La tragédie de Lac-Mégantic : Les aspects juridiques


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Le 6 juillet dernier, un important convoi ferroviaire de plusieurs dizaines de wagons-citernes contenant des hydrocarbures a déraillé en plein centre-ville de Lac-Mégantic provoquant ainsi la mort de plusieurs personnes en plus de causer d’importantes pertes aux infrastructures de la Ville. S’ensuivit un élan de solidarité sans précédent et la couverture médiatique qui revient de plein droit à une tragédie de cette ampleur.

À l’heure actuelle, l’attention de tous n’est plus portée vers le bilan et la quantification des victimes de ce drame, mais plutôt à la détermination des principaux responsables et à l’indemnisation des nombreuses personnes touchées. Et c’est là que les conseillers juridiques entrent en jeu en s’efforçant, par leurs conseils juridiques et leurs avis légaux, de procurer un peu de soulagement à une population méganticoise endeuillée.

Conséquemment, l’ensemble des sinistrés se voient d’ores et déjà confrontés à une myriade d’enjeux juridiques intrinsèquement liés à cette horrible tragédie, dont notamment :

–       l’identification des disparus et les enjeux successoraux;

–       le versement des primes par les assureurs concernés;

–       le règlement financier des différents services résidentiels desservant des habitations désormais complètement détruites.

Or, malgré leur superficialité relative eu égard aux circonstances en l’espèce, il n’en demeure pas moins que de telles situations conflictuelles sont bien omniprésentes et ne font que contribuer à ajouter aux préoccupations des proches des victimes. En somme, pour les fins propres de cette publication juridique, nous conviendrons de présenter une analyse généralisée de situations qui nécessiteraient habituellement une attention individualisée.

LA DÉCLARATION D’ÉTAT D’URGENCE :

La Loi sur la sécurité civile prévoit un traitement différencié de gouvernance lors de la survenance d’un sinistre majeur sur le territoire d’une municipalité du Québec. Plus précisément, l’article 42 de cette loi prévoit que :

Une municipalité locale peut déclarer l’état d’urgence, dans tout ou partie de son territoire, lorsqu’un sinistre majeur, réel ou imminent, exige, pour protéger la vie, la santé ou l’intégrité des personnes, une action immédiate qu’elle estime ne pas pouvoir réaliser adéquatement dans le cadre de ses règles de fonctionnement habituelles ou dans le cadre d’un plan de sécurité civile applicable.

C’est ainsi que le 18 juillet dernier, la mairesse Roy-Laroche utilisa la législation applicable afin de bénéficier d’une assistance dans l’exercice des différents pouvoirs lui étant dévolus. Cette déclaration a eu pour effet de grandement faciliter le déroulement des opérations visant à palier à l’état de crise auquel la municipalité faisait face. Plus précisément, cette loi confère des pouvoirs singuliers dont notamment ceux de poser tout geste nécessaire au bon fonctionnement des opérations de nettoyage, à la protection et à la sauvegarde de l’environnement, des biens et des sinistrés. À titre de parallèle, un tel état d’urgence local avait été déclaré à Swan River au Manitoba en mai 2013 ainsi qu’à St-Jean-sur-Richelieu en mai 2011 relativement à d’importantes inondations.

LES MISES EN DEMEURE :

Le 23 juillet dernier, l’administration méganticoise a formellement mis en demeure les compagnies Montreal Maine and Atlantic Canada Company et Montreal Maine and Atlantic Railway Ltd. de payer une somme dépassant les quatre (4) millions de dollars à la Ville de Mégantic. À la lumière de la procédure entreprise par la ville de Lac-Mégantic, il appert que les deux sociétés visées n’auraient pas honoré les engagements contractuels qu’elles avait pris avec des intervenants locaux en nettoyage et, de ce fait, auraient laissé une facture salée à la Ville.

Devant son obligation de veiller au bon déroulement des interventions de nettoyage de ses infrastructures, la Ville n’a eu d’autre alternative que d’acquitter les obligations des deux sociétés en versant les sommes dues aux différents intervenants. Par conséquent, la Ville somme donc désormais les sociétés « responsables » de rembourser lesdites factures qu’elle a dû elle-même acquitter. À cet effet, le Code civil du Québec prévoit à l’article 1590 que la mise en demeure constitue le point de départ de la mise en œuvre du droit à l’exécution d’une obligation.

