La qualification constitutionnelle de son entreprise: pourquoi s’y intéresser?


Par

Derrière des considérations de performance, de rentabilité financière et de gestion des ressources humaines, il peut être parfois difficile pour un employeur de dégager, avec acuité, les obligations juridiques qu’il doit respecter. Bien souvent, les entrepreneurs perdent de vue l’importance de bien saisir les dimensions juridiques qui se rattachent à leur entreprise.

Or, une connaissance approfondie de la structure juridique de l’entreprise et de ses aléas peut permettre à un employeur de mieux appréhender les risques associés à d’éventuels litiges, et ce, que ce soit avec ses fournisseurs ou ses employés. La présente publication fera le point sur une dimension importante de l’entreprise: les relations de travail.

Les précisions constitutionnelles

D’entrée de jeu, il importe de mentionner les précisions constitutionnelles qui s’imposent. En effet, la Loi constitutionnelle de 1867 demeure silencieuse sur la juridiction dévolue en matière de relations de travail. Ainsi, on doit donc en déduire que ce sera l’article 92 (13), compétence provinciale en matière de propriété et droits civils qui couvre cette dimension contractuelle. Toutefois, le Parlement fédéral conserve sa compétence d’exception sur les sujets visés à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Force est donc d’admettre que la compétence en matière de relations de travail en est une de juridiction partagée, tantôt fédérale, tantôt provinciale.

La qualification de l’entreprise

En d’autres mots, la nature de l’entreprise exploitée aura un impact sur le cadre juridique applicable à l’entreprise. Si cette dernière opère dans un champ d’activités se retrouvant à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 (les banques, la poste, les télécommunications, les chemins de fer, etc.), les relations de travail seront régies par le Code canadien du travail.

La loi constitutive de la société, qu’il s’agisse de la Loi sur les sociétés par actions (Québec) ou de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, n’a aucune importance, ni même pertinence sur la détermination de la juridiction applicable. En effet, le test est celui de la qualification constitutionnelle de l’entreprise exploitée, non pas du véhicule corporatif employé.

Illustration pertinente: le droit du transport

Sans faire une revue exhaustive des récents développements dans tous les secteurs d’activités fédéraux mentionnés ci-haut, il convient d’accorder une attention particulière à celui du transport interprovincial. Notre situation géographique et notre mode de consommation le justifiant, l’industrie du transport occupe une place importante dans l’économie québécoise. Plusieurs transporteurs opèrent des entreprises offrant des services intraprovincial et interprovincial. Devant cet état de fait, quel est le cadre juridique approprié : le Code canadien du travail ? La Loi sur les normes du travail ?

Les motifs de la décision du plus haut tribunal de la province dans l’affaire Léo Beauregard et Fils apportent une réponse claire à cette problématique. L’Honorable juge Dussault y réitère l’état du droit existant en ce domaine à l’effet qu’il ne faut pas regarder le pourcentage de déplacements effectués dans les différentes provinces pour déterminer le statut constitutionnel de l’entreprise, il faut plutôt privilégier deux critères : la régularité et la continuité. Une activité discontinue, purement occasionnelle ou fortuite de transport à l’extérieur de la province ne sera pas suffisante à conférer un caractère fédéral à l’entreprise.

En effet, si le transporteur maintient un bas niveau d’opérations interprovinciales, mais que ces dernières sont régulières et continues, l’entreprise opérée tombera sous le coup de la législation fédérale. Par exemple, dans l’affaire Tank Truck Transport, le transport interprovincial ne représentait que 6% des activités de l’entreprise et dans Liquid Cargo Lines, seulement 2% des activités était lié à ce type de transport.

Conclusion

En somme, on comprend donc la pertinence de qualifier, avec précision, la nature et la qualification constitutionnelle d’une entreprise, et ce, tant pour l’employé désirant se prévaloir d’un recours que pour l’employeur.

En effet, une des conséquences de la qualification fédérale de l’entreprise réside dans le fait que la Loi sur les normes du travail, loi applicable aux entreprises provinciales, ne s’appliquera pas à cet employeur, celui-ci étant plutôt soumis, en ce qui concerne les normes du travail, à la partie 3 du Code canadien du travail.

De fait, l’employé devra se tourner vers la législation fédérale et introduire son recours selon ce cadre normatif plutôt que selon la Loi sur les normes du travail. Un employeur vigilant et informé de cette distinction pourra quant à lui soulever un moyen d’irrecevabilité en absence de compétence s’il voit que le recours est introduit devant le mauvais forum.

Dans une prochaine publication, il sera fait état des principales distinctions entre ces deux textes normatifs.

Pour plus d’informations concernant le droit commercial, nous vous invitons à communiquer avec Me Roselyne Déry-Lafrenière, laquelle se fera un plaisir de répondre à vos questions.

Rédigé par Bernier Fournier.