Protection de votre vie privée : saisie de documents personnels


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L’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés protège les individus contre les perquisitions, fouilles et saisies abusives. Cela signifie concrètement que les policiers, enquêteurs ou autres représentants de l’État ne peuvent entrer sans raison dans le domicile d’une personne pour y saisir n’importe quel document, que ce soit en matière criminelle, pénale, fiscale ou autre. Quoiqu’il existe des exceptions permettant aux représentants de l’État d’agir sans autorisation préalable, ils devront habituellement obtenir un mandat de perquisition, c’est-à-dire l’autorisation d’un juge pour procéder à une saisie.

« Dans l’application de l’art. 8, « il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi » »¹.

Il est maintenant bien reconnu qu’une personne est protégée contre les fouilles de son corps, de son domicile et de son véhicule. La présente publication traite donc de la protection de la vie privée en dehors de ces endroits familiers, soit dans les bureaux d’une compagnie ou d’un professionnel, par exemple dans les locaux d’un comptable.

Attente raisonnable en matière de vie privée

La protection accordée aux documents pouvant être saisis dans de tels lieux dépend essentiellement de l’expectative de vie privée du propriétaire par rapport à ses documents, c’est-à-dire de l’attente raisonnable que peut avoir une personne concernant la confidentialité de ses documents. Un certain nombre de facteurs contextuels permettent de déterminer si une personne a une attente raisonnable en matière de vie privée dans un endroit donné :

« L’examen de facteurs tels la nature des renseignements, celle des relations entre la partie divulguant les renseignements et la partie en réclamant la confidentialité, l’endroit où ils ont été recueillis, les conditions dans lesquelles ils ont été obtenus et la gravité du crime faisant l’objet de l’enquête, permet de pondérer les droits sociétaux à la protection de la dignité, de l’intégrité et de l’autonomie de la personne et l’application efficace de la loi »².

Nature des documents saisis

Lorsqu’il est question de documents saisis chez un tiers, par exemple chez le comptable, deux facteurs principaux doivent alors être considérés : la nature des renseignements et la relation confidentielle ou privilégiée que la personne entretient avec le professionnel.

D’abord, l’expectative de vie privée sera plus grande si la nature des documents est très personnelle. Des documents de nature financière, des factures apportées au comptable par exemple, sont très personnels : ce n’est manifestement pas le genre de documents que l’on laisse à la vue de tous. Ils sont confiés à un professionnel pour une raison précise. Les documents bénéficieront d’une certaine confidentialité s’ils font partie d’« un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État »³. Par ailleurs, « le droit au respect de la vie privée du contribuable est très restreint en ce qui concerne les documents et registres qu’il doit tenir conformément à la LIR [Loi de l’impôt sur le revenu] et produire au cours d’une vérification »4. Il en va de même pour tous les registres et documents qu’un contribuable produit dans le cours normal d’activités réglementées5.

Obligation de confidentialité du professionnel

Ensuite, l’aspect confidentiel de la relation entre la personne et le professionnel est à considérer. Plusieurs professionnels ont une obligation de confidentialité envers leurs clients et ces derniers sont justifiés de croire que leurs documents, et par conséquent leur vie privée, sont protégés lorsqu’ils font affaire avec un tel professionnel6. Si ces documents sont normalement à l’abri de toute intrusion ou ingérence, ils bénéficient d’une certaine expectative de vie privée7, quoique minime.

Aussi, la légalité du contenu d’un document, casier ou sac n’influence pas l’expectative de vie privée de son propriétaire. Ainsi, une perquisition ou saisie illégale ne devient pas a posteriori légale si les enquêteurs ou policiers découvrent quelque chose d’incriminant8.

Finalement, il importe de noter que même si une saisie est déclarée illégale par un tribunal, la preuve obtenue grâce à cette saisie ne sera pas automatiquement exclue dans le cadre d’accusations criminelles ou pénales. Suivant le libellé de l’article 24(2) de la Charte, les documents ne seront exclus que si leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Ainsi, l’attitude des policiers ou enquêteurs au moment de la perquisition et l’importance des documents pour le reste de l’enquête doivent notamment être pris en compte. En effet, selon les circonstances, de tels documents pourraient tout de même être admissibles en preuve9.

Rédigé avec la collaboration de Madame Esther Pelletier, étudiante en droit.


¹R. c. Jarvis, 2002 CSC 73.
²R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281 cité dans Schreiber c. Canada (Procureur général), [1998] 1 RCS 84 et R. c. Jarvis, préc., note 1.
³R. c. Plant, précité note 2.
4R. c. Jarvis, préc., note 1.
5Graham Garton, Recueil de décisions relatives à la Charte canadienne des droits et libertés, Justice Canada, mis à jour : avril 2005 (CanLII),  Attente raisonnable en matière de vie privée.
6Canada c. Norwood, 2001 CanLII 22155 (CAF), par. 19.
7Graham Garton, préc., note 5.
8R. c. Hape, 2007 CSC 26, p. 73.
9Canada c. Norwood, préc., note 6, par. 23 et Donovan c. La Reine, 1998 CanLII 541 (CCI).