Conjoints de fait et enrichissement injustifié: La Cour d’appel précise les critères
Le 18 septembre dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu un jugement qui aura assurément des grandes répercussions pour les conjoints de fait. En effet, dans la décision Droit de la famille – 132495, la plus haute instance de la province a renversé une décision de la Cour Supérieure et a ordonné qu’un ex-conjoint de fait verse 398 000 $ à son ex-conjointe à titre d’indemnité pour enrichissement injustifié.
Les faits
Après 22 ans de vie commune et 4 enfants, le couple se sépare et l’ex-conjointe se retrouve dans une situation financière désavantageuse par rapport à son ex-conjoint et souhaite obtenir une indemnité pour l’enrichissement injustifié de ce dernier. En effet, peu après la rupture, les actifs de monsieur s’élève à près de 4 millions alors que ceux de madame sont d’environ 111 000 $.
Le couple s’est rencontré en 1977 alors que tous les deux étaient aux études. Madame est alors âgée de 17 ans et monsieur de 20 ans. En 1978, l’intimé commence à travailler pour l’entreprise paternelle et détient alors 20 % des actions de ladite entreprise. Plus tard, madame se joindra à l’entreprise familiale et y travaillera pendant 5 ans. En 1988, le père de monsieur cède à ce dernier ses parts dans l’entreprise. En 1993, le frère de monsieur lui cède à son tour ses parts et l’intimé devient donc l’unique actionnaire de l’entreprise.
En 1991, suite à une décision prise d’un commun accord, l’appelante cesse de travailler pour s’occuper de l’éducation des enfants et pour s’acquitter des tâches ménagères. Monsieur, malgré son emploi du temps chargé, est tout de même impliqué dans la vie familiale et madame reçoit un salaire de l’entreprise à des fins fiscales.
Au courant de leur vie commune, le couple songe à deux reprises à signer un contrat de vie commune, car madame est inquiète de se retrouver désavantagée en cas de rupture. Finalement, aucun contrat n’est intervenu entre les parties et la vie commune cesse en 2007.
Décision de première instance
En première instance, la Cour supérieure a rejeté le recours en enrichissement injustifié de l’appelante et cela bien qu’elle reconnaisse la situation déplorable de celle-ci. La juge s’exprime dans ces mots :
«Le Tribunal conclut que la défenderesse ne s’est pas appauvrie. Elle a reçu une compensation pour ses prestations de service de tout ordre et n’a pas contribué à l’enrichissement pour l’apport à un bien en particulier ».
Décision de la Cour d’appel
La Cour infirme la décision de première instance considérant que celle-ci contient plusieurs erreurs. Tout d’abord, la Cour rappelle qu’il n’appartenait pas à madame de faire la preuve qu’elle aurait eu un travail mieux rémunéré si elle n’avait pas investi son temps au sein de la famille. C’était à monsieur de démontrer que l’appauvrissement de madame n’avait aucun lien avec son propre enrichissement et qu’il existait un motif juridique à celui-ci. Cette preuve n’a pas été faite.
Ensuite, la Cour indique que la juge de la Cour supérieure ne devait pas tenir compte de la balance des avantages conférés à madame par monsieur pour déterminer s’il y avait enrichissement injustifié. Ainsi, la juge n’aurait pas dû tenir compte du salaire qui était versé à l’appelante pour déterminer qu’elle ne s’était pas appauvrie. Cet aspect ne doit être traité qu’au moment d’évaluer la réparation appropriée sauf si cela peut faire la preuve « des attentes raisonnables des parties à l’étape de la recherche d’un motif juridique à l’enrichissement », ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Finalement, la Cour se base sur la décision Kerr c. Baranow rendue par la Cour suprême en 2011 pour octroyer la réparation appropriée. Bien que cette décision relève de la common law, la Cour conclut qu’elle est applicable au Québec, car les principes qui s’en dégagent sont parfaitement compatibles avec les principes d’enrichissement injustifié et avec les arrêts québécois antérieurement rendus en la matière.
Ainsi, pour octroyer la réparation appropriée dans le cas d’une union de fait de longue durée de type traditionnelle, il faut se baser sur la méthode de la valeur accumulée qui s’applique dans le cas où il y a coentreprise familiale. En utilisant cette méthode, la réparation s’effectue en fonction de « la contribution proportionnelle du conjoint demandeur à l’accumulation de la richesse ». Pour conclure qu’il y a coentreprise familiale, il faut respecter 4 conditions :
1) les parties ont collaboré à la réalisation d’objectifs communs importants
2) un niveau élevé d’intégration des finances des parties
3) que les parties avaient l’intention de partager la richesse qu’elles ont créée ensemble
4) qu’une partie s’est fiée à l’autre, à son détriment, pour le bien-être de la famille
En l’espèce, la Cour d’appel a conclu que les critères étaient rencontrés et qu’il y avait bel et bien une coentreprise familiale. En prenant en considération les différentes circonstances au dossier, la somme de 398 000 $ a été accordée à l’appelante à titre d’indemnité vu l’enrichissement de son ex-conjoint.
En conclusion, cet arrêt de la Cour d’appel du Québec vient confirmer que la notion d’enrichissement injustifié peut bel et bien s’appliquer même lorsqu’elle implique une union de fait, et ce lorsque certaines conditions sont rencontrées. Considérant que les couples vivant en union de fait sont de plus en plus présents au Québec, il est fort à parier que cette décision fera assurément couler beaucoup d’encre dans les prochaines années.
Rédigée avec la précieuse collaboration de Mme Annie-Pier Côté, étudiante en droit