Facebook et son utilisation en preuve en droit du travail


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Il est maintenant indéniable que les réseaux sociaux prennent une place importante dans le quotidien de la majorité de la population. Plusieurs personnes partagent de nombreux détails à propos de leur vie privée quotidiennement sur Facebook, rendant publiques certaines informations qui n’auraient jamais été portées à notre connaissance autrement. C’est ainsi que le contenu de ces pages peut devenir une source importante d’informations pour les employeurs. En effet, avec l’essor de l’utilisation des réseaux sociaux, les contenus de pages Facebook sont de plus en plus utilisés comme éléments de preuve dans les litiges entre les employeurs et employés. Bien qu’il fût un temps où l’on pouvait se questionner sur l’admissibilité ou non de tels contenus en preuve, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis plusieurs années, les tribunaux québécois les déclarent admissibles. Cependant, certaines restrictions peuvent en limiter l’admissibilité. Les employeurs doivent donc être très vigilants et conscients de ces restrictions, d’autant plus que ce type de preuve peut s’avérer bien souvent déterminant quant à la conclusion du litige.

Règles générales

En vertu de l’article 2858 du Code civil du Québec1, les tribunaux refuseront toute preuve si deux critères sont satisfaits. En effet, les tribunaux doivent refuser d’office tout élément de preuve émanent de pages Facebook obtenu dans des conditions portant atteintes aux droits fondamentaux de l’employé et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

En ce qui concerne l’atteinte aux droits fondamentaux, cela vise les droits conférés par la Charte canadienne des droits et libertés2 (Charte canadienne) et par la Charte des droits et libertés de la personne3 (Charte québécoise). Cela inclut donc l’atteinte au droit à la vie privée.  Bien que les informations retrouvées sur certaines pages Facebook soient souvent des informations relevant de la vie privée des gens, il a été déterminé par la jurisprudence que ce qui se trouve sur un compte Facebook ne relève pas du domaine privé étant donné le nombre important de personnes qui peuvent y avoir accès4. Ainsi, tant que le contenu d’une page Facebook est obtenu légalement, on ne peut pas considérer cela comme une violation de la vie privée de l’employé5. Le fait pour un employé de mettre des paramètres privés à son compte ne change rien à cette situation.

Pour ce qui est du critère de déconsidération de l’administration de la justice, l’obtention illégale de la preuve sera souvent considérée comme telle. Cependant, le tribunal pourrait, dans certains cas, juger qu’il déconsidérerait plutôt l’administration de la justice de ne pas accepter l’élément de preuve. Afin de déterminer ce qui déconsidère l’administration de la justice, le tribunal exerce une pondération entre la protection du droit de l’employé à la vie privée et le droit de l’État de s’acquitter de ses responsabilités quant à l’application de la loi6. L’admission d’une preuve obtenue illégalement semble cependant s’avérer être l’exception plutôt que la règle. Ainsi, c’est pour cette raison que l’employeur doit être très vigilant quant au moyen par lequel il obtient le contenu de la page Facebook d’un employé.

Cas de refus

La cour a refusé à quelques reprises des contenus de page Facebook ayant été obtenus de manières illégales par l’employeur. Ainsi, si la preuve résulte de manœuvres frauduleuses ou de subterfuges, la preuve sera rejetée sans hésitation par les tribunaux.

Création d’un faux profil Facebook

Dans la décision Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada inc.7, la Commission des lésions professionnelles8 a refusé d’admettre en preuve le contenu d’un compte Facebook, car l’information avait été obtenue grâce à la création d’un faux compte Facebook par une représentante de l’employeur. Cette dernière avait créé un profil Facebook qui a attiré la travailleuse et l’a mené à accepter l’invitation d’amitié. La commission a jugé que la façon d’obtenir l’information n’avait pas été dans une mesure de porter le moins possible atteinte aux droits fondamentaux de la travailleuse. Elle affirme qu’il s’agit plutôt d’une « atteinte grossière»9.  La représentante n’avait aucun motif d’agir de la sorte. De plus, l’information amenée par cette preuve était peu pertinente. La commission a donc jugé qu’il n’y avait aucune raison de faire primer cette preuve sur les droits fondamentaux de l’employé. Cela déconsidérerait totalement l’administration de la justice, car cela encouragerait les employeurs à fouiller et espionner leurs employés au hasard.

Ingérence d’un tiers

Le Tribunal administratif du travail (TAT) s’est prononcé dans la décision Maison St-Patrice inc. et Cusson10 sur l’admissibilité en preuve d’un contenu de page Facebook obtenu par subterfuge via un tiers. Dans cette affaire, ce tiers était possiblement un autre employé. Le tribunal  a mis de l’avant cette possibilité, car la travailleuse avait elle-même fait l’objet d’une demande de la part de l’ancienne directrice générale de l’employeur qui lui avait demandé des informations Facebook concernant une autre employée.  La cour a jugé la preuve inadmissible sous deux motifs. En premier lieu, le tribunal était d’avis que l’employeur n’avait pas démontré de motifs permettant une telle atteinte à la vie privée et donc était en violation des droits fondamentaux de la travailleuse. Il a affirmé que la simple recherche de vérité ne peut constituer un motif sérieux.   En second lieu, le tribunal a jugé qu’il y avait présomption de fait à l’effet que la preuve avait été obtenue par un moyen frauduleux étant donné que ce n’était pas la première fois que l’employeur agissait de la sorte. Ainsi, la cour conclut qu’accepter une preuve qui a été recueillie à l’encontre des droits fondamentaux de l’employé déconsidérerait l’administration de la justice.

Ainsi, si un employeur a dans l’idée de recueillir de l’information en demandant à un autre employé ou à toute autre personne ayant accès au profil Facebook de l’employé concerné, il est fort probable que cette preuve ne sera pas admise par le tribunal.

Conclusion

Les employeurs doivent agir avec prudence quand il est question de recueillir et amener en preuve le contenu de pages Facebook de leurs employés. Cette preuve peut s’avérer très utile et même essentielle pour l’employeur afin de faire valoir ses droits. Ainsi, l’employeur doit avoir une approche stratégique quant aux moyens qu’il utilise pour recueillir sa preuve. Il doit employer les bonnes techniques s’il veut  pouvoir utiliser cette dernière.

Ce concept de prudence en matière de preuve n’est pas nouveau. Il a été abordé à plusieurs moments par le passé, notamment en matière de filature par l’employeur. Ce sujet sera abordé dans la prochaine publication.

Rédigé avec la collaboration de Madame Chloé Vallières, étudiante en droit.

 


1Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991.
2Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.
3Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
4Landry et Provigo Québec inc. (Maxi & Cie), 2011 QCCLP 1802, par. 71.
5Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada inc., 2012 QCCLP 7666, par. 44.
6Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (csn) c. Trudeau, 1999 CanLII 13295 (QC CA).
7Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada inc., préc., note 5.
8Depuis le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T-15.1 est entrée en vigueur. L’article 255 de cette loi prévoit que le Tribunal administratif du travail (TAT) a maintenant les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles.
9Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada inc., préc., note 5, par. 51.
102016 QCTAT 482.