La Cour suprême des États-Unis a tranché : l’ADN humain ne peut être breveté


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Depuis plus de trente ans, une nouvelle discipline permettant d’analyser l’ADN humain s’est instaurée dans les laboratoires scientifiques : le génie génétique. Cette méthode d’analyse permet notamment d’isoler certains gènes, pour y découvrir leur fonctionnement, voire pour les reproduire.

Bien que le nombre exact ne puisse être identifié pour le moment, on estime qu’un humain possède entre 30 000 et 40 000 gènes contenus dans toutes les cellules qui composent son corps. Il a été démontré que l’ADN de chaque être humain est semblable. Il existe cependant des variations (parfois s’élevant à quelques centaines pour un gène donné) qui ont comme résultat de produire la singularité de chaque personne. Or, ce sont ces mêmes variations qui intéressent les scientifiques, parce qu’en les isolant, ces derniers peuvent comparer leur prévalence dans une population donnée aux maladies rencontrées dans cette même population. C’est alors que devient possible l’identification de variations considérées comme «facteurs de risque» ou comme «facteurs de protection» qui touchent les maladies.

Myriad Genetics, société de biotechnologies et défenderesse dans le présent dossier, revendiquait neuf brevets suite à la découverte de la location et de la séquence précise des gènes BRCA1 et BRCA2, gènes dont les mutations héréditaires augmentent de façon considérable le risque de développer le cancer du sein ou de l’ovaire (50 à 85% des femmes qui possèdent cette mutation développeront un cancer du sein au cours de leur vie). Cette connaissance lui a permis de développer des tests médicaux maintenant utilisés de façon courante par les équipes d’oncologie à travers le monde pour détecter ces mutations chez les patients.

L’octroi de tels brevets à cette société de biotechnologies aurait accordé à Myriad Genetics l’exclusivité sur ces gènes, ce qui aurait eu comme conséquence d’empêcher d’autres sociétés du domaine médical d’effectuer des recherches et donc de potentiellement développer d’autres tests permettant de dépister certains cancers.

L’avocat de l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) s’est opposé à la brevetabilité des gènes isolés du corps humain, mais a admis que le matériel génétique synthétique pouvait être breveté. Quant à l’avocat de Myriad Genetics, il soutenait la thèse selon laquelle ces gènes étaient des «constructions humaines intellectuelles», et non des gènes isolés du corps, et qu’ils ne pouvaient être comparés à des organes humains.

Le 13 juin 2013, dans la décision Association for molecular pathology et al. v. Myriad genetics, inc., la Cour suprême a tranché du côté de l’ACLU, et a conclu par une décision unanime à l’invalidité de certains brevets de Myriad Genetics portant sur l’isolation des gènes produits naturellement. La Loi sur les brevets est claire : «les lois de la nature, les phénomènes naturels et les idées abstraites sont des outils fondamentaux du travail scientifique et technologique qui n’entrent pas dans le domaine de la protection des brevets». Myriad Genetics n’a créé ou altéré ni l’information génétique contenue dans le gène BCRA1 et BCRA2, ni la structure génétique de l’ADN. La Cour suprême a cependant permis à ce que certains brevets de Myriad Genetics survivent, précisément ceux sur l’ADN complémentaire.  Ce type d’ADN n’est pas considéré comme obtenu naturellement puisqu’il est copié de l’ADN d’une cellule, et est ensuite artificiellement synthétisé. Certes, il reste à voir comment cette distinction entre un gène naturel et un gène non-naturel sera interprétée par les tribunaux dans l’avenir, la Cour suprême ayant été plutôt vague sur le seuil nécessaire de modification pour qu’un gène devienne complémentaire.

Cette décision a été saluée par de nombreux chercheurs et médecins aux États-Unis désireux de maintenir cette découverte dans le réseau publique. Non seulement elle permettra aux citoyens de subir de tels tests à moindre coût (le test effectué par Myriad Genetics coûtant près de 3000 $), mais elle permettra également d’accélérer les découvertes scientifiques pour ainsi prévenir la maladie et sauver des vies. D’un autre côté, le Groupement américain des industries pharmaceutiques (PhRMA) a émis certaines réserves quant à la portée positive de cette décision en précisant l’importance de la propriété intellectuelle pour les firmes bio-pharmaceutiques qui œuvrent en matière de recherche et développement.  En effet, en sachant que le brevet n’est plus atteignable pour certaines catégories de découverte, certaines firmes pourraient ne pas vouloir développer davantage par peur de ne pas pouvoir avoir un retour sur l’investissement.

Bien que la décision de la Cour suprême des États-Unis ne s’applique pas au Canada, il ne faut pas minimiser l’impact qu’elle pourrait avoir auprès des détenteurs de tels brevets. En effet, présentement, Myriad Genetics possèdent le monopole sur le gène BRCA1 au Canada.  Les laboratoires qui désirent effectuer des tests sur ce gène sans craindre de poursuite doivent donc débourser d’importantes sommes pour obtenir une licence de brevet. Afin de modifier cette situation, les sociétés pharmaceutiques, hôpitaux ou laboratoires publics canadiens devront s’opposer à l’obtention de tels brevets par l’entremise de la justice, tout comme l’ont fait l’Institut Curie en Europe, ainsi que le gouvernement américain et l’Union américaine pour les libertés civiles au États-Unis. Ainsi, les tribunaux canadiens pourraient se voir influencés par la voie tracée par la justice européenne et américaine, et conclure à la non-brevetabilité de l’ADN humain…

Pour plus d’informations concernant la propriété intellectuelle, nous vous invitons à communiquer avec Me Roselyne Déry-Lafrenière, laquelle se fera un plaisir de répondre à vos questions.

Rédigé par Bernier Fournier avec la collaboration de Carline Boisvert, stagiaire en droit.

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