Surveillance par l’employeur : la légalité d’un système de caméras


Par

Le débat des caméras de surveillance dans les lieux publics a soulevé beaucoup de discussions au Québec. La ligne entre la sécurité publique et la vie privée est en effet très mince et, bien que la présence de caméras de surveillance procure un certain sentiment de sécurité, il n’en demeure pas moins qu’elle peut enfreindre le droit à la vie privée des individus filmés. L’opportunité d’une telle surveillance en milieu de travail et les conditions permettant aux employeurs d’exercer ce type de surveillance sont des questions particulièrement délicates où l’on doit balancer les droits des employés et ceux de l’employeur.

Protection constitutionnelle

Selon la Charte québécoise des droits et libertés (ci-après nommée la « Charte »), chaque personne a droit au respect de sa vie privée1. La présence de caméras dans le quotidien, notamment sur les lieux de travail, porte atteinte à ce droit, particulièrement lorsque l’objectif visé n’est pas réellement la sécurité des employés, mais plutôt leur surveillance. De plus, cela peut dans certaines situations contrevenir à l’article 46 de la Charte stipulant que toute personne qui travaille a droit à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Néanmoins, la jurisprudence éclaire les employeurs sur leurs droits et sur les circonstances justifiant l’usage des caméras.

Droits de l’employeur permettant l’utilisation de caméras de surveillance

Un employeur est en droit d’installer des caméras de surveillance en permanence à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment qui abrite son entreprise pour en protéger les biens et les personnes, et ce, à titre préventif. Par contre, il n’est pas permis à l’employeur d’installer des caméras constamment orientées sur les employés, ce qui est généralement considéré comme une condition de travail injuste et déraisonnable2. La jurisprudence a d’ailleurs qualifié cette conduite de harcèlement, au même titre qu’un contremaître qui s’installerait en permanence près d’un employé dans le but de le surveiller3.

Un employeur peut toutefois avoir recours à des caméras de surveillance pour observer ses employés dans des circonstances particulières. Pour que cela soit possible, un problème substantiel et continu rendant nécessaire l’utilisation des caméras doit être rencontré. Cette pratique doit s’appuyer sur une preuve prépondérante qui établit le caractère nécessaire et proportionnel de la surveillance en question4. L’utilisation des caméras doit par ailleurs être faite de façon cohérente et en proportion avec le problème à résoudre, ce qui exclut généralement la captation vidéo permanente5.

Par exemple, un employeur qui surveillerait à l’aide d’une caméra de sécurité l’utilisation d’une machine ou d’un lieu dans son entreprise à la suite d’un accident de travail serait justifié de le faire puisqu’il tente d’améliorer la sécurité des lieux. Son intention n’est pas de surveiller les faits et gestes d’un individu ou d’un groupe d’individus en particulier.

Mise en preuve d’une vidéo

Pour permettre l’admission en preuve d’une vidéo captée à l’insu d’un employé, l’employeur doit avoir respecté les critères énoncés précédemment et doit également démontrer qu’il existe un lien rationnel entre la surveillance et le bon fonctionnement de son entreprise. La surveillance par caméras doit être nécessaire et due à l’absence d’autres moyens pour l’obtention d’information. Finalement, l’atteinte aux droits fondamentaux de l’employé doit être minimale. Par exemple, l’employeur devrait éviter de filmer en continu et plutôt le faire par périodes de quelques minutes. Si ces critères sont rencontrés, la vidéo pourra être admise en preuve dans un litige éventuel avec l’employé6.

Consentement des employés à la présence de caméras

Dans un autre ordre d’idées, la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques7 prévoit aux annexes 1 à 4.3 que toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication  de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire. Dans certains cas, il est possible de recueillir, utiliser ou communiquer des informations personnelles à l’insu de la personne concernée et sans son consentement, notamment pour des raisons de sécurité, d’ordre juridique ou médical ou encore parce qu’il est peu réaliste voire impossible d’obtenir son consentement. À titre d’exemple, pensons à l’employeur qui cherche à établir la preuve d’un vol de matériel par un employé.

Dommages reliés à l’atteinte du droit à la vie privée

Lorsqu’un droit fondamental est atteint, comme dans le cas de la surveillance abusive par caméras, la victime peut réclamer la cessation de l’atteinte pour le futur ou la réparation du dommage, que ce soit un dommage matériel, moral ou les deux. L’employé pourrait également demander des dommages et intérêts punitifs. Ces dommages ne visent pas la réparation du préjudice subi par l’employé, mais ont plutôt pour objectif de décourager ce type de pratique répréhensible commise volontairement par l’employeur8. Il faudra alors démontrer l’atteinte intentionnelle au droit à la vie privée et au droit à des conditions de travail justes et raisonnables prévus par la Charte.

En conclusion, l’employeur devra être prudent lors de l’installation d’un système de surveillance afin d’éviter d’enfreindre les droits des employés protégés par la Charte. Les lieux où seront installées les caméras, les périodes où elles seront actives et les objectifs justifiant leur installation sont autant de facteurs que l’employeur aura avantage à considérer attentivement.

Rédigé avec la collaboration de Mesdames Sabrina Landry-Bergeron et Esther Pelletier.


1Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 4, 5, 24.1 et 46.
2Association des techniciennes et techniciens en diététique du Québec c. Centre hospitalier Côte-des-Neiges, [1993] T.A. 1021; Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, local 1999 c. Brasserie Labatt (Montréal), [1999] R.J.D.T. 648 (T.A.).
3Métallurgistes unis d’Amérique, local 7885 c. Fabrimet inc., 2010 CanLII 62468 (QC SAT). 
4Id.
5Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et Montréal (Ville), 2005 CanLII 80674 (QC SAT).
6Syndicat des travailleurs (euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (csn) c. Trudeau, 1999 CanLII 13295 (QC CA).
7Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques, L.C. 2000, c. 5.
8Code civil du Québec, L.Q. 1991, c.64, art. 1621; Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 1, art. 49.