La Cour suprême réitère la légalité des clauses restrictives d’emploi dans un contexte de vente d’entreprise


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Le 12 septembre dernier, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Wagner, a rendu un jugement visant à clarifier les règles applicables en matière de clauses restrictives d’emploi, à savoir les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation.

Compte tenu du « déséquilibre des forces qui marque généralement les rapports employeur-salarié» ainsi que de l’impact de ces dernières sur la liberté d’emploi de l’employé, il est reconnu que les clauses de non-concurrence insérées dans un contexte de contrat d’emploi sont interprétées restrictivement. Par ailleurs, les clauses de non-concurrence insérées dans des contrats de vente d’entreprise ou de vente d’actifs sont, quant à elles, interprétées de façon plus large et libérale.

Le jugement Payette c. Guay inc., quant à lui, est particulier en ce que l’on retrouve la coexistence des deux contextes, à savoir une vente d’entreprise et un contrat d’emploi. La Cour devait donc déterminer quel était le régime normatif applicable au contrat intervenu entre les parties.

LES FAITS

Brièvement, les faits en l’espèce peuvent se décrire ainsi : Guay inc. est une entreprise commerciale qui a acquis des actifs appartenant à des sociétés contrôlées par Payette. La convention de vente d’actifs était, quant à elle, accompagnée de clauses de non-concurrence et de non-sollicitation. Les parties ont également convenu que l’appelant Payette allait travailler pour l’intimée en souscrivant à un contrat d’emploi pour une période de six mois après la transaction. À ce stade-ci, il est important de souligner qu’aucune clause de non-concurrence et de non-sollicitation n’était incluse au contrat d’emploi, celles existantes étant uniquement inscrites dans la convention de vente d’actifs.

Quelques années plus tard, l’entreprise Guay inc. a congédié l’appelant Payette, et ce, sans aucun motif valable. Celui-ci a donc estimé être bien fondé de se prévaloir de l’article 2095 du Code civil du Québec afin de se soustraire à l’application des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation. Payette a ainsi accepté un nouvel emploi dans une entreprise concurrente à Guay inc.

L’ANALYSE DE LA COUR SUPRÊME DU CANADA

À la lumière du contexte factuel et des différents documents présentés devant elle, la Cour était confrontée à un véritable exercice de qualification et de détermination du régime applicable. Le plus haut tribunal du pays, se référant à la nature même du contrat liant les parties et au libellé des clauses, est quant à lui venu à la conclusion que les clauses ne pouvaient être dissociées du contrat de vente d’actifs et qu’elles visaient à protéger l’investissement substantiel de Guay inc.

Conséquemment, les règles propres au droit commercial devaient s’appliquer et la validité des clauses devait être interprétée de façon plus large et libérale. Par cette décision, le Tribunal rejetait la prétention de l’appelait Payette qui recherchait l’application de l’article 2095 du Code civil du Québec, alors que cet article s’applique uniquement en présence d’un contrat d’emploi. La Cour soulignait qu’il faut apprécier le marché négocié par les parties en tenant compte du libellé des obligations et des circonstances dans lesquelles elles ont été consenties. Au surplus, la Cour soulignait que l’existence d’un contrat d’emploi distinct entre les parties, mais ne comportant aucune clause restrictive d’emploi, avait pour effet d’affaiblir considérablement la prétention de Payette à l’effet que les clauses se rattachaient effectivement audit contrat d’emploi.

La Cour a également profité de l’occasion pour poser le principe qu’en contexte commercial (vente d’entreprise, vente d’actifs, etc.) : « Une clause restrictive est légale à moins que l’on puisse établir, par une preuve prépondérante, qu’elle est déraisonnable quant à sa portée compte tenu du contexte dans lequel elle a été négociée. » Il est donc manifeste que le fardeau de la preuve repose sur le co-contractant qui désire voir déclarer la clause comme déraisonnable. Or, ce principe diffère substantiellement de l’alinéa trois de l’article 2089 C.c.Q., lequel impose la preuve du caractère raisonnable de la clause à l’employeur.

CONCLUSIONS

En somme, il convient de mentionner que plusieurs enseignements furent donnés par la Cour suprême dans cette décision. En plus de clarifier la situation particulière relative à une vente d’actifs et au « vendeur » désormais salarié pour ladite entreprise, la Cour suprême réitère les principes des arrêts Elsley et Shafron quant à l’interprétation plus libérale des clauses restrictives d’emploi en contexte commercial.

Au surplus, la Cour suprême confirme que seule une clause de non-concurrence se rattachant à un contrat de travail sera susceptible d’entraîner l’application des articles 2089 et suivants du Code civil du Québec. Ainsi, le renversement de fardeau prévu à l’article 2089 (3) C.c.Q. ne trouvera pas application, et donc ce sera à la partie qui prétend au caractère déraisonnable des clauses de non-concurrence d’en faire la preuve.

Avec la précieuse collaboration de M. Raphael Allard, étudiant en droit.