Un courriel peut-il servir de testament?


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Un courriel peut-il servir de testament ? L’avènement et la démocratisation de l’usage des outils technologiques apportent leur lot de questionnements juridiques. À cet effet, la Cour supérieure a eu à se pencher, dans l’affaire Bitton1 sur la validité d’un courriel comme forme d’expression des dernières volontés d’un défunt.

La Loi ne prévoit que trois méthodes pour établir un testament valide. Ces méthodes sont prévues à l’article 712 du Code civil du Québec : « On ne peut tester que par testament notarié, olographe ou devant témoins »2. Chacune de ces méthodes est assujettie à un formalisme qui, faute d’être observé, mène à la nullité du testament3. Toutefois, à la différence du Code civil du Bas-Canada, le nouveau Code civil du Québec, à son article 714, allège quelque peu ce formalisme pour le testament olographe et le testament devant témoins :

Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux conditions requises par sa forme vaut néanmoins s’il y satisfait pour l’essentiel et s’il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt.4

Le testament notarié requiert d’être reçu en minute par un notaire, assisté d’un témoin5. Le testament olographe, quant à lui requiert d’être signé par le testateur autrement que par un moyen technique, c’est-à-dire de sa propre main6. Ces deux méthodes ne permettent clairement pas de considérer un courriel contenant les dernières volontés du défunt comme un testament valide. C’est donc sur la méthode du testament devant témoins que la question a été débattue.

Les formalités pour le testament devant témoin sont prévues, notamment, à l’article 727 du Code civil du Québec :

Le testament devant témoins est écrit par le testateur ou par un tiers.

En présence de deux témoins majeurs, le testateur déclare ensuite que l’écrit qu’il présente, et dont il n’a pas à divulguer le contenu, est son testament; il le signe à la fin ou, s’il l’a signé précédemment, reconnaît sa signature; il peut aussi le faire signer par un tiers pour lui, en sa présence et suivant ses instructions.

Les témoins signent aussitôt le testament en présence du testateur.7

Faits saillants

En 1989, suite à un divorce, monsieur Bitton a établi un testament devant témoins prévoyant que l’ensemble de ses biens soit dévolu à ses trois enfants. Ce testament respectait toutes les formalités requises à l’époque par le Code civil du Bas-Canada. Monsieur Bitton s’est plus tard remarié sans jamais avoir modifié son testament. Bien qu’il ait fait préparer un projet de testament par un notaire, il n’est jamais allé le signer.

En mars 2020, monsieur Bitton contracte la Covid-19 et est hospitalisé. Craignant de ne pas y survivre, il fait parvenir un courriel à son notaire lui indiquant ses dernières volontés, dont celle d’inclure sa seconde épouse aux héritiers. Dans son courriel au notaire, il indique qu’il s’agit de son testament et ajoute qu’advenant qu’il ne puisse signer le projet de testament que préparera le notaire : « ceci est ma signature ».

Le notaire a ensuite téléphoné à monsieur Bitton, et il déclare que celui-ci était lucide et qu’il lui a confirmé verbalement toutes les instructions contenues au courriel. Le notaire a voulu préparer le testament et aller le faire signer par monsieur Bitton à l’hôpital, ce qu’il n’a pas pu faire en raison des restrictions reliées à la Covid-19 quant aux visites à l’hôpital.

Le notaire a alors préparé un nouveau projet de testament pour le rendre conforme aux volontés de monsieur Bitton et lui a fait parvenir par courriel. Mais monsieur Bitton n’a jamais répondu à celui-ci puisqu’il a été plongé dans un coma artificiel dont il ne s’est jamais réveillé. Un litige est ainsi né entre l’épouse et les enfants de monsieur Bitton quant à la succession pour déterminer quelle était la valeur juridique des dernières volontés exprimées par le défunt dans son courriel.

Prétention des parties

Les enfants de monsieur Bitton soutiennent que le courriel au notaire n’est pas un testament valide puisqu’il ne respecte pas les formalités prévues par la Loi.

