Quand l’administrateur abusif engage sa responsabilité personnelle


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De manière générale, les administrateurs d’une société par actions ne peuvent pas être tenus personnellement responsables des gestes commis par cette société. En effet, les personnes morales telles que les sociétés par actions ont une personnalité juridique distincte de celle de leurs membres, ce qui est d’ailleurs codifié à l’article 309 du Code civil du Québec1. Cependant, comme nous avons pu le constater dans la publication précédente, il existe certaines exceptions à ce principe. Certaines sont d’ailleurs prévues dans diverses lois. À titre d’exemple, la responsabilité d’un administrateur peut être retenue pour des montants de T.P.S.2 ou de T.V.Q.non versés. Il en est de même dans la situation à laquelle une société par actions omet d’effectuer les retenues à la source, de verser ces dernières ou de payer des impôts4.

Une autre situation où un administrateur peut engager sa responsabilité personnelle est celle prévue à l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (ci-après L.C.S.A.). Cet article prévoit qu’un administrateur pourra être tenu responsable en cas d’abus de sa part. Cette disposition, à son paragraphe 3, énumère des exemples de redressements que le tribunal peut imposer dans l’éventualité où il retiendrait la responsabilité personnelle de l’administrateur. Le tribunal a d’ailleurs un large pouvoir discrétionnaire à cet égard. Cependant, rien dans cet article de loi n’indique les critères permettant au tribunal de conclure que la responsabilité personnelle d’un administrateur est engagée en lieu et place de celle de la société.

La Cour suprême a ainsi eu à statuer, dans un jugement récent rendu le 13 juillet 20175, sur les circonstances dans lesquelles il est justifié, au regard de cet article de loi, qu’un administrateur soit tenu responsable personnellement. Elle y réitère alors les critères établis par l’arrêt de principe Budd c. Gentra Inc. (1998)6.

Test en deux volets

Ainsi, afin de déterminer si la responsabilité d’un administrateur est engagée, il faut effectuer un test en deux (2) étapes7. En premier lieu, pour que tel soit le cas, il faut que la conduite dite abusive soit attribuable à l’administrateur. Il doit donc être impliqué dans l’abus. En second lieu, en regard de toutes les circonstances de la situation, l’imposition d’une responsabilité personnelle doit être pertinente. Il s’avère très pertinent de détailler l’analyse quant à ce dernier critère.

La pertinence : les quatre principes généraux

La Cour suprême détaille quatre (4) principes généraux devant guider les tribunaux lorsqu’ils sont appelés à statuer quant à la pertinence de rendre une ordonnance prévue au paragraphe 241(3) de la L.C.S.A. Les voici :

1. L’équité

Le premier principe consiste à ce que la demande de redressement en cas d’abus de droit doit être une façon équitable de régler la situation.

La Cour suprême affirme alors que si l’administrateur a retiré un bénéfice personnel, tel qu’un avantage financier immédiat ou s’il a exercé un contrôle accru sur la société, la décision équitable est la condamnation personnelle de l’administrateur. Elle juge qu’il en est de même lorsqu’un administrateur a agi de mauvaise foi, qu’il manqué à une obligation personnelle ou abusé d’un pouvoir de la société. La mauvaise foi n’est cependant par un critère afin que la responsabilité d’un administrateur soit engagée, l’intention n’étant aucunement pertinente dans l’analyse.

2. L’ordonnance accordée

Le deuxième principe est que l’ordonnance du paragraphe 241(3) L.C.S.A. ne devrait pas accorder plus que ce qui est nécessaire afin de réparer l’abus. Ainsi, on doit réparer l’injustice entre les parties. L’ordonnance doit viser à rétablir cet équilibre. Le tribunal doit garder en tête que l’ordonnance d’abus vise à réparer un préjudice. Elle ne vise aucunement les gains réalisés par l’administrateur.

3. Les parties intéressées

Le troisième principe est à l’effet que l’ordonnance rendue en vertu du paragraphe 241(3) peut uniquement servir à répondre aux attentes raisonnables des détenteurs de valeurs mobilières, créanciers, administrateurs ou dirigeant en leur qualité de parties intéressées de la société. Ce ne sont que ces personnes, ayant des « droits, attentes et obligations » envers la société, qui peuvent obtenir une telle ordonnance.

4. Prise en compte du contexte général du droit des sociétés

Le quatrième et dernier principe veut que, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les tribunaux tiennent compte du contexte général du droit des sociétés. Les tribunaux doivent donc prendre en compte tous les facteurs inhérents au droit des sociétés. Ils ne peuvent pas les traiter comme étant secondaires. C’est ainsi que la réparation prévue pour les abus ne peut pas substituer les autres réparations plus pertinentes prévues par des lois ou la common law.

Conclusion

Les administrateurs de sociétés par actions doivent être très prudents quant aux gestes qu’ils posent. Bien que le principe de la personnalité juridique distincte de la personne morale les protège généralement contre une responsabilité personnelle, cette dernière peut tout de même être engagée dans certaines situations prévues dans la loi tout comme c’est le cas pour les situations d’abus pour lesquels la L.C.S.A. permet d’engager la responsabilité de l’administrateur d’une société par actions. Ainsi, si un administrateur tente de tirer quelconque avantage de sa position dans la société, il est fort probable que sa responsabilité sera engagée. C’est ainsi que les gestes posés par un administrateur doivent être très réfléchis, car ils peuvent être très lourds de conséquences, et ce, indépendamment de la mauvaise foi de ce dernier.

Rédigé avec la collaboration de Madame Chloé Vallières, étudiante en droit.

 


1Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991.
2Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15, art. 323.
3Loi sur l’administration fiscale, L.R.Q., c. A-6.002, art. 24.0.1.
4Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e supp.), art. 227.1.
5Wilson c. Alharayeri, 2017 CSC 39.
6Budd c. Gentra Inc. (1998), 1998 CanLII 5811 (ON CA), 43 B.L.R. (2d) 27 (C.A. Ont.).
7Wilson c. Alharayeri, préc., note 5, par. 47.