ils prétendent également que la Commission scolaire devrait être tenue responsable puisque, selon eux, cette dernière n’a pas assuré une surveillance adéquate des jeunes garçons, n’a pas découvert la fracture de Jonathan rapidement et a tardé à les informer de la situation. 

Le père de Samuel prétend quant à lui qu’il ne s’agit que d’un bête accident et que son fils n’a commis aucune faute. Il précise d’ailleurs que Samuel, seul témoin de l’événement, affirme être tombé sur Jonathan après que ce dernier ait initié une bousculade amicale. 

Finalement, la Commission scolaire soutient n’avoir commis aucune faute ayant pu causer les dommages subis par Jonathan. Elle affirme avoir assuré une surveillance adéquate durant la récréation et prétend que l’accident était imprévisible.

Analyse du Tribunal

D’abord, la Cour rappelle que le fardeau de preuve incombe aux demandeurs, les parents de Jonathan, en vertu de l’article 2803 du Code civil du Québec2 (ci-après « C.c.Q. »). Ainsi, ils doivent prouver que Samuel a commis une faute et que le préjudice qui en découle résulte directement de cette faute3.

Or, pour commettre une faute, il faut que Samuel ait manqué à son devoir général d’agir avec prudence et diligence et qu’il ait omis d’agir comme une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances4. La Cour rappelle également la théorie de l’acceptation des risques selon laquelle tout sport comporte des risques que le participant doit accepter5, et ce, bien que cette théorie ne puisse être appliquée aussi rigoureusement à un enfant de dix (10) ans qu’à une personne majeure. En effet, la Cour détermine que la théorie de l’acceptation des risques peut s’appliquer à un enfant de dix (10) ans et, qu’en l’espèce, elle doit s’appliquer à Jonathan puisqu’il faisait partie d’une ligue de soccer à une époque contemporaine aux événements et devait savoir qu’il est possible de tomber et de se blesser en pratiquant ce sport. 

De façon plus précise, la théorie de l’acceptation des risques repose sur le fait que le participant à une activité est présumé connaître les risques liés à la pratique de cette activité et, en y participant, il accepte donc les risques encourus. Pour que cette théorie trouve application, trois (3) conditions doivent être rencontrées : (1) la victime devait connaître le risque lié à l’activité, (2) elle doit avoir accepté ce risque et (3) le préjudice subi doit résulter de la réalisation de ce risque6. La notion de risque se limite toutefois aux risques qui sont prévisibles, raisonnables et inhérents à l’activité, et non aux risques déraisonnables ou anormaux.

Selon nous, la Cour a conclu que ces trois (3) critères étaient rencontrés et que la théorie de l’acceptation des risques trouvait application dans cette affaire. En effet, Jonathan était âgé de dix (10) ans, ne présentait aucun trouble d’apprentissage et connaissait les risques liés à la pratique de ce sport puisqu’il faisait partie d’une ligue de soccer. De plus, on peut raisonnablement conclure que le fait que Jonathan soit retourné jouer au soccer sur l’heure du dîner malgré la blessure subie en matinée démontre une certaine acceptation des risques de sa part, d’autant plus que la chute dont il a été victime était accidentelle, selon le Tribunal7, et qu’elle pouvait probablement constituer un risque prévisible, directement lié à la pratique de ce sport. 

Dans un second temps, la Cour se penche sur la responsabilité du père de Samuel en sa qualité de tuteur et retient que même si le jeune Samuel avait commis une faute, la responsabilité de son père ne pourrait être engagée en l’espèce. À ce sujet, l’article 1459 du C.c.Q. crée une présomption légale voulant que le titulaire de l’autorité parentale soit responsable de la faute de son enfant. Pour renverser cette présomption, le titulaire de l’autorité parentale doit démontrer, par prépondérance de preuve, qu’il a assuré une surveillance adéquate de l’enfant, qu’il lui a offert la meilleure éducation possible et qu’il n’a commis aucune faute quant à sa garde8.

À notre avis, si le tribunal avait conclu que le jeune Samuel avait commis une faute, son père serait parvenu à renverser la présomption de responsabilité à son égard. En effet, d’un côté, il avait délégué la garde et la surveillance de Samuel à la Commission scolaire au moment de l’événement, et de l’autre, Samuel était un bon élève, bien éduqué, qui s’exprimait bien et qui avait un excellent dossier académique. La Cour précise d’ailleurs que la bousculade survenue entre Samuel et Jonathan « n’a[vait] rien à voir avec une mauvaise éducation »9.

