Responsabilité extracontractuelle de l’administrateur : quand les tribunaux réitèrent que prudence et diligence sont de mise


Par

Une société par actions (également appelée une « compagnie »), par l’intermédiaire de ses administrateurs et de ses actionnaires, prend constamment des décisions importantes. Ses obligations sont notamment prévues par la Loi sur les sociétés par actions (ci-après « LSA »)1 lorsqu’il s’agit d’une entreprise régie par le régime provincial et par la Loi canadienne sur les sociétés par actions (ci-après « LCSA »)lorsque la société est régie par le régime fédéral. À titre d’exemple, tel qu’abordé dans une publication précédente, une entreprise a l’obligation de tenir à jour un Livre des minutes afin de conserver les informations relatives à ses opérations, à défaut de quoi cette dernière pourrait engager sa responsabilité pénale.

La société par actions, étant une personne morale, possède une personnalité juridique distincte de ses actionnaires et de ses administrateurs. Ainsi, elle sera en principe la seule pouvant être tenue responsable des fautes commises par ceux-ci. Malgré tout, il est reconnu que le caractère intentionnel des gestes posés ou la mauvaise foi des administrateurs, lorsqu’un préjudice est causé, permettent de retenir la responsabilité personnelle de ces deniers envers un tiers ayant des relations contractuelles avec la société. Ce principe est notamment clairement rappelé dans une décision3 de l’Honorable juge Jean-Yves Lalonde, jugementégalement confirmé par la Cour d’appel:

« Qu’ils se le tiennent pour dit, les administrateurs et actionnaires en contrôle ou pas ne peuvent impunément se draper de la personnalité morale distincte d’une compagnie pour commettre des gestes fautifs, s’adonner à des réticences déroutantes ou accomplir des actes de mauvaise foi. S’ils agissent à l’encontre des règles de la bonne foi en matière contractuelle, ils risquent fort bien d’engager leur responsabilité personnelle au sens de l’article 1457 C.c.Q ».

La Cour supérieure, dans une décision récente5 applique le principe, et ce, même en l’absence d’intention ou de mauvaise foi de l’administrateur quant aux gestes posés :

« […] le caractère intentionnel des gestes posés ou la mauvaise foi de l’administrateur ne sont pas nécessaires pour retenir sa responsabilité personnelle. Il suffit que l’administrateur ait commis une faute extracontractuelle à l’endroit du tiers de bonne foi, et ce, à titre personnel ou en dehors de ses fonctions d’administrateur au sens de l’article 1457 du Code civil du Québec pour retenir sa responsabilité6. »

Dans sa décision, l’Honorable juge conclu que le comportement de l’administrateur, en dirigeant les travaux de la manière dont il l’entendait, et ce, sans suivre les recommandations des professionnels, constitue une faute personnelle de celui-ci7. La Cour conclut qu’en agissant de cette manière, l’administrateur s’éloignait du comportement d’une personne prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances. L’Honorable juge a donc tenu l’administrateur responsable des dommages causés, et ce, solidairement avec la société8.

Ce principe à l’effet qu’il n’est pas nécessaire de prouver la mauvaise foi ou l’intention quant à la faute commise n’est pas nouveau en droit. En effet, il a été invoqué en 2004 par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise9. Dans cette décision, le plus haut tribunal du pays a établi que l’article 1457 du Code civil du Québec, concernant la responsabilité extracontractuelle, a une portée large et vise donc la responsabilité des administrateurs qui commettent un manquement, tel que le non-respect à l’obligation de prudence et diligence10. C’est ainsi que la Cour affirme que :

« Le premier paragraphe de l’art. 1457 n’énonce pas la norme de conduite. Il incorpore plutôt par renvoi l’al. 122(1)b) de la LCSA.  L’obligation de diligence prévue par la loi est un « devoir de respecter [une règle] de conduite qui, suivant … la loi, s’impos[e] à [eux], de manière à ne pas causer de préjudice à autrui »11 ». 

Il est à noter que les sociétés québécoises ne sont pas épargnées puisque l’obligation de prudence et diligence est également prévue à l’article 119(2) de la LSA.

Enfin, il existe de nombreuses autres lois prévoyant des dispositions qui permettent de retenir la responsabilité personnelle des administrateurs dont, à titre d’exemple, la Loi sur la taxe d’accise12 pour des montants de TPS non versés, la Loi sur l’administration fiscale13 pour des montants de TVQ non versés et la Loi sur l’impôt sur le revenu14 pour les retenues à la source. D’ailleurs, à cet effet, lors d’une prochaine publication, nous traiterons d’une disposition de la LCSA permettant de poursuivre directement un administrateur dans un cas notamment d’abus et qui a récemment été interprété dans une décision de la Cour suprême du Canada.

 


1Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1.
2Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC, 1985, c. C-44.
3Basille c. 9159-1503 Québec inc., 2011 QCCS 7514.
4Attias c. Basille, 2014 QCCA 1224.
59204-9428 Québec inc. c. 9031-7538 Québec inc., 2017 QCCS 1385.
6Id., par. 140.
7Id, par. 141.
8Id.
9Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 RCS 461.
10Id, par. 56.
11Id., par. 57.
12Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15.
13Loi sur l’administration fiscale, L.R.Q., c. A-6.002.
14Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e supp.).