L’épouse du défunt, quant à elle, soutient que le courriel représente ses véritables dernières volontés et que même s’il ne rencontre pas toutes les formalités requises, il y satisfait pour l’essentiel. Il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt et rencontre ainsi les critères de l’article 714 du Code civil du Québec susmentionné. Elle ajoute que le notaire est un témoin du défunt, car il lui a confirmé le contenu de ses dernières volontés par téléphone. De plus, la présence d’un second témoin a déjà été jugée par les tribunaux comme n’étant pas une formalité essentielle du testament devant témoins8.

Analyse du tribunal

La Cour souligne tout d’abord les objectifs du formalisme testamentaire. Celui-ci permet de s’assurer que le testament contient bien les dernières volontés du défunt et que celui-ci n’a pas fait l’objet d’une influence indue dans la préparation et la finalisation du testament. Il vise aussi à faire comprendre au testateur qu’il accomplit un acte important auquel il doit porter une attention particulière. Il permet aussi de limiter les possibilités de fraude et de modification par des tiers en plus de favoriser la preuve de l’acte juridique.

En raison de ces objectifs, il est possible qu’en certaines situations, ce formalisme empêche des personnes de donner une valeur testamentaire à leurs dernières volontés. Mais ce prix à payer est compensé par les avantages que procure le formalisme testamentaire qui incluent notamment la facilitation de la preuve, la sécurité juridique et la paix d’esprit pour les familles concernées.

Contrairement aux prétentions de l’épouse du défunt, le juge considère plutôt que le testament par courriel ne satisfait pas aux formalités pour l’essentiel, mais plutôt qu’il ne rencontre pratiquement aucune des formalités requises, mis à part le fait qu’il s’agisse d’un écrit.

Tout d’abord, il fait remarquer que le testament devant témoins doit être fait en présence des témoins et que ceux-ci doivent signer l’acte en même temps que le testateur et en sa présence. Selon le juge, le testament devant témoin « est foncièrement incompatible avec l’idée que les témoins puissent se trouver dans un autre lieu que le testateur ou qu’ils pourraient devenir témoins » au sens de l’article 727 du Code civil du Québec par la réception du courriel le lendemain. Le testament devant témoins ne peut se faire qu’en « présentiel ».

Ensuite, il fait remarquer que la mention « ceci est ma signature » dans un courriel n’équivaut pas à apposer sa signature sur un document. Selon l’article 2827 du Code civil du Québec, la signature « consiste dans l’apposition qu’une personne fait à un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement ». Dans le cas présent, il ne s’agissait ni du nom du testateur, ni d’une marque personnelle qu’il utilise fréquemment pour manifester son consentement, ni d’une signature électronique permettant de lier le document à une personne. De plus, même s’il avait inscrit son nom, le simple fait de dactylographier son nom au bas d’un document technologique ne vaut pas signature9.

Il s’avère donc qu’il n’est pas possible de faire un testament valide par un simple échange de courriel.

Pour plus d’informations sur le droit successoral :

Droit successoral
Contestation de la validité d’un testament ou de ses clauses
Rédaction testamentaire

Rédigé avec la collaboration de Monsieur Luc Robitaille, étudiant en droit. 

1 Bitton c. Bitton, 2021 QCCS 4649.
Une demande pour obtenir la permission d’appeler a été rejetée dans ce dossier.
2 Code civil du Québec, R.L.R.Q., CCQ-1991, art. 712.
3 Id., art. 713.
4 Id., art. 714.
5 Id., art. 716.
6 Id., art. 726.
7 Id., art. 727.
8 Paradis c. Jones, 2008 QCCA 1105; Pruneau c. Grenier, 2021 QCCS 796; Therrien (Succession de) c. Lallemand Therrien, 2010 QCCS 321.
9 Tabet c. Equityfeed Corporation, 2017 QCCS 3303.