Dans un troisième temps, la Cour traite de la responsabilité de la Commission scolaire. Sommairement, la Cour retient que la surveillance était adéquate dans les circonstances et que, bien que le risque de chute au soccer soit prévisible, la bousculade entre Jonathan et Samuel, elle, était imprévisible10. De plus, le fait que Jonathan ait lutté contre sa douleur et qu’il soit retourné jouer au soccer sur l’heure du dîner a empêché la Commission scolaire de bien évaluer l’ampleur de la blessure11. Ainsi, le Tribunal conclut que la Commission scolaire n’a commis aucune faute engageant sa responsabilité.

En ce qui concerne plus spécifiquement la responsabilité de la Commission scolaire, cette dernière, propriétaire du terrain de jeux extérieur de l’école, ainsi que ses préposés, sont tenus d’entretenir l’équipement et les installations sportives mis à la disposition des élèves12. Ils sont également tenus de superviser les élèves et de les informer de certains risques liés aux activités qui s’y déroulent. À défaut, leur responsabilité pourrait être engagée. Cependant, en l’espèce, il n’y avait aucune allégation concernant l’état de la cour d’école ni à l’égard de l’information donnée, ou non, aux enfants au sujet des risques d’accident. Il n’y avait donc aucune preuve à l’effet que le terrain était mal entretenu ou présentait un piège ni à l’effet que Jonathan et Samuel n’avaient pas reçu suffisamment de directives. De plus, la Commission scolaire et ses préposés n’avaient pas manqué à leur devoir de supervision des enfants.   

En somme, l’application de la théorie de l’acceptation des risques à un enfant mineur est susceptible de varier selon les circonstances. On tiendra notamment compte de l’âge de la victime, de son degré d’expérience, de son degré de compétence dans ce sport, de sa connaissance des lieux et de la nature de l’activité13. De façon générale, les tribunaux ont reconnu la faculté de discernement d’enfants âgés de sept (7) ans et plus14. On pourrait donc affirmer, sous réserve notamment des caractéristiques propres de l’individu et du type d’activité en cause, qu’une personne âgée de sept (7) ans et plus, qui pratique régulièrement un sport et en comprend les règles, connaît et accepte les risques inhérents à ce sport. Cette personne pourrait donc se voir opposer la théorie de l’acceptation des risques par la personne qu’elle tient responsable de son malheur.

La théorie de l’acceptation des risques n’a toutefois pas pour effet d’anéantir systématiquement la responsabilité de celui qui commet un acte dommageable fautif. Par exemple, cette théorie n’aura généralement pas pour effet d’exclure la responsabilité de celui qui fait preuve d’une rudesse excessive, ni de celui qui blesse volontairement un autre joueur15 ni de celui qui permet l’utilisation d’un équipement désuet, non conforme ou mal entretenu, cette dernière situation pouvant constituer un piège pour l’utilisateur d’un tel équipement. 

Chaque situation ayant ses particularités, un avocat peut vous conseiller sur le bien-fondé de votre recours en responsabilité civile fondé sur une blessure subie durant la pratique d’une activité sportive. 

Rédigé avec la collaboration de Madame Éliane Gadbois, étudiante en droit.

1 Daoust c. Solari, 2020 QCCQ 1045.
2 Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »), RLRQ, c. C-1991.
3 Art.1457 C.c.Q.
4 Préc., note 1, par.24.
5 Id., par.28.
6 BAUDOUIN, Jean-Louis et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 8e Éd., Vol. 1, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2014, p.737-738.
7 Préc., note 1, par.29.
8 Art.1459 C.c.Q.
9 Préc., note 1, par.34.
10 Id., par.38.
11 Id., par.42.
12 KARIM, Vincent, Les obligations, 4e Éd., ,Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par.3381.
13 Préc., note 6, p.742.
14 Ginn c. Sisson, [1969] C.S. 585.
15 DESLAURIERS, Patrice et Christina PARENT-ROBERTS, «De l’impact de la création d’un risque sur la réparation du préjudice corporel» dans Barreau du Québec. Service de la formation continue, Le préjudice corporel (2006), vol. 252, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2006, par.3375.