Clause de type shotgun : l’importance de «tirer» en premier


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Une convention entre actionnaires représente souvent l’outil juridique tout désigné pour un nouveau projet ou un partenariat d’affaires. À juste titre, une telle union est habituellement comparée à un contrat de mariage puisque la Convention entre actionnaires, à l’instar dudit contrat de mariage, a pour mission de prévoir la régie interne des nouveaux « partenaires ».

Or, bien souvent les différents associés, tout comme les nouveaux mariés, excités par toutes les implications que confèrent cette nouvelle union, oublient de prévoir des éléments importants de leur contrat de « vie commune ».

En premier lieu, l’un des points à discuter – et peut-être même le plus important – est la façon dont les actionnaires peuvent se départir de leurs actions. En effet, à moins de disposition contraire, un co-actionnaire peut vendre à quiconque ses actions, ce qui a notamment pour effet d’entrainer plusieurs conséquences pour l’entreprise ou pour son co-actionnaire. Qui veut se faire imposer un nouvel associé, étranger à la façon d’opérer de l’entreprise concernée et qui veut désormais s’impliquer dans les décisions d’affaires?

Il y a donc lieu de prévoir une restriction au niveau du transfert des actions afin de maintenir le caractère privé de la société et éviter l’implication d’une tierce personne non désirée. Le co-actionnaire diligent s’assure ainsi, lors de l’élaboration de la Convention entre actionnaires, d’une plus grande stabilité de la société et du respect des normes législatives quant au capital-actions et pour le maintien de certains avantages fiscaux.

En second lieu, les co-actionnaires devraient prévoir la possibilité de forcer le rachat de leurs actions. En effet, en plus des clauses traditionnelles prévoyant la répartition des actions et, souvent, les clauses restrictives d’emploi lors de la fin de l’union, on retrouve fréquemment dans les Conventions des clauses de type shotgun, lesquelles peuvent être libellées comme suit :

« CLAUSE : « Si l’un des associés, partie aux présentes, désire vendre sa participation (capital-social) de la société ou acheter la participation de l’autre associé partie à la présente convention, il (ci-après désigné l’offrant) doit envoyer à l’autre associé (ci-après désigné le « destinataire ») un avis indiquant qu’il offre de vendre sa participation dans le capital-social dans la société ou qu’il offre d’acheter la participation du destinataire aux prix, termes et conditions que l’offrant doit spécifier dans l’offre écrite au destinataire.  Le destinataire doit, dans les trente (30) jours de la réception de l’offre, exercer conjointement l’une ou l’autre des options suivantes :

i. dans le cas d’une offre de vente, le destinataire peut accepter les termes de l’offre et décider par le fait même d’acquérir la participation de l’offrant dans la société.  Dans le cas d’une offre d’achat, le destinataire peut accepter les termes de l’offre et vendre sa participation dans la société à l’offrant;

ii. le destinataire peut renverser les termes de l’offre et doit alors s’engager à vendre à l’offrant sa participation dans la société, si ce dernier a offert de vendre sa participation, ou s’engager à acheter la participation de l’offrant, si ce dernier a offert d’acheter la participation du destinataire, le tout aux mêmes prix et conditions que ceux indiqués dans l’offre, et l’offrant doit accepter et donner suite au renversement des termes de l’offre;

iii. dans le cas où le destinataire n’a pas signifié son intention d’accepter ou de renverser l’offre de l’offrant dans le délai imparti, celui-ci est présumé avoir accepté les termes de l’offre conformément à l’alinéa (i) du présent article;

Toute offre, acceptation d’offre ou renversement d’offre en vertu du présent article doit être faite par avis écrit et l’autre associé doit remettre un accusé de réception à son émetteur dans les trois (3) jours suivant sa réception.