À titre d’exemple, il convient de mentionner que la mise en demeure transmise par la mairesse Roy-Laroche aux sociétés concernées mentionne notamment le défaut du débiteur, à savoir le paiement des factures qu’elles ont omises d’acquitter, et en exige la correction dans un délai imparti de quarante-huit (48) heures. À l’expiration de ce délai, les différentes sociétés seront légalement en demeure d’exécuter leurs obligations et, dès lors, l’indemnité additionnelle et les intérêts prévus par la loi (1619 et 1620 Code civil du Québec) deviendront exigibles dans le cadre d’une éventuelle poursuite judiciaire.

À ce jour, la Ville n’a toujours pas reçu de paiement de la part des sociétés précitées relativement aux frais de nettoyage qui frôlent désormais la somme de huit (8) millions de dollars. À cet égard, la mairesse Roy-Laroche ajoute qu’une deuxième mise en demeure a été envoyée aux différentes sociétés afin d’actualiser la véritable créance due à la ville de Lac-Mégantic. Toujours selon cette dernière, les représentants de la MMA seraient en train d’entreprendre des démarches auprès de leurs assureurs respectifs relativement à ces demandes.

LES RECOURS DES SINISTRÉS
Recours collectif et requêtes individuelles?

Actuellement, plusieurs médias s’affairent à recenser les nombreuses requêtes entreprises par les citoyens sinistrés contre le président de la MMA, Edward Burkhardt, et les différentes sociétés précitées tant en sol américain que québécois. La disparité de traitement en matière de responsabilité civile entre le Québec (système juridique de tradition civiliste) et les États-Unis (système juridique de la Common Law) justifient le choix des citoyens sinistrés de se prévaloir des deux régimes offerts.

Parallèlement, la semaine dernière, une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif a été déposée à la Cour supérieure du palais de justice de Sherbrooke. Or, à peine quelques jours plus tard, cette dernière requête a été amendée dans le but d’ajouter des défendeurs liés au transport d’hydrocarbures, à savoir : Irving Oil, World Fuel Services et Dakota Plains Holdings. Ce faisant, les membres du groupe du recours collectif tentent de se protéger devant le risque imminent de faillite de la MMA et des conséquences inhérentes.

D’après les termes des articles 1002 et suivants du Code de procédure civile (ci-après C.p.c.), il est édicté qu’un membre d’un groupe ne peut exercer un recours collectif qu’avec l’autorisation préalable du Tribunal, obtenue sur requête. Il est impératif que cette requête précise les faits de l’affaire et décrive le « groupe » pour lequel le membre agit et pour lequel il sera, ultimement, le représentant. L’objectif principal d’un recours collectif est de réunir les recours de membres présentant des questions de droit ou de faits et des conclusions recherchées qui sont similaires ou connexes.

Qui plus est, offrant une protection supplémentaire au représentant et au groupe représenté, l’article 1025 C.p.c. subordonne la validité d’une offre de règlement, autrement appelée « transaction », à une autorisation préalable du Tribunal. Au surcroît, il importe de préciser que la notion d’ « intérêt suffisant », prévu à l’article 55 C.p.c. et requis pour toute procédure de quelque nature que ce soit, reçoit une interprétation quelque peu différente dans le contexte d’un recours collectif. Bien qu’un débat théorique et technique se présente actuellement dans la jurisprudence eu égard au critère d’ « intérêt suffisant » en matière de recours collectif, il est toutefois convenu qu’une cause directe et personnelle d’action doit être présente pour chacun des membres du groupe du recours collectif. Ainsi, en l’espèce, une personne n’ayant pas un intérêt personnel en lien avec la faute des sociétés ne pourra fonder sa réclamation sur le préjudice subi par le groupe.

En conclusion, nous désirons adresser nos sympathies et plus sincères condoléances à tous les proches des disparus et les citoyens sinistrés.

 

Me Maxime Lauzière

Avec la précieuse collaboration de Raphaël Allard, étudiant en droit.

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