Droit du travail: le principe de la non-discrimination et le statut d’étudiant


Par

Une décision récente du Tribunal des droits de la personne1(ci-après nommé le « Tribunal ») devrait donner matière à réflexion aux employeurs qui embauchent des étudiants pour accomplir diverses tâches au sein de leur entreprise. Dans cette décision, le Tribunal réaffirme le principe de non-discrimination dans la détermination du salaire des membres du personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit2.

Faits

Au sein de l’Aluminerie de Bécancour inc. (ci-après nommée « ABI »), il existe trois (3) catégories de salariés : les employés réguliers, les employés occasionnels et les étudiants. La rémunération d’un employé régulier ou occasionnel est déterminée uniquement par le poste qu’il occupe, et ce, même s’il n’est pas habilité à effectuer toutes les tâches du poste. La détermination de la rémunération ne se fait donc pas en fonction d’autres considérations comme l’ancienneté. Jusqu’à la convention collective de 1994, cette politique était tout autant applicable aux étudiants3.

À compter du 1er janvier 1995, la convention collective intervenue entre le Syndicat des Métallos Local 9700 (Aluminerie de Bécancour) (ci-après nommé le « Syndicat ») et ABI prévoit expressément une rémunération inférieure pour les étudiants, sans égard aux secteurs et aux postes auxquels ils sont affectés4.

En 2000, dans le cadre de la négociation de la prochaine convention collective, ABI refuse la demande du Syndicat d’éliminer la distinction salariale à l’égard des étudiants5.

En 2009, suivant la signature d’une nouvelle convention collective, l’écart s’accroît entre le salaire des étudiants et celui des employés réguliers et occasionnels. La rémunération des étudiants pouvait équivaloir approximativement à 71% de la rémunération d’un autre employé affecté au même poste6. C’est d’ailleurs ce qui a mené le Syndicat a déposer plusieurs plaintes dont l’une d’entre elles a été retenue par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après nommée la « Commission ») et a fait l’objet de la récente décision du Tribunal.

Analyse

Pour que la demande de la Commission soit accueillie par le Tribunal, trois (3) aspects devaient être prouvés. Tout d’abord, il devait y avoir une distinction entre le salaire des étudiants et celui des autres employés qui effectuent un travail équivalent au même endroit. Cette distinction devait être fondée sur un des motifs énumérés à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne7 (ci-après nommée la « Charte québécoise »). Finalement, la distinction devait avoir été faite à l’égard de groupes d’employés qui accomplissent un travail équivalent au même endroit. D’ailleurs, l’intention de l’employeur de discriminer un groupe d’employés et le fait que les étudiants soient payés à un taux horaire nettement supérieur au salaire minimum ne sont pas des éléments pertinents lors de la détermination de l’existence de la discrimination.

La distinction est évidente dans le présent dossier, car il n’est pas contesté que la rémunération des étudiants est moindre que celle des autres employés.

En ce qui concerne les motifs prévus à la Charte québécoise, l’âge ainsi que la condition sociale des étudiants ont été retenus par le Tribunal. En effet, le statut d’étudiant a été reconnu comme étant une condition sociale au sens de la Charte québécoise pour la première fois dans une décision rendue par la Commission en 19828. De plus, en 2002, les juges administratifs Dominique Bélanger et Pierre Lanthier ont affirmé dans la décision George c. Fonds d’aide aux recours collectifs, que les étudiants sont généralement reconnus comme faisant partie d’une classe inférieure de travailleurs dans la société québécoise, affirmant même que « [l]e Tribunal est d’avis que de fait, il existe dans la société québécoise une idée que la main-d’œuvre étudiante est une main-d’œuvre à bon marché »9.

Le Tribunal doit donc analyser la situation afin de déterminer notamment si le travail effectué par les étudiants est équivalent à celui des employés réguliers ou occasionnels10, sans toutefois qu’il soit nécessaire d’établir que les étudiants effectuent exactement le même travail que les employés réguliers ou occasionnels.

ABI prétend que la distinction est justifiée par le fait que les étudiants n’effectueraient pas le même nombre de tâches que les autres employés. Le Tribunal rejette cet argument en se basant notamment sur les éléments suivants :

  • Les employés occasionnels n’effectuent pas non plus toutes les tâches et ne se voient toutefois pas accorder un traitement salarial différent;
  • Certains étudiants font les mêmes tâches que les employés occasionnels ou réguliers, mais reçoivent tout de même un traitement différent;
  • À certains postes, les étudiants effectuent plus de tâches que les employés occasionnels, mais obtiennent un traitement différent.

Le Tribunal considère que rien ne justifie l’écart entre la rémunération accordée aux étudiants et celle accordée aux employés réguliers ou occasionnels. Il conclut qu’ABI a fait preuve de discrimination à l’égard des étudiants qu’elle embauche et lui ordonne de corriger rétroactivement le préjudice subi par les salariés victimes de discrimination et, de surcroît, accorde la somme de 1000,00 $ à chacune d’elles à titre de dommages moraux.

Impacts

Cette décision mérite assurément d’être prise en considération par les employeurs lors de la détermination des conditions salariales de leurs employés, car, réaffirmant le principe de non-discrimination dans la détermination du salaire des membres du personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit, elle énonce sans équivoque que le simple statut d’étudiant ne peut justifier un salaire inférieur à celui des autres employés, bien au contraire!

Certaines exceptions

Il faut toutefois garder à l’esprit que certains critères permettent de justifier une distinction salariale entre les employés d’une même entreprise effectuant un travail équivalent, en autant qu’ils soient appliqués uniformément à tous les employés. Par exemple, l’expérience, l’ancienneté, la durée du service, l’évaluation au mérite, la quantité de production ou le temps supplémentaire sont des motifs permettant de justifier une distinction salariale.

Appel de la décision du Tribunal

ABI a porté la décision du Tribunal en appel. Il sera intéressant de suivre ce dossier dans les prochains mois.

 

Rédigé avec la collaboration de Me Alexandra Raymond-Plante.


1Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc., 2018 QCTDP 12.
2Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 19. L’article 19 prévoit toutefois certaines exceptions à cette règle.
3Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc., préc., note 1, par. 53.
4Id., par. 56 et 57.
5Id., par. 480.
6Id., par. 58, 322 et 325.
7préc., note 2.
8Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. La ferme de la poulette grise inc., (C.P. 240-02-000028-819) SOQUIJ AZ-82031041.
9George c. Fonds d’aide aux recours collectifs, 2002 CanLII 55213 (QC TAQ).
10préc., note 1, par. 361.