Doivent constituer des conditions essentielles à toute vente de la participation d’un associé dans la société conformément au présent article les conditions suivantes :

i. l’achat de la participation de l’un ou l’autre des associés est considéré valable seulement s’il est accompagné d’un chèque certifié pour un montant d’au moins vingt-cinq pour cent (25%) du montant total de l’offre et,

ii. toute offre doit prévoir la période et les modalités de paiement du solde de prix d’achat, le taux d’intérêt applicable. »

Les clauses de type shotgun, bien souvent appelées clause « boomerang », « baseball » ou même clause « roulette russe », mettent en jeu la vente ou l’achat des actions des différents partenaires d’affaires. Ainsi, un actionnaire peut offrir à l’autre de lui vendre les actions qu’il détient et, si ce dernier a les liquidités nécessaires, il devra acheter lesdites actions. Cependant, s’il ne dispose pas des fonds requis, il sera dans l’obligation d’offrir lui-même les actions qu’il détient, aux prix et modalités fixés par l’offre initiale, à l’actionnaire offrant.

En somme, on comprend qu’une telle clause permet à l’associé disposant d’une meilleure position financière, de pouvoir exiger le départ de son co-actionnaire, lequel, n’ayant pu acheter les parts de son associé, risquera de perdre toute participation dans l’entreprise et se retrouvera dans une fâcheuse position.

Cette clause peut donc être utilisée de façon stratégique par un actionnaire afin de proposer des conditions qu’il se sait être capable de remplir, sachant que son partenaire aura, quant à lui, de la difficulté les réaliser. Par exemple, il pourrait vouloir préciser que tous les contrats de travail doivent être respectés alors que lui-même est employé à temps plein avec un salaire avantageux, contrairement à l’autre qui ne l’est pas.

Un engagement de non-concurrence pourrait également être prévu dans cette clause, ce qui serait plus restrictif que les termes déjà prévus dans la Convention entre actionnaires. En effet, ce type d’engagement a été déclaré valide par la Cour d’appel et ce, même dans les cas où la durée d’une telle clause est très longue, par exemple 10 ans1. Elle pourrait n’avoir aucun impact sur l’actionnaire qui désire se retirer complètement des affaires, mais représenterait un grand désavantage pour celui qui désire continuer à œuvrer dans le domaine.

Évidemment, l’exercice de ce droit contractuel doit respecter les règles de la bonne foi et ne pas résulter en un exercice abusif. Toutefois, il faut reconnaître l’objectif que poursuit une telle clause, soit de faciliter le départ rapide et efficace d’un co-actionnaire lorsque des problèmes internes menacent la viabilité de l’entreprise. Rapidité et facilité d’exécution sont principalement les deux avantages conférés à la personne qui s’en prévaut.

L’exercice du jeu d’une clause de type shotgun commande néanmoins la prudence et l’examen préalable de la situation financière et personnelle du partenaire d’affaires. En effet, il importe de bien circonscrire la position de ce dernier pour ainsi déterminer le prix à exiger pour les actions détenues. Un grand soin doit donc être accordé à la rédaction de telles clauses et il serait judicieux de prévoir les situations qui enclenchent automatiquement la vente des actions d’un co-actionnaire plutôt qu’un simple engagement formel de ce dernier à les vendre.

Un tel engagement peut, bien souvent, compliquer le processus de vente et résulter en une contestation judiciaire engageant temps et argent pour les deux « anciens » associés. Un transfert automatique d’actions, sous la forme d’une vente à l’autre, est préférable en ce qu’elle entraine la déchéance immédiate du statut de l’actionnaire et permet à l’entreprise de pouvoir continuer ses opérations, sans avoir à subir une impasse judiciaire sur le plan de la régie interne. Il faut donc faire preuve de beaucoup de diligence et de rigueur lorsqu’une partie s’intéresse à l’utilisation d’une telle clause.

Toutefois, en certaines occasions, lorsque notamment l’union bat de l’aile, il peut apparaître pertinent d’être le plus rapide sur la gâchette et de « tirer en premier », au sens figuré bien entendu !

En collaboration avec Monsieur Raphaël Allard, étudiant à l’École du Barreau du Québec.

1 Payette c. Guay inc., 2013 CSC 45