Distinguer «vol de temps» et perte de temps : Conseils sur l’encadrement préventif (partie 3)


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Après avoir analysé la distinction entre le vol de temps et la perte de temps en matière d’utilisation déraisonnable des technologies de l’information par les employés et après avoir traité des mesures disciplinaires appropriées face à de tels comportements, nous concluons cette trilogie par des conseils aux employeurs diligents afin d’encadrer l’utilisation du matériel technologique et l’Internet au travail. L’encadrement peut servir pour diminuer les pertes de temps tout en conservant un climat sain liées aux sanctions ainsi que pour éviter les contestations judiciaires

Politique d’utilisation du matériel technologique et d’Internet au travail

La rédaction d’une politique d’utilisation des technologies de l’information adaptée aura à la fois un effet préventif en matière d’usage déraisonnable de l’Internet et constituera une preuve satisfaisante des attentes de l’employeur en cas de litige.

Tout d’abord, quoique l’absence ou le mauvais choix de publication des politiques de l’entreprise à cet effet n’entraînent pas toujours l’annulation des mesures disciplinaires à l’encontre de l’employé à ce sujet, elle pourrait toutefois en compliquer la preuve1. C’est pourquoi, afin de clarifier ses attentes et ainsi éviter les contestations judiciaires en cas de sanction disciplinaire, nous conseillons fortement aux employeurs de se doter d’une politique interne d’utilisation du matériel technologique. Celle-ci devrait minimalement mentionner avec précision les usages permis et interdits de l’Internet au travail.

La politique devrait être connue des employés dès leur embauche et il serait prudent d’en faire le rappel chaque année à tous les employés. Elle pourrait également être jointe avec les avertissements écrits remis aux employés qui y dérogeraient2.

Par ailleurs, une politique de « tolérance zéro » devrait être appliquée pour avoir un impact direct plutôt que d’être simplement écrite3. Autrement, les comportements interdits par la politique pourraient être considérés comme tolérés ou sujets à une interprétation subjective4. En somme, il ne s’agit pas d’inscrire des normes très sévères et de ne les appliquer qu’en cas de réel problème. Il est plutôt recommandé de permettre un usage raisonnable, mais d’intervenir ponctuellement en cas de non-respect de la politique.

Il est important de faire un plan personnalisé aux activités réelles de l’entreprise car, dans plusieurs milieux, les technologies de l’information peuvent être utiles au travail. L’employeur pourrait, par ailleurs, choisir de bloquer l’accès à certains sites, dans la mesure où ils ne sont pas reliés au travail.

Finalement, il pourrait être judicieux d’inclure une mention très claire que les appareils appartenant à l’employeur peuvent être inspectés de temps à autre pour vérifier le respect de  la politique. Les employés ne bénéficieraient ainsi pas d’une grande « expectative de vie privée » sachant que les appareils peuvent être inspectés par l’employeur à tout moment. Les employés ne peuvent entretenir de grandes attentes à ce que le contenu des ordinateurs qu’ils utilisent au travail demeure privé.

Barème des mesures disciplinaires et facteurs considérés

En plus de la politique d’utilisation des technologies de l’information, il serait judicieux pour l’employeur de se doter d’un barème de mesures disciplinaires afin de conserver une uniformité dans l’application des sanctions. Cela pourrait éviter une forme de discrimination dans les mesures utilisées, tant que toutes les circonstances de chaque cas soient examinées. Nous conseillons d’inclure dans le tableau une gradation des sanctions, soit de l’avertissement verbal au congédiement, qui pourraient être imposées pour chaque manquement, ainsi que les fautes graves qui justifieraient d’outrepasser le principe de gradation des sanctions pour en imposer directement des plus graves. On pourrait même y inclure les circonstances considérées comme atténuantes ou aggravantes.

Bien entendu, en présence d’une convention collective, il faudra s’assurer de l’harmonisation de ces deux documents.

Documentation lors de l’application de mesures disciplinaires

Un autre point essentiel au bon encadrement des mesures disciplinaires pour limiter l’usage déraisonnable d’Internet au travail est la documentation exhaustive des faits et des documents transmis lors de l’application des mesures disciplinaires. En effet, autant pour témoigner du sérieux de son intervention que pour solidifier sa position en cas de contestation, l’employeur aurait tout avantage à documenter avec rigueur toutes les étapes pertinentes lorsqu’il s’agit du dossier disciplinaire d’un employé.

Les avertissements verbaux, comme toutes les autres formes de sanctions, devraient être inscrits au dossier de manière  précise et complète. Autrement, il pourrait s’avérer difficile d’illustrer la progression des sanctions à l’égard d’un employé. Les avertissements verbaux et écrits devraient par ailleurs s’appuyer sur des faits et non seulement sur les dires d’autres employés, à moins que ceux-ci soient confirmés. Les reproches devraient être suffisamment précis pour que l’employé soit en mesure d’identifier le comportement qui lui est reproché dans les faits, sans être inutilement détaillés. Par ailleurs, pour éviter les avertissements rédigés sous le coup de l’émotion, les documents devraient être relus par un tiers neutre tenu à la confidentialité. Dans la même lignée, il serait préférable d’employer des termes neutres et de décrire le comportement répréhensible de l’employé. Il est également conseillé de faire signer à l’employé les documents qui lui sont remis comme preuve qu’il en a pris connaissance. Il devrait également avoir l’occasion de transmettre ces observations, faire part de sa version des faits et/ou signifier son désaccord.

L’absence totale d’enquête et de documentation est fatale au congédiement5, lequel pourrait être considéré injustifié par un tribunal et annulé en cas de contestation par l’employé. La documentation déficiente et le manque de rigueur dans la gestion du dossier disciplinaire de l’employé pourraient aussi causer une certaine problématique en cas de contestation6.

En conclusion, l’encadrement de l’usage d’Internet pourrait prévenir la survenance de comportements nuisibles par les employés, en plus de consolider la position de l’employeur en cas de contestation des mesures disciplinaires prises à cet égard.

Nous rappelons qu’il existe de nombreux autres comportements nuisibles liés à l’usage des technologies de l’information auxquels les employeurs devraient être vigilants. Citons par exemple le non-respect de la confidentialité, l’utilisation d’un langage abusif dans les courriels, le téléchargement de données non-pertinentes à l’emploi, l’installation de logiciels sans autorisation, le piratage et la surveillance d’un collègue à son insu, etc. Ces comportements fautifs pourraient être encadrés, au même titre que la perte de temps, par une politique d’utilisation des technologies de l’information bien rédigée.
Rédigé avec la collaboration de Madame Esther Pelletier.


1Houle c. Commission des relations du travail, 2011 QCCS 3152 (CanLII), par. 30 à 40 et 78.
2Id., par. 75.
3Caron c. Compagnie rafraîchissements Coca-Cola Canada, 2011 QCCRT 470 (CanLII).
4Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre jeunesse de Québec c. Centre jeunesse de Québec, 2014 CanLII 26353 (QC SAT), par. 69 et 80 et ss.
5Garfield et OS Communications informatiques inc, 2014 QCCRT 173 (CanLII), par. 28.
6Précit. note 3, par. 85.