La Cour d’appel se prononce : Québec ne peut revendiquer les données du registre des armes d’épaule


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Il y a peu de temps, le gouvernement fédéral annonçait l’abrogation de l’obligation pour les détenteurs d’armes d’épaule de les enregistrer créant ainsi un tollé dans l’opinion publique québécoise. C’est dans ce contexte que le Procureur général du Québec s’était adressé à la Cour supérieure pour faire déclarer inopérant l’article 29 de la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu quant aux données provenant du Québec ou concernant ses citoyens et ceux qui s’y trouvent, ainsi que ceux qui y commettent des évènements impliquant une arme à feu. L’article 29 prévoyait la destruction immédiate des données relatives aux armes d’épaule obtenues sous le régime de l’enregistrement de la Loi sur les armes à feu.  La Cour supérieure avait accueilli la requête et déclaré que le Québec était en droit de recevoir ces données.

Dans un jugement unanime, exceptionnellement composé d’un banc de cinq juges, la Cour d’appel accueille l’appel et donne cette fois-ci raison au Procureur général du Canada, rejetant ainsi la requête en déclaration d’invalidité constitutionnelle émise par le Procureur général du Québec.

La juge en chef du Québec, l’Honorable Nicole Duval Hesler, qui a rédigé les motifs de la Cour, bien que saluant l’effort de réflexion du juge de première instance, exprime de sévères commentaires sur la place des tribunaux dans ce genre de débat qui relève davantage de la sphère politique que judiciaire. Elle exprime le rôle des tribunaux en ces termes :

[L]’opportunité de la législation attaquée n’est pas pertinente à l’analyse. Il n’appartient pas aux tribunaux de substituer leur appréciation du caractère approprié d’un projet de loi à celle des législateur/es. Il s’agit là d’une question essentiellement politique et non justiciable. La question de l’efficacité et de l’utilité de tenir un registre sur les armes d’épaule en circulation est foncièrement politique.

S’il doit y avoir un prix à payer pour avoir adopté une loi qui pourrait avoir pour effet d’engendrer des coûts inutiles pour un autre ordre de gouvernement en raison de la destruction des données contenues à un registre, il se paie aux urnes et non pas, à moins d’absence de compétence ou de violation des droits garantis par les Chartes, devant les tribunaux.

Il faut savoir que l’adoption de la Loi sur les armes à feu avait fait l’objet d’un renvoi à la Cour suprême du Canada pour en tester sa validité. La juge en chef Hesler enchaîne ainsi : « Si le fédéral avait la compétence pour l’édicter [la Loi sur les armes à feu] il a aussi le pouvoir de la modifier par une loi subséquente. » La Cour reconnait donc la légalité de l’abolition du registre, sans se prononcer sur d’autres considérations politiques.

La loi ainsi contestée abolit un régime déclaré valide et on ne peut donc prétendre qu’il y a un empiètement plus important sur les compétences provinciales, argument soutenu par le Procureur général du Québec. De l’avis de la Cour, l’empiètement sur les compétences provinciales demeure accessoire à la compétence fédérale en matière criminelle et est, de surcroit, de peu d’importance.

Les arguments soulevés par Québec sur la question du fédéralisme coopératif, c’est-à-dire essentiellement la collaboration entre le gouvernement fédéral et provincial, ont également été balayés du revers par la Cour. Cette dernière a soutenu que le registre n’est que de conception fédérale, le rôle des provinces se limitant à colliger les informations qu’elles recueillent sur les permis pour les fins du registre dont elles ont la responsabilité, à savoir le registre des permis de port d’arme. Par conséquent, la Cour d’appel, après avoir accueilli l’appel sur l’invalidité de la loi, refuse également au Québec d’obtenir les fichiers d’enregistrement des armes d’épaule. « Le Québec ne détient aucun droit réel sur les données » tranche la juge en chef dans ses motifs. Ces données sont « sous la seule et unique responsabilité du Directeur de l’enregistrement – un fonctionnaire fédéral- ».

Comme quoi les tribunaux ne sont pas les derniers remparts pour contester une décision gouvernementale politiquement controversée. Les juges ont plutôt la tâche ingrate de mettre de côté leur opinion et de ne tenir compte que des considérations judicaires qui siéent à leur fonction. Reste à savoir si cette décision sera portée en appel devant la Cour suprême du Canada. Le ministre de la justice, Bertrand St-Arnaud, aurait déjà annoncé son intention de soumettre le pourvoi au plus haut tribunal du pays. Il s’agirait alors de la dernière chance pour Québec de se voir transférer les données de l’ancien registre.

 

Me Miguel Mpetsi Lemelin

Avec la précieuse collaboration de François Houle, étudiant en droit

 

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