Voyager à l’étranger avec un mineur sans l’accord de l’autre parent


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Lors d’une précédente publication, nous avons analysé le contenu de l’autorisation de voyage, document nécessaire pour qu’un enfant puisse voyager sans ses parents ou en présence de l’un d’eux seulement.

Par ailleurs, suite à une séparation, l’autorité parentale, et donc le pouvoir décisionnel, fait parfois l’objet de querelles et de mésententes. Par exemple, un parent peut refuser de signer une autorisation de voyage et ainsi empêcher son enfant de visiter un pays étranger. La présente publication a pour but de clarifier le recours judiciaire pour l’obtention d’une autorisation du Tribunal à voyager lorsqu’un des parents n’y consent pas.

Coparentalité

Un des principes importants dans l’exercice de l’autorité parentale est la notion de coparentalité. En effet, tant que les deux parents sont investis de l’autorité parentale, les deux devraient être inclus dans la prise de décision concernant l’enfant (art. 192, 193, 195, 600 C.c.Q.). Cela veut notamment dire qu’en cas de garde exclusive, le parent qui n’a pas la garde a tout de même voix au chapitre en matière de voyage à l’étranger¹. À plus forte raison, en cas de garde partagée, les parents doivent prendre ce type de décision de concert.

Bien entendu, le parent titulaire de la garde prendra des décisions quotidiennes sans nécessairement obtenir l’approbation de l’autre parent. Par exemple, il pourrait déterminer l’heure du coucher, obliger l’enfant à porter un casque à vélo, etc. Toutefois, pour les décisions de plus grande importance telles que l’inscription à un établissement scolaire, la participation à un camp de vacances ou encore la réalisation d’un voyage à l’étranger, l’accord des deux parents est préférable pour éviter les contestations judiciaires.

Contestation d’une décision parentale « à sens unique »

Si un parent n’est pas d’accord avec la décision importante prise par l’autre parent sans son consentement, il pourra s’adresser à la Cour supérieure, pour contester le bien-fondé de la décision en vertu de son droit de surveillance de l’entretien et de l’éducation de son enfant (art. 604 et 605 C.c.Q.)².

« En cas de conflit entre les deux parents relatifs à l’exercice de l’autorité parentale, le parent qui estime que la question en litige est si importante pour le meilleur intérêt de l’enfant qu’un tiers doive s’y pencher peut s’adresser à la Cour supérieure (art. 604 C.c.Q.). Cette dernière, après avoir favorisé la conciliation des parties, tranchera, et ce, toujours dans le meilleur intérêt de l’enfant (art. 33 et  604 C.c.Q.) »³.

Intérêt de l’enfant

Le Tribunal rendra alors une décision dans le meilleur intérêt de l’enfant (art. 33 C.c.Q.), c’est-à-dire en considérant ses besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres particularités de sa situation4.

Par ailleurs, une conception moderne en droit veut que l’enfant soit un sujet de droit à part entière, à savoir un « participant » et non un simple objet de droit par rapport à ses parents. Son avis sera donc souvent considéré si son âge et son discernement le permettent (art. 34 C.c.Q.).

En matière de voyage à l’étranger, la Cour pourra prendre en compte les facteurs suivants pour autoriser ou refuser le voyage à la place du parent qui refuse de signer la lettre de consentement :

  • L’intérêt de l’enfant;
  • La volonté de l’enfant, si son âge et son discernement le permettent;
  • La santé de l’enfant et la nécessité de vaccins5;
  • Le vécu de l’enfant relativement aux voyages antérieurs. À cet effet, si un parent a déjà autorisé par le passé des voyages à l’extérieur, le Tribunal examinera les motifs de refus du voyage en litige;
  • La crainte quant au non-retour du parent avec l’enfant6;
  • La durée du voyage (2 semaines étant considérées comme un court séjour);
  • Les absences de l’école à cause du voyage;
  • L’empiètement du voyage sur le temps de garde du parent qui s’oppose au voyage et la possibilité de rattraper ce temps perdu7;
  • La présence de parenté de l’enfant dans le pays visité;
  • La sécurité de l’enfant dans le lieu visité (L’absence d’avis du Ministère des Affaires étrangères à l’effet d’éviter tout voyage dans le pays en question, pour terrorisme, conflit armé, maladie ou autre)8;
  • La disponibilité des ressources financières du parent pour réaliser le voyage sans compromettre les besoins de l’enfant9;
  • Le comportement transparent du parent désirant voyager (Il n’a pas omis d’aviser l’autre parent d’un voyage, n’a pas menti quant à la destination, etc.)10;
  • L’importance pour l’enfant de passer du temps de qualité avec son parent, par exemple en faisant un voyage11.

Le tribunal pourrait alors accorder le droit au parent qui en fait la demande à voyager à l’extérieur du Canada avec l’enfant, pour une durée déterminée, à des dates déterminées et ce, malgré l’absence de consentement de l’autre parent.

Le juge pourrait aussi ordonner au parent qui amène l’enfant à l’étranger de transmettre à l’autre parent les informations relatives au voyage soit la date de départ et de retour, la destination, le transport et le lieu d’hébergement, et ce, dès que les réservations auront été effectuées, etc. Ce sont sensiblement les mêmes informations qui se retrouveraient par ailleurs dans l’autorisation de voyager.

Autorisation générale

Il est par ailleurs possible qu’un parent ayant la garde exclusive ou partagée d’un enfant obtienne une autorisation générale de voyager avec cet enfant. Il pourrait en être ainsi si l’autre parent maintient une position rigide à cet égard12, s’il est nécessaire de recourir aux tribunaux à plusieurs reprises pour autoriser des voyages ou encore si l’autre parent est absent, instable ou très difficile à contacter.  Cette autorisation générale pourrait même être demandée au préalable et accordée dans le jugement fixant la garde de l’enfant.

Le parent voyageant avec l’enfant devra toutefois aviser l’autre parent par écrit de la date de tout voyage qu’il entend faire avec l’enfant au moins un mois avant ledit voyage. Le but de cette autorisation générale est d’éviter le recours systématique aux tribunaux lorsque les parents n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente.

En somme, un parent peut s’adresser aux tribunaux pour obtenir une autorisation de voyage en cas de refus catégorique de l’autre parent. Il est donc possible de voyager à l’étranger avec son enfant, même lorsque la situation familiale est difficile, cela demande simplement plus de préparation.

Rédigé avec la collaboration de Madame Esther Pelletier, étudiante en droit.


1Droit de la famille – 09746, 2009 QCCA 623.
2Id.
3Id., par. 48.
4Droit de la famille – 1056, 2010 QCCS 133.
5Suzanne Guillet, « Chapitre IV – Les droits de l’enfant à l’occasion d’un litige familial », dans Collection de  droit 2014-15, École du Barreau du Québec, vol. 3, Personnes, famille et successions, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014.
6Sandra Armanda, « Trousse juridique pour parents voyageurs », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 355, Développements récents en droit familial (2012), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 139.
7Droit de la famille –10757, 2010 QCCS 1389, par. 90.
8Droit de la famille – 081088, 2008 QCCS 1979, par. 73.
9Id.
10Droit de la famille –112060, 2011 QCCS 483.
11Droit de la famille1056, préc., note 1, par. 12.
12Droit de la famille –10264, 2010 QCCS 513, par. 10 à 12.