Entre liberté de religion et neutralité religieuse de l’État : le cas de la ville de Saguenay


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La Cour d’appel a tranché; la prière récitée par le maire de la ville de Saguenay avant le début des séances du conseil municipal, ainsi que deux signes religieux exposés sur place, lorsque replacés dans leur contexte, ne sont pas de nature à démontrer que le conseil municipal est sous l’influence d’une religion ou qu’il tente d’en imposer une. La Cour ajoute qu’elle ne croit pas que les éléments en litige soient préjudiciables à l’égard du demandeur.

Ce litige émane d’une plainte d’un citoyen (M. Simoneau) auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Celle-ci ayant refusé de saisir le Tribunal des droits de la personne sur ces questions,  M. Simoneau, conjointement avec le Mouvement laïque québécois (MLQ) choisit de porter lui-même sa cause devant cette instance.

En première instance, le Tribunal des droits de la personne avait déterminé que la prière et l’exposition à des signes religieux contrevenaient à l’obligation de neutralité religieuse et que ces manquements portaient atteinte d’une manière non négligeable à la liberté de conscience et de religion de M. Simoneau, droits protégés par la Charte des droits et libertés de la personne. La Cour d’appel, mentionnant au passage que le témoin expert des demandeurs était partial et que la preuve découlant de son témoignage aurait dû être écartée, est d’avis contraire.

La Cour, dans ce jugement, reprend les enseignements de la Cour suprême et clarifie certains points sur la neutralité religieuse de l’État. La liberté de religion existe sous deux formes distinctes. L’aspect positif reconnaît le droit à toute personne d’avoir des croyances religieuses, alors que l’aspect négatif interdit d’imposer une restriction dans le choix d’agir selon sa conscience ou encore d’imposer un choix religieux. C’est dans sa forme négative que la liberté de religion consacre le principe de la séparation de la religion et de l’État.

L’obligation de neutralité n’est pas absolue d’un point de vue constitutionnel. Il s’agit plutôt de mettre en balance le droit de chacun de voir ses convictions morales respectées, et le bien commun que doit défendre l’État, soit entre autres l’héritage culturel.

Fait intéressant, les motifs de la Cour d’appel font mention d’un débat qui fait rage dans l’actualité. En effet, la Cour s’exprime sur le fait que le Québec ne possède pas de charte de la laïcité qui énoncerait un principe officiel sur la neutralité de l’État. Rappelons-nous que le gouvernement du Québec est présentement en réflexion sur l’élaboration d’une charte des valeurs québécoise, charte qui devait à la base inclure le terme de « laïcité ». Car le système de justice, bien que sensible aux débats sociétaux, se doit d’analyser les litiges à l’aide des dispositions législatives actuelles et non avec les aboutissements éventuels de pourparlers populaires. Tant que les instances gouvernementales ne légifèrent pas, les tribunaux ont les mains liées par les lois présentement en vigueur.

En l’absence d’un principe officiel sur les valeurs de l’État, il faut s’en tenir à la règle par défaut selon laquelle « un état neutre au plan religieux signifie essentiellement qu’aucune vue religieuse n’est imposée à ses citoyens, que son action gouvernementale sous toutes ses formes demeure à l’abri d’une influence de cette nature ».

Toujours selon la Cour d’appel, la présence de symbole à caractère religieux et la récitation d’une prière au conseil municipal ne contrevient pas à ce principe de neutralité. La Cour explique que la laïcité intégrale n’est pas une protection fondamentale énumérée par la Charte et ne fait pas partie non plus de la forme négative de la liberté de religion. La Charte, dans sa forme actuelle, n’impose pas l’élimination de tout symbole religieux au sein de l’État. En somme, la neutralité religieuse n’exige pas de faire disparaître toute trace du patrimoine historique religieux du Québec.

L’Assemblée nationale a d’ailleurs reconnue en 2008, à travers une motion unanime de tous les députés,

Que l’Assemblée nationale réitère sa volonté de promouvoir la langue, l’histoire, la culture et les valeurs de la nation québécoise, favorise l’intégration de chacun à notre nation dans un esprit d’ouverture et de réciprocité et témoigne de son attachement à notre patrimoine religieux et historique représenté notamment par le crucifix de notre salon bleu et nos armoiries ornant nos institutions.

[Nos soulignés]

La Cour est d’avis qu’une personne raisonnable, bien renseignée et consciente des valeurs implicites sous-jacentes au concept de neutralité religieuse ne pourrait croire que la Ville de Saguenay était sous l’influence d’une religion particulière. La preuve ne démontre pas non plus que M. Simoneau ait subi une quelconque forme de discrimination, ni le moindre préjudice.

Néanmoins, le tribunal a sévèrement fait mention de l’attitude de monsieur le maire avant et durant les procédures judiciaires. Le maire aurait manqué à son devoir de réserve élémentaire que lui impose sa fonction. La Cour d’appel écrit ainsi :

Ensuite, je note que les intimés ont renoncé à s’adresser à la Cour supérieure pour obtenir les ordonnances en vue de faire cesser les attitudes engagées de M. le maire. Je crois toutefois qu’une cour de justice dûment saisie de cette question n’aurait pu demeurer insensible à certaines des manifestations publiques de ce dernier qui, à mon avis, contreviennent au devoir de réserve associé à une charge publique, risquant du coup, pour son détenteur, d’enfreindre la règle de neutralité applicable à l’appareil municipal.

Elle laisse alors sous-entendre que tous les recours ne sont pas épuisés, mais que les procédures ainsi entreprise ne permettaient pas de porter un blâme à qui que ce soit et la requête devait donc être rejetée.

Les tribunaux ne se prononcent habituellement que sur les questions juridiques pour lesquelles elles sont consultées. Le jugement en l’espèce a suscité beaucoup de controverses après sa sortie. Or, il n’appartient pas au pouvoir judicaire d’actualiser le système législatif pour représenter plus fidèlement l’opinion populaire. La balle est dans le camp de l’Assemblée nationale si celle-ci n’est pas satisfaite de l’état actuel du droit, notamment en ce qui a trait à la liberté de religion et à la neutralité religieuse.

Avec la précieuse collaboration de François Houle, étudiant en droit